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tation; or il existe en France, dans ce cas, 14 établissements qui ont fait en 1847, 2,529,233 prêts représentant 38,873,743 fr.

La loi déclare de plus dans son article 10, qu'elle n'est pas applicable aux monts-depiété qui prêtent gratuitement ou à un intérêt inférieur au taux légal. Il existe en France 7 monts-de-piété de ce genre: ceux d'Aix, Angers, Avignon, Brignoles, Grenoble, Montpellier et Toulouse; d'où il suit qu'il existe 21 établissements sur 46, pour lesquels la loi est sans application. Le montde-piété de Paris est en particulier hors la loi. On concevrait tout au plus le privilége des hospices, s'ils avaient la charge de pro-. curer aux monts-de-piété les capitaux dont ils manquent. Il n'en est pas ainsi; les fonds qui servent à leurs opérations, proviennent d'emprunts et de cautionnements. Quand les hospices figurent parmi les prêteurs, il leur est payé des intérêts. Le mont-de-piété de Paris a prêté lui-même aux hospices de Paris, en 1832, 1,000,000. De 1806 à 1850, il a versé en moyenne dans la caisse des hospices, 317,551 fr. 23 c. par an.

Enfin, lorsque la ville de Paris s'est trouvée obérée, elle a puisé sans façon dans la caisse du mont-de-piété. Elle a reçu de lui de 1819 à 1829, 11,200,000 fr. Le mont-depiété qui ne doit prêter que sur des effets mobiliers, avait enfreint la loi pour la ville de Paris, qui lui avait emprunté sur titres. Il n'est pas, dit M. Blaize, de banque qui n'ait un fonds de réserve destiné à pourvoir à des éventualités : les monts-de-piété dépouillés de leurs excédants de recette, sont exposés à des déficits dont les conséquences peuvent leur être fatales. En 1847, les dépenses excédaient les recettes de plus de 7,000 f. à Rouen; de plus de 10,000 f. à Lille. IV. Vente des reconnaissances. M. Horace Say, dans un article publié par le Journal des Economistes, s'élève contre la vente des reconnaissances :

En fait de meubles, la possession vaut titre; il en est de même du papier qui constate le dépôt du meuble au mont-de-piété : la reconnaissance est un bon au porteur avec lequel on a le droit, soit de retirer le gage, soit de recevoir plus tard l'excédant du prix Si on attend qu'il soit vendu. Ce titre est dans la main d'un malheureux la constatation d'une valeur positive, puisqu'il y a estimation. faite par les commissaires-priseurs et que le prêt n'est que partiel. Souvent même, dans un moment pressant, l'engagement n'at-il été qu'un moyen d'arriver à la vente céfinitive de l'objet. C'est cette marge entre la valeur estimée et le montant des prêts qui donne lieu à un immense trafic dont les annonces salissent tous les murs de Paris. On a cru pendant longtemps, ou du moins on a affecté de croire, que 95 sur 100 des objets engagés étaient retirés du mont-de-piété par ceux-là mêmes qui les avaient placés et auxquels la propriété en avait été ainsi heureusement conservée: il n'en est rien, et, pour la moitié peut-être des engagements, la banque du prêt sur gages n'a été qu'un

moyen de fixer une valeur aux objets, dont la propriété s'est trouvée aliénée par la simple transmission de la reconnaissance. Les acheteurs de reconnaissances ont de nombreuses manières de tromper ceux qui viennent à eux, et, témoins de leur manoeuvres, les employés du mont-de-piété n'ont aucun moyen de les neutraliser. La plus usitée est de promettre une plus value sans doute assez forte, mais seulement dans le cas où la vue même de l'objet justifierait la bonne idée qu'on en a; pour cela l'acheteur et le vendeur se rendent au magasin central, et l'acheteur, prenant en mains la reconnaissance, opère à ses frais le dégagement. Il devient alors maître de la transaction; car, pour recouvrer sa liberté, il faudrait que le malheureux propriétaire de l'objet eût l'argent nécessaire pour rembourser les frais qui viennent d'être faits et pour opérer le réengagement; c'est alors qu'on lui fait l'offre la plus basse; on déprécie l'objet qu'on vantait auparavant; la partie n'est plus égale, et la victoire reste toujours à la mauvaise foi.

Comme remède au grave inconvénient du trafic des reconnaissances et aussi comme moyen de désencombrer les magasins, on songe à donner aux emprunteurs la faculté de faire vendre, à toute réquisition, leur gage, sans attendre, comme dans le régime actuel, l'expiration de l'année. Il y aurait là un avantage réel, mais il faut prendre garde que l'abus ne se glisse bien vite à côté du bien, et que le mont-de-piété ne devienne ainsi une grande maison de consignation pour la vente des objets mobiliers. Il commencerait par faire une avance sur la consignation pour opérer ensuite la vente et payer l'excédant du produit sous déduction d'une commission. Une semblable facilité conduirait à employer le temps des administrateurs pour un service purement commercial; elle ne tarderait même pas à exciter les malheureux à vendre au premier besoin les effets et les meubles les plus nécessaires à leur famille. Combien ne se multiplieraient pas ces petits vols intérieurs, qui ne tombent pas sous l'appréciation des tribunaux, et auxquels les magasins actuels ne donnent que trop souvent asile!»

Nous voudrions au moins qu'on ne pût se livrer aux opérations d'achat des reconnaissances du mont-de-piété sans autorisation de la police.

Conclusion. On dit que les monts-depiété sont contraires à l'esprit de travail. Une partie des fonds empruntés, au contraire, sont employés comme instrument de travail. Le mont-de-piété alimente la petite production. Les vices, dit-on, mènent au mout-depiété. Où est l'institution utile dont on n'abuse pas? Demandez aux membres de la conférence de Saint-Vincent de Paul, qui voient le pauvre de près; ils vous diront que c'est la maladie ou le chômage qui sont pour le journalier la cause déterminante de l'engagement de son mobilier. Quand son peu de

crédit est épuisé, il emploie cette ressource. C'est son emprunt hypothécaire à lui. On a osé avancer que l'indigence ne retirait pas la moitié des nantissements qu'elle dépose. Le mont-de-piété, dans cette hypothèse, serait en effet un agent provocateur bien pernicieux, puisque l'argent prêté ne représente qu'une faible partie de certains gages; mais l'objection tombe devant cette vérité, qu'il n'est pas vendu à Paris 6 p. 0/0 de gages. Le pauvre qui manque de pain vendrait ses effets pour s'en procurer, le mont-de-piété les lui conserve. Les monts-de-piété recèlent, dit-on, les objets volés. La réponse est facile, de 1831 à 1845, sur 1,000,000 articles engagés il n'y en eut que 29 suspects de vols.

La preuve, a-t-on dit, que le goût des folles dépenses conduit au mont-de-piété, c'est qu'il y a plus d'engagements le lundi que les autres jours. La raison en est, que c'est un jour d'interruption du travail dans les habitudes du peuple de Paris. Or, en même temps qu'il y a plus d'articles engagés ce jour-là, il y a aussi plus d'articles dégagés, plus d'articles renouvelés, plus d'à-compte payés. Ces trois actes de prévoyance, dégager, renouveler, payer des à-compte, donnent en 1840 le chiffre de 456, en faveur du Jundi, quand celui des articles engagés n'est que de 176. (Voir Des Monts-de-piété, par M. BLAIZE, t. II, p. 481 et 482.) La fermeture des bureaux le dimanche, toutes choses égales, amène un surcroît d'opérations pour le lundi.

Les partisans de la libre concurrence, objectent encore contre les monts-de-piété, qu'ils font sans motifs un obstacle à la liberté des prêts. L'argent est une marchandise, disentils, laissez les prêteurs s'arranger comme ils l'entendent avec les emprunteurs. Quel est le bénéfice de la concurrence? répondonsnous, c'est d'abaisser les prix; or partout où il y a liberté de transactions en matière de prêts sur gage, règne une affreuse usure, 'est la raison d'être des monts-de-piété en Europe depuis trois siècles. L'usure se produit en raison directe de la liberté. Le montde-piété en concentrant les opérations, en les multipliant, permet le bon marché. Les frais généraux diminuent, les prêts élevés profitent aux petits prêts. Au mont-de-piété de Paris, tous les prêts de 3 à 15 fr. sont onéreux à l'établissement; il ne commence à bénéficier que sur les prêts plus élevés, or les prêts de 3 à 15 fr. forment les quatre cinquièmes des opérations. C'est le bénéfice réalisé sur le dernier cinquième qui compense sa perte.

Le mont-de-piété, avons nous dit plus haut, est le prêt à hypothèque du pauvre, comme l'emprunt hypothécaire est le mont-de-piété du propriétaire. Le premier tire parti de ses meubles absoluшent comme l'autre se procure de l'argent avec ses immeubles. Le pauvre ne se ruine

pas plus avec le mont-de-piété, que le propriétaire avec le bailleur de fonds. Remarquez même que l'ouvrier fait une meilleure affaire avec le mont-de-piété que le propriétaire d'immeubles avec le capitaliste. L'outil que l'ouvrier conserve par le moyen du mont-de-piété, lui rapporte cent pour cent et au delà, de plus que l'intérêt qu'il paye au mont-de-piété. Le propriétaire paye au prêteur d'argent un intérêt triple de ce que rapporte son bien-fonds. L'ouvrier peut gagner dans la moitié d'un jour, de quoi payer au mont-de-piété les intérêts de 30 fr. de butin qu'il a mis en gage. Il faut trois ans an propriétaire pour tirer de la terre des fruits équivalents aux intérêts qu'il paye chaque année au prêteur.

Si les monts-de-piété ont leurs abus, cela ne prouve pas contre eux. Il ne faut pas juger les choses humaines en raison de leurs mauvais côtés, mais eu égard à leurs résultats les plus généraux. Il faut les apprécier dans leur ensemble. Les monts-de-piété dans leur ensemble répondent à un besoin, et ils satisfont à ce besoin avec des conditions douces, tandis que la classe souffrante n'arrive sans eux au même but, que par des opérations usuraires. Leur existence ne devrait plus avoir besoin de justification. Le développement du mont-de-piété ne tient pas à la misère plus grande du peuple, puisque l'accroissement de ses opérations correspond à la prospérité des affaires. Les engage ments sont d'abord plus nombreux, mais les dégagements diminuent. Bientôt les engt gements eux-mêmes s'arrêtent, parce que Tes objets qu'on peut transformer en gage se sont épuisés, ce qui inspire au directeur, M. Blaize, dans l'ouvrage cité, cet axiome: Les opérations des monts-de-piété sont en raison directe du mouvement des affaires, et en raison inverse de la misère.

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SOURDS-MUETS.

§ 1". Nécessité de l'enseignement du sourd-muet. Tentative du xin siècle. Historique de l'éducation des sourds-muets en France. L'abbé de l'Epée. Ancienneté de la dactylologie. Détails historiques. 1777. Joseph II. Dotation par Louis XVI. 1790. L'abbé Sicard devant l'assemblée nationale. Décret de 1791. - § II. Sourds-muets à l'étranger. Grande-Bretagne, Belgique, Hollande, Suisse. Ecole allemande. Europe du Nord. Russie. Turquie. Etats-Unis. Italie. Rome. Milan. Naples. Sienne. Brescia. Presse périodique concernant les sourds-muets. § III. Statistique des sourds-muets. Tableau universel des établissements de sourds-muets. Chiffres des sourdsmuels français dans le cas de recevoir l'enseignement. § IV. Causes générales de la surtimutité. § V. Situation des écoles de sourdsmuels, et méthode d'enseignement. Articulation et mimique. Dactylologie. Les trois écoles. Sourdmuet adulte. Méthode encyclopédique de M. l'abbé Darras. Enseignement religieux. Catéchisme à l'usage des sourds-muets de Saint-Médard-lesSoissons. Question de la surdi-mutité devant l'Académie de médecine. Gymnastique auditive et vocale du docteur Blanchet. Examen de deux sourds-muets par l'Académie des sciences. Externat de sourds-muets du docteur Blanchet. Méthode de M. l'abbé Cot. Transmission des sons par l'intermédiaire des corps solides. Système de M. Praux. Méthode de M. Baker. Une éducation improvisée. Vou émis par les conseils généraux. Faut-il employer des professeurs sourds-muets? § VI. Monographies, coup d'oeil général. Institution nationale des sourds-muets de Paris. Orléans. Tours. Angers. Nantes. Rennes. Lamballe (Côtes-du-Nord). Société de patronage du dépar tement de la Vienne. Bourg. Puy (HauteLoire. Clermont-Ferrand. Ambert (Puy-deDôme). Lyon. Albi. Rodez. Tarn-et-Garonne. Département des Landes. Var. Sisteron. Isère. Nancy Besançon. Arras. Nogent-le-Rotrou.

Caen. Rouen. Saint-Médard-les-Soissons.

Surdos fecit audire et mulos loqui. (Marc. vu, 31.) $1" Nécessité de l'enseignement du sourdmuet. I. Une des infirmités les plus dignes de pitié, les plus capables d'exciter la charité chrétienne et le zèle pour le salut des Ames, est celle qui atteint les sourds-muets. Privés de l'ouïe et de la parole, moyens ordinaires de communication avec les hommes et avec Dieu, avec le monde visible et le monde invisible, ils sont comme exilés hors de toute société et condamnés par leur infortune même à l'isolement le plus complet. Le commerce avec les hommes leur est presque interdit, et ils ne peuvent entrer dans ce monde de la foi, dans ce monde de nos espérances immortelles, dont la porte leur reste fermée : Fides ex auditu. (Rom. x, 17.) Depuis le Verbe, qui éclaire tout homme venant au monde, jusqu'à la mère, dont la voix, mêlée de caresses, forme les premiers bégavements de l'enfant, c'est la parole qui est le grand instrument de toute connaissance; c'est elle qui allume le flambeau de l'intelligence. Elle ne crée pas les idées, mais elle les suscite, comme

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l'étincelle qui sort du caillou. Si la voix ne frappe jamais l'oreille, les facultés les plus belles restent engourdies, et l'homme est plongé dans les épaisses ténèbres. Tel se rait donc le sort du sourd-muet. Longtemps on a cru que son malheur était irrémédiable, qu'il était attaché aux circonstances de sa naissance, et que ce pauvre être incomplet n'était pas susceptible dans son esprit de développement. Dieu seul pouvait, en le guérissant par un miracle, le rendre capable de recevoir la lumière de la vérité et de l'éducation. Alors on l'abandonnait à son triste sort. On ne faisait pas attention que si le Créateur a privé les sourds-muets de la parole, il leur a laissé un langage plein de vie et de feu, et à l'aide duquel il est possible de leur donner les notions les plus complètes de la science de la religion, et de développer en eux les sentiments les plus délicats. (Mgr SIBOUR, archevêque de Paris, février 1856.)

II. Tentative du xm siècle. Un Bénédictin d'Espagne, qui vivait dans le x" siècle, est le premier qui ait cherché à instruire les sourds-muets et à les ramener ainsi de l'exil moral où ils gémissaient. Ecrire devant ses élèves les noms des objets dont ils étaient environnés et les exercer ensuite à répéter ces noms à l'aide de l'organe vocal, tels étaient les moyens qu'il employait. Mais pourquoi ce savant religieux s'est-il borné à l'éducation de deux sœurs d'un connétable d'Espagne et du fils d'un gouverneur d'Aragon? Pourquoi n'a-til point formé une école d'où avec son nom, ses procédés ingénieux seraient passés à la postérité?

Un demi-siècle après, un autre religieux espagnol, mu par les mêmes sympathies, essava de faire l'éducation du fils d'un connétable de Castille. Toutefois, à la différence de son prédécesseur, il ne fit, dit-on, aucun cas de la parole articulée, et n'eut recours qu'au langage des gestes pour déveTopper les facultés intellectuelles de son disciple. Après bien des labeurs, son jeune disciple put épancher ses idées, ses sentiments au dehors. L'instituteur de Castille ne cherclia pas plus que celui d'Aragon à créer une école pour perpétuer son œuvre. (Jules. CHAZOTTES.)

III. Historique de l'éducation des sourds-. muets en France.

Le révérend P. Vanin, précurseur de l'abbé de l'Epée, commence, en 1740, à instruire quelques sourds-muets, entre autres le célèbre Saboureux de Fontenay, et les deux personnes qui furent l'occasion de la découverte de l'abbé de l'Epée. Madame Sainte-Rose, dans le même moment, instruit une sourde-muette dans la rue Saint-Antoine, sans qu'on ait pu découvrir depuis à quelle occasion, ni par quelle méthode. A la même époque, un

vieux sourd-muet d'Amiens, fort habile, donne des leçons à M. de Fontenay et obtient de merveilleux résultats. En 1746, M. Lucas, entrepreneur de bâtiments, se rend à Ganges, dans le département de l'Hérault; il y rencontre encore M. de Fontenay et se charge de continuer son éducation. C'est le moment où le juif Péreyre paraît en France, il se montre à la Rochelle et à Caen, cherchant les fils de famille et venlant sa science au poids de l'or. Il s'installe à Paris, quai des Augustins, dans le magnitique hôtel d'Auvergne, et se fait annoncer plusieurs fois dans le Mercure de France, en promettant de traiter de gré à gré avec les parents. A la vue de M. Saboureux de Fontenay et d'un autre sourd-muet de naissance, M. d'Azy d'Etavigny, rendu à la vie sociale, l'enthousiasme de l'Académie des sciences éclate en témoignages flatteurs, et Buffon est choisi pour présenter un rapport. Le rapporteur trouve à peine des termes pour dire son admiration, et fait de Péreyre l'un de ses plus intimes amis. Cependant Ernaud et Deschamps abordaient hardiment le problème, le premier au point de vue théorique et philosophique, le second au point de vue pratique, et fixaient l'attention des sociétés savantes et de l'opinion. L'Académie, encore émerveillée des succès de Péreyre, félicite Ernaud de ses tentatives sur le jeune Solier, et le modeste chapelain d'Orléans, voit ses travaux et ses succès couronnés simplement par l'Académie de médecine, d'après le rapport du célèbre Hallé. M. de Fontenay ouvrait alors une école à Rennes, et obtenait de trèsbeaux résultats. Il est impossible, même aujourd'hui, de lire sans étonnement les lettres de l'une de ses élèves, publiées par M. le Bouvyer-Desmortiers.

C'étaient là les préludes. En 1760, Charles Michel de l'Epée, le créateur du langage des signes, le messie des sourds-muets, découvre le véritable moyen de faire luire la lumière à l'intelligence captive des sourds-muets, et fonde à ses frais, à la butte Saint-Roch, rue des moulins, l'école des sourds-muets de Paris, la première qui ait été ouverte à ces malheureux dans le monde entier. Une foule d'envieux s'élèvent en Europe pour lui contester cette brillante découverte; mais nul d'entre eux ne conteste la charité universelle avec laquelle l'apôtre cmbrasse dans son amour tous les sourdsmuets du monde entier. M. Ducluzel, intendant de Tours, adresse à l'immortel abbé Mlle Charlotte-Louise-Jacqueline Blouïn, native d'Angers. Cette demoiselle zélée fait des progrès qui surpassent l'attente de son maître. Elle retourne dans son pays avec un certificat signé de son précepteur, et daté du 11 novembre 1783. A l'aide de ce diplôme de capacité,elle ouvre et consolide l'école d'Angers. Sur ces entrefaites, un autre élève du grand maître, M. l'abbé Huby, s'établit à Rouen, et donne des leçons à la manière de son précepteur. On était en 1780, et il n'était bruit en France que des merveil

les de cet enseignement. Mgr de Cicê, erchevêque de Bordeaux, choisit l'abbé Sicard pour étudier la méthode et l'enseigner dans son diocèse. Les choses en restent là jusqu'à la fin du siècle. Mais dès 1800, l'abbé Sicard s'immortalise dans ses séances publiques, où tout Paris se précipite pour jouir de son prodigieux talent de démonsiration. Massieu attire alors sur lui tous les regards. Pendant l'exil du maître et de l'élève, tous les salons de l'Angleterre se disputent l'honneur de les posséder.

La même année, le célèbre Itard parait sur la scène et fonde cette belle école médicale illustrée par Deleau, Menière, Valleroux et Blanchet.

Aucune école nouvelle n'apparaissait de nos jours; le prestige de l'institut de Paris paraissait ne pas admettre de partage. On voit sous l'Empire une sœur se glisser sur les bancs des élèves de l'abbé Sicard. C'était une fille de la Sagesse; à l'aide de ses notes et de ses observations elle instruit d'autres sœurs Auray s'élève en 1807, sous l'habile direction de ces généreuses filles. L'année suivante, M. l'abbé Beulé ouvre l'école de Nogent-le-Rotrou, qui prospère, après de longues années d'épreuves. Six années s'écoulent, et l'école de Rodez s'organise entre les mains de M. Périer; M. Rivière lui succède. En 1815, le sourd-muet Comberry fonde l'école de SaintEtienne; M. Murat, puis les frères de M. de Lasalle le remplacent dans la direction de l'école. M. Dudésert s'établit, en 1816, à Condé-sur-Noireau. Cette école reçoit 12 élèves, dès 1827; ses progrès intellectuels sont remarquables; mais privée de soutien, elle languit, meurt et disparaît. La mène année, M. l'abbé Pernet, élève de Sicard, ouvre un cours à Lons-le-Saulnier; la ville lui vote mille francs de pension; cette ins titution jette un éclat passager et disperalt aussi. En 1816, l'établissement de Caen s'élève riche d'avenir et de puissance. Le noble et généreux abbé Jamet, repoussé par Sicard, découvre lui-même un monde d'idées, et quand plus tard on trainera Sicard et ses procédés aux gémonies, il sera son rempart et son vengeur. Caen possède encore aujourd'hui cent trente sourdsmuets dans ses cours, et étend son influence doctrinale et civilisatrice en Angleterre, en Allemagne et en Amérique. Les écoles ca tholiques de Dublin ont été organisées selon les principes de Caen. En septem bre 1853, venaient à Caen de jeunes Aue ricaines qui arrivaient de l'Etat d'Indiana, pour recevoir les doctes leçons des religieuses du Bon-Sauveur.

En 1817, Mile Duler, qui avait déjà fonde l'école d'Auray, fondait celle d'Arras, oc M. Desongnis devait introduire la méthode de Paris. Cette école a formé M. Degrave, professeur sourd-muet et donné à M. Bet, l'occasion de montrer en faveur des sourds. muets toute son âme, son esprit et son cœur. En 1819, M. Bernard à Marseille, M. Breuil lot à Besançon, fondent des établissements

qui prospèrent dans leurs mains et continuent de rendre au pays de puissants services sous la direction de MM. Guès et Martin. En 1820, M. Sénégond donne des leçons à Laval, et reçoit bientôt huit sourds-muets. Le gouvernement reconnaît, trois ans après, la congrégation des frères de Saint-Gabriel, et l'approuve par son ordonnance du 17 septembre. Cette congrégation paraît spécialement destinée à ce genre particulier d'éducation. Outre les établissements de Nantes, Lille, Soissons, Loudun, qu'elle dessert, elle est encore aujourd'hui appelée à Paris, à Bourges, etc., et le manque de sujets oblige chaque jour cet excellent institut d'ajourner de nouvelles créations.

M. Recoing instruit son fils et imprime sa méthode si admirable dans ses résultats. Son neveu continue son enseignement dans l'institut de M. Bari, à Paris, pendant quelques temps. En 1824, Comberry quitte SaintEtienne, et fonde l'établissement de Lyon, aujourd'hui l'un des premiers de France, grâce au talent et à l'habile administration de M. Forestier. En 1825, l'institut de Paris ouvre une classe spéciale aux sourdes-muettes pauvres, et insère cet avis dans la Gazette de France.

M. Breuillot, à force de zèle, de dévouement et de persévérance, parvient à fonder, en 1824, une nouvelle école à Besançon pour les sourdes-muettes, où la sœur Rousot se signale par son attachement à ses élèves et son abnégation dans tous ses sacrifices. L'année suivante, M. Reussner, sans autre mobile que son amour de l'humanité, sans autre méthode que ses lumières naturelles, se consacre à Strasbourg à la mission d'instruire les sourds-muets. La même année, le célèbre sourd-muet Laurent de Blois se fait connaître, en publiant la méthode à laquelle il se reconnaît redevable de sa belle éducation. En 1826, M. l'abbé Dubourg, de concert avec M. l'abbé Chazottes, crée l'établissement de Toulouse, destiné à se placer au premier rang des écoles de France, par la perfection de sa méthode et l'incontestable supériorité de ses résultats. M. l'abbé Barbe et M. Jules Chazottes sont aujourd'hui les auxiliaires du vénérable et habile fondateur. Dans le même temps, Bébian, cœur aimant, intelligence éclairée, âme volcanique, Bébian, seul digne de porter et de soutenir le sceptre de Sicard son oncle, monte courageusement à l'assaut et assiége à lui seul ce qu'il appelle les vices innombrables de toute une administration inintelligente et malade. Il succombe pour avoir trop osé, et s'en va mourir abreuvé d'amertumes sur le rocher qui l'avait vu naître, après avoir vainement essayé de fonder deux établissements à Paris et à la Guadeloupe. Un an après, en 1827, M. Plantin ouvre l'école du Puy, si florissante aujourd'hui entre les mains des deux congrégations qui la conduisent sous la haute main de l'administration locale. Dans le même temps, M. de Meulan, préfet des Vosges, organise un sem blable établissement à Epinal, où M. Piroux

se rend après avoir achevé de s'initier à cet enseignement à l'institut royal. Mlle Lorrain, qui suivait également les cours de Paris depuis quelques temps, ouvre l'école de Clermont-Ferrand, sous les auspices de M. André d'Aubière, député du Puy-de-Dôme. Cette école, sous l'intelligente direction des religieuses de la communauté du Bon-Pasteur, justifie la confiance de l'administration du Puy-de-Dôme et de la Nièvre, et se consolide de plus en plus.

En 1827, M. de Gérando mentionne un sourd-muet adulte, qui rassemblait à Lesquielles ses confrères d'infortune, pour les instruire à l'aide de ses cahiers de classe de Paris. C'est l'époque où M. Garnier de Lamballe n'étant encore que jeune vicaire, rencontre quelques sourds-muets qui lui révè lent sa véritable vocation. L'année suivante, 1828, les sœurs de Saint-Charles élèvent aux petites filles sourdes- muettes de SaintEtienne un asile protecteur, où la sœur SaintHilaire se signale. En 1830, elle conduit à M. de Gérando, qui passait à Lyon, deux jeunes élèves qui soutiennent, après vingtdeux mois seulement d'école, une conversation par écrit avec l'illustre administrateur de l'institut de Paris. A ce moment, M. Piroux paraît esprit philosophique, organisation active, écrivain infatigable, il se donne la mission d'appeler à lui tous les sourds-muets de l'est de la France, et il réussit dans son entreprise; l'Alsace, la Lorraine, la Champagne, les Ardennes, les Vosges, la Côte-d'Or se font successivement les tributaires de son école, qui a déjà rendu à la vie sociale trois cent soixante sourdsmuets. En 1829, Mme de Germond fonde l'école d'Alby si pleine d'avenir, pendant que M. Georges essaye inutilement de s'établir à Cherbourg. C'est à cette époque encore, que M. Pissin Sicard dirige à Ceignac, château des environs de Rodez, un assez

grand nombre de sourds-muets. M. Zopfmann, en 1830, fait part à M. Ordinaire, recteur de l'académie de Strasbourg, de ses essais couronnés de succès. Le 1" mai, Mlle Méchin, fonde à Paris l'asile des jeunes sourdes-muettes, qui prospère sous l'excellente direction de Mile Deslauriers. Cette œuvre précieuse à tous égards, installée d'abord,impasse des Feuillantines, se trouve aujourd'hui transférée rue Neuve-SainteGeneviève. Elle se trouve sous la haute surveillance de Mme la comtesse de SaintAulaire. L'année suivante, M. Guès fonde son bel établissement de Marseille, et son exemple est imité à Limoges par M. Bertrand, en 1832. Grâce au zèle et à l'appui de M. de Jussieu, Poitiers voit se former une institution de sourds-muets, et grâce à la munificence de M. de Larnay, les filles de la Sagesse s'installent avec leurs élèves dans le charmant château de Larnay, qui devient le titre de l'école.

Quelques sourdes-muettes se consacrent au travail des tissus à Pont-Achard.

Le nord de la France n'avait pas encore

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