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helines de Marseille, où dès l'année 1845 17 sourdes-muettes et plusieurs files aveugles étaient admises. M. l'abbé Laveau, si connu par ses travaux sur la méthode, ou vre l'école d'Orléans et la fait prospérer, d'abord avec le concours des frères de SaintGabriel, puis avec celui de M. Bouchet, sous-directeur, de MM. Charles Legrand, de Tessières, Brevet, Villain, etc., tous professeurs sourds-muets. Au Puy, les sœurs de la Présentation de Saint-Andréol offrent un asile aux petites filles pauvres, et l'adminis

d'établissements de sourds-muets autre que celui d'Arras. M. Victor Dérode, chef d'institution à Esquermes, près Lille, établit dans sa pension une section séparée pour les sourds-muets, et appelle, en 1834, M. Massieu de Rodez. Pendant ce temps-là, les frères de Saint-Gabriel s'établissent à Nantes après avoir quitté la Chartreuse. Massicu s'organise d'une manière indépendante à Lille Mile Cousin et MM. Benjamin et Fayet le secondent dans l'enseignement. La même année, M. l'abbé Chaillet créait à Goux son école du Jura, que ses efforts ne de-tration locale les encourage et les adopte. vaient pas maintenir, pendant qu'à Marseille M. Guès réunissait à son établissement celui de M. Bernard. En 1836, trois écoles nouvelles s'ouvrent. Deux, par les soins des filles de la Sagesse, à Lille et Orléans, et une par le zèle de M. Branche à Vasselin. Ce digne instituteur du département de l'Isère, aujourd'hui âgé de 76 ans et usé par la caducité, instruit encore, quoique sourd et aveugle, quatre sourds-muets pour l'entretien de sa pension, dans une maison particulière qui a eu le bonheur de le recueillir. la composé pour son usage personnel un dictionnaire manuscrit, orné de 800 figures; il a peint 25 têtes en profil, de grandeur naturelle, représentant toutes les positions de la langue, des dents, et même la direction du souffle propre à chaque son et à chaque Jettre, avec un exercice au bas. Cela lui a suffi pour obtenir de ses élèves sourds-muets une réponse verbale et intelligible sur les choses les plus usitées. Il est pénible de voir ce patriarche de l'art, qui a rendu tant de services véritables à la science, délaissé, abandonné, destitué, accablé d'infirmités et réduit, presque octogénaire, à ne manger d'autre pain que celui obtenu par le produit de ses leçons. Son grand âge et sa caducité ne peuvent suspendre ses leçons très-fatigantes, qui abrégent sa vie.

M. Garnier (des Côtes-du-Nord) poursuit ses études et sa mission dans la Bretagne. It donne en 1837 des leçons dans le village de Plestan. Mlle Emery paraît aussi dans la ville du Mans vers le même temps. L'institut de Lamballe est inauguré en 1838. Cette même année, M. Berthier fonde le 27 mai, à Paris, la société centrale des sourds-muets de France, et prélude par cette glorieuse initiative aux associations puissantes qui se sont élevées ces dernières années. A cette époque, M. l'abbé Salvan, élève de l'abbé de l'Epée, donne des leçons à Riom, et meurt le 12 octobre de la même année, âgé de 83 ans, dans sa terre d'Auzole. En 1839, M. Selligsberger, de Strasbourg, ouvre une école à quelques enfants sourds-muets qu'il abandonne bientôt pour prendre des enfants aveugles. L'année 1840 est signalée par l'apparition de quatre nouvelles écoles importantes Marseille, Orléans, le Puy et Soissons. M. Fabbé Fissiaux organise avec un zèle supérieur à tous les éloges, avec un rare talent d'administration et les séductions de son éloquence, l'œuvre admirable et si justement célébrée de la Providence des or

A Soissons, M. l'abbé Dupont renouvelle en sa personne toutes les merveilles de l'abbé Sicard et de l'abbé de l'Epée. Il rencontre un sourd-muet, où plutôt un sauvage, et seul sans appui, sans fortune, il conçoit la pensée de doter le nord de la France d'un vaste établissement, destiné à recevoir et élever les sourds-muets et les aveugles de cette région. Dans le même temps il se met à l'œuvre. Le 2 janvier, sept sourds-muets franchissent le seuil de son presbytère. Mais le presbytère est trop étroit; l'ancienne abbaye royale de Saint-Médard, bâtie jar les rois de Soissons, est mise en vente; il l'achète quarante mille francs. Le premier centime fui manque eh! qu'importe? h Providence y pourvoira. Il sillonne en tous sens la province, il frappe à toutes les pcrtes, il ramasse tous les sourds-muets qu'il rencontre, il les adopte, il les prend, il les ramène; il vole de nouveau; il cherche, il se fatigue, il s'épuise. Trente, quarante, soixante, puis soixante-cinq élèves rassem blés autour de lui l'environnent et lui demandent l'instruction et le pain. Il part de nouveau, il visite les établissements de Paris, Caen, Lille, Rouen, Arras; il copie toutes les méthodes, il interroge tous les professeurs; il triomphe, il rentre avec un butin magnifique, il se met à l'oeuvre, en saluant le plus splendide avenir.

L'œuvre de Saint-Médard était fondée et le créateur de cette œuvre se mourait au mieu de sa nombreuse famille éplorée, le 14 avril 1843. M. l'abbé Poquet, choisi par Mgr de Simony, évêque de Soissons, pour succéder à M. Dupont, soutient l'œuvre chancelante, la consolide, l'agrandit, s'adjoint M. l'abbé Buquoy, puis les sœurs de la Providence. Mgr de Simony lègue en mourant le domaine de Saint-Médard, qu'il avait affranchi parsa l-béralité, à son successeur, Mgr de Garsignes, qui appelle les filles de la Sagesse, les frères de Saint-Gabriel, et qui annexe à son établis sement une institution de jeunes aveugles. En 1843, les sœurs du Sacré-Cœur s'étaldissent à Villedieu, les frères de Saint-Gabriel arrivent en même temps à Fives, et M Vaterloos à Than, dans le Haut-Rhin. A cele époque, M. Jobert de Lamballe essaye le pou voir de l'électricité sur les sourds-muets, i MM. Dupotet, Richard et Lafontaine preten dent les guérir par le moyen du magnétisme animal. Les sourds-muets demeurent sourds muets.

En 1844, M. Dubois fonde son cours d'ar

ticulation; le gouvernement l'encourage. M. Rauh, deux ans après, exploite le même mode d'enseignement. L'école de Véricelle, dans la Loire, s'annonce la même année, ainsi que celle de Vernoux, que fonde dans l'Ardèche M. l'abbé de Saint-Romain. Dans cette même année 1845, on voit le progrès se manifester par de nouvelles créations. Sisteron, Pont-l'Abbé, Périers, Loudun et Chaumont (Puy-de-Dôme) consacrent des établissements à l'éducation des sourds-muets. A Sisteron, dans les Basses-Alpes, c'est M. Castagnier, économe de l'hospice, qui fait l'éducation de deux sourds-muets, et pour lesquels le département lui alloue une subvention de 900 fr. A Pont-l'Abbé, Mme Deviou emploie sa fortune à construire aux sourds-muets de la Manche un asile monumental. A Périers, Mile Lenoir dirige une école particulière. A Loudun, ce sont les frères de Saint-Gabriel, dont le zèle réussit an delà de toute espérance, et qui trouvent dans la population des sympathies assez fortes pour donner naissance à une association puissante, dont les éléments et les résultats franchissent bientôt les limites du département. Vers le même temps, M. l'abbé Dessagnes ouvre son établissement de Chaumont, près Ambert (Puy-de-Dôme), tandis que Mile Pothier transfère celui de Langres à Chaumont, chef-lieu de la Haute-Marne. Madame Cavalhac, maîtresse de pension à Aurillac, commence aussi l'instruction de deux jeunes sourdes-muettes de Saint-Flour; deux institutrices formées an Bon-Pasteur de Clermont la secondent de leur zèle éclairé, et le département adopte et soutient cette institution naissante. Partout se manifeste un mouvement très-marqué en faveur d'une classe si longtemps déshéritée. A Thouars, Thospice propose au conseil général de se charger de l'éducation des sourdes-muettes de la contrée. L'année suivante, en 1847, Mile Gallien ouvre à Vizilie une modeste institution que le département de l'Isère s'empresse d'encourager et de soutenir. C'est à cette époque que le département de la Vienne favorise puissamment l'établissement de Larnay, et que M. l'abbé Fissiaux pense aux moyens de soulager les sourdsmuets délaissés de Marseille.

L'année 1848, malgré les événements potiques, n'arrête pas le mouvement. M. l'abbé Bonnet de Bourg étudie la méthode de Nancy, et médite la création d'une nouvelle école pour les garçons, à l'instar de celle établie Gans la même ville au profit des jeunes filles. A Bayonne, un des plus riches capitalistes de la ville meurt en laissant une fortune colossale aux malheureux; 60,000 fr. sont destinés sur le testament pour subvenir à la creation d'un établissement de sourds-muets. Aucune année ne s'écoule sans ajouter son anneau à la chaîne indéfinie du progrès. Une association se forme à Nancy sur les bases les plus larges pour secourir en même temps Jes aliénés, les orphelins, les aveugles, les sourds-muets de la province. Cette vaste association, présidée par M. le comte de

Riocourt et inaugurée le 27 décembre 1849, est en pleine activité.

Le Berry offre dans le même temps le même spectacle. M. l'abbé Lebret, auparavant professeur à l'Institut de Caen, puis à eelui d'Orléans, fonde l'école du Châtelet. et jette les bases de l'œuvre des sourdsmuets du Berry. Pour mieux réussir dans son entreprise, il transfère son institution naissante dans la ville de Bourges, et obtient du conseil général du Cher la création de trois bourses et d'honorables encouragements. Rappelé dans son diocèse, il quitte à regret son œuvre chérie, et emporte avec Jui les plus unanimes sympathies. La ville de Bourges reconnaissante adopte la jeune institution, et place à la tête de la direction M. Huet.

Pendant que ces faits s'accomplissent à Nancy et à Bourges, des créations analogues s'organisent à Paris, Lyon, Bordeaux, Le Puy, Arras, Soissons. Le 9 décembre, tous les sourds-muets de Paris se rassemblent dans la clinique de M. le docteur Blanchet, sous la présidence de M. Berthier. Là, une commission de cinq délégués est nommée au scrutin secret, pour servir d'intermédiaire avec la société d'assistance et de prévoyance. Cette société tient sa première séance le 30 décembre à la mairie du cinquième arrondissement. 28 médecins, 80 dames patronesses, 5 comités d'assistance, 5 cours publics fonctionnent immédiaten ent sous l'impulsion électrique du créateur de l'œuvre. La princesse Ctzartoriska, les marquises de Bassano, de Boisguilbert, de Boisthierry; les comtesses Duchâtel, de Brulart, de la Bouillerie, de Rémusat, de Closier; les baronnes de Charnacé, de Ladoucette, de Talleyrand, s'empressent de s'enrôler sous la bannière de la charité, et d'organiser une croisade contre le malheur. M. le curé de Saint-Roch accepte la présidence perpétuelle de l'œuvre, et Sa Majesté l'empereur, la présidence honoraire.

Dans le même temps s'organise, sous la présidence de M. Dufaure, une association également importante. Cette association fait aussi remonter l'honneur de son initiative à M. Berthier. Elle se compose d'abord d'anciens ministres, de représentants, des sommités du clergé, de hauts fonctionnaires, de chefs d'administration, d'inspecteurs généraux, de proviseurs de lycées, de savants, de magistrats, de fonctionnaires et de sourdsmuets distingués. Les statuts de la société, discutés dans les séances des 12, 14, 17 et 20 janvier, sont adoptés, et l'association inaugure ses travaux le 31 janvier 1850. Madame la duchesse de Rauzan, les comtesses de Swetchine, de Champagny, de la Ferrière; les baronnes de Laurenceau, de Gérando; Mmes de Parieu, Dufaure, Dufrenoy, Delanneau, de Maleville, de Bossay, etc., composent le comité des dames patronesses. En trois années, cette société avait déjà reçu et consacré aux sourds-muets une somme de 30,550 fr. 31 c., et secouru un nombre intini de misères.

L'article second des statuts de la société centrale d'éducation provoque formellement et favorise la création d'associations correspondantes dans les départements. Cet appel est partout entendu, et le généreux exemple donné à la France par la capitale trouve des imitateurs dans tout l'empire.

Dans le Poitou, une toute petite ville, Loudun, rivalise de zèle avec les plus grandes cités. Sous la présidence de M. Hennecart, représentant et membre du conseil général de la Vienne, une société de patronage fonctionne en faveur des enfants les plus délaissés. Dès la première année de sa fondation elle entretient cinq élèves à sa charge dans l'institution. A Bordeaux, l'asile des SaintsAnges préserve les jeunes sourdes-muettes des dangers du monde et de la misère. A Lyon, le P. Charles, aumônier de l'institut, organise, avec la recommandation de Son Eminence Mgr le cardinal de Bonald, l'œuvre de la providence des sourdes-muettes, et cette œuvre est à peine achevée, qu'il entreprend d'en faire autant en faveur des petits garçons. M. Yung, élève de Nancy, puis professeur à l'institut de Soissons, et Successivement trappiste, chartreux et capucin, le seconde dans l'organisation d'une loterie et dans l'établissement des ateliers destinés à procurer aux sourds-muets du Lyonnais une existence honorable dans le travail de leurs mains.

En 1852, la ville de Montpellier est dotée, à son tour, d'une école de jeunes sourdsmuets. Mme Chagny dispose de sa fortune, et se consacre elle-même à Dieu pour servir, sans partage, ses enfants adoptifs. M. Houyn, professeur de l'institution, sourd-muet, est un jeune homme de talent et d'avenir. L'ardeur des élèves, pour s'instruire, est incomFarable. Les succès sont déjà très-sensibles, et le nombre des enfants admis est de 23. Et ce qui est à peine croyable, plusieurs ont fait leur première communion dans la seconde année.

M. l'abbé Garnier vient d'établir une école au chef-lieu des Côtes-du-Nord, C'est l'anteur d'une méthode for ingénieuse et fort originale, qui consiste à remplacer la dactyLologie et la mimique ordinaire par un autre moyen de communication beaucoup moins long que le premier, et beaucoup plus grammatical et syntaxique que le second. MM. Youf et Cantrel, de Caen, apprécient beaucoup les idées de M. Garnier. Mgr de Garsignies, évêque de Soissons et Laon, et M. l'abbé de Larnay, chanoine de la cathédrale de Poitiers, organisent les moyens de conserver, à ces intéressantes victimes de la nature, les avantages de la vie de communauté dans des asiles, et des ouvroirs soumis à une réglementation spéciale, différente de celle des institutions classiques, et plus appropriée aux besoins des adultes. Ce qui manque encore, ce sont des associations de patronage dont l'action locale et l'énergie spontanée protégent non-seulement l'enfance, dans le but de lui garantir l'instruction, mais protégent encore l'adoles

cence, l'âge adulte et même la vieillesse de tant d'êtres infortunés, que leur infériorité sociale expose aux dangers de tous genres qui assiégent leur inexpérience. (L'abbá DARAS, 1833.) Ce tableau tracé, remontons au fondateur."

IV. L'abbé de l'Epée. - Charles-Michel de l'Epée est né à Versailles ie 25 novembre 1712. Son père était architecte et jouissait d'une certaine aisance. I le destinait à la carrière des sciences où le jeune de l'Epée fit des progrès rapides. A dix-sept ans, ce jeune homme se sentit entraîné vers le clergé. Il se livra à la théologie avec ardeur, mais il resta d'abord à moitié chemin des ordres sacrés, à cause de son attachement aux doctrines de Port-Royal. I embrassa momentanément la profession d'avocat; mais l'évêque de Troyes le ramena à sa profession première, et lui conféra la prêtrise dans son diocèse. L'évêque de Troyes était le neveu de Bossuet. L'abbé de l'Epée refuse un éé ché que lui offre le cardinal de Fleury, vient à Paris et retrouve sur ce théâtre les obstacles qui avaient marqué le début de sa carrière. Lorsqu'il voulut plus tard confesser ses élèves, tout ce qu'il put obtenir de son chef diocésain, ce fut la concession du silence. L'abbé de l'Epée va raconter luimême l'origine de sa tentative de l'enseignement des sourds-muets.

« Le P. Vanin, prêtre de la doctrine chré tienne, avait commencé l'éducation de deux sœurs jumelles, sourdes-muettes de naissance. La mort l'avait surpris au milieu de sa tâche. Je craignais, » dit l'abbé de l'E ̧ée, « que les pauvres jeunes filles ne mourussend dans l'ignorance de leur religion si je n'essayais pas de la leur apprendre; je fus touché de compassion et je résolus de me de vouer à elles. »>

Quelques tentatives avaient eu lieu déjà pour l'instruction des sourds-muets; Pierre Ponce et Jean Bonnet en Espagne; Wallis et Burnet en Angleterre; Emmanuel Romez de Cortone; Pierre de Castro de Mantoue; Conrad Amman en Hollande; Van-Helmont en Allemagne; Péreyre et Ernaud en France, avaient instruit quelques sourds-muets 15lés, mais tous s'étaient imaginé que pr développer l'intelligence du sourd-muet " fallait ini apprendre à parler. Et d'un að" * côté on n'avait pratiqué que l'enseignemed individuel. Il fallait donner à l'enseignemed le caractère d'un bienfait général pour u!! classe entière de la société.

Le langage du sourd-muet isolé est hor comme le cercle de ses idées, mais il se ut veloppe rapidement par le commerce des pareils. Chacun apporte alors son contir z à la masse commune. De nouveaux rapp S de nouveaux besoins font naître d'au idées, d'autres sentiments,et les signes 8vent les progrès de l'intelligence. L'al!l'Epée avait compris toutes les ressual que le langage mimique pouvait off. S l'éducation du sourd-muet, il s'empara ce langage, l'étendit, le perfections, le truisit sur le modèle de nos langues (e%

tion des mots.

tionnelles et le fit servir au développement de ce moment l'abbé de l'Epée ne craignit intellectuel de ses élèves et à l'interpréta- plus pour l'avenir de l'institution. Il mournt le 23 décembre 1789 à l'âge de 77 ans. Son oraison funèbre fut prononcée le 23 février 1790 par le prédicateur ordinaire du roi en présence d'une députation de l'assemblée nationale. La loi des 21 et 29 juillet 1791 consacra les voeux du père des sourds-muets en fondant l'institution de Paris. V. L'abbé de l'Epée avouait avoir puisé dans Bonnet les principaux signes de l'alphabet manuel, et il disait : « Que ce soit M. Bonnet qui l'ait inventé en 1620, ou que ce soit un auteur de plus ancienne date, je croirais perdre montemps, si j'employais seulement deux heures à examiner cette question de fait. »

Il avait à combattre les préjugés répandus sur l'état intellectuel du sourd-muet; il les détruisit en faisant paraitre ses élèves dans des exercices publics auxquels assistèrent des personnes distinguées, des savants de tous les pays, des personnages éminents et les préventions firent place à l'admiration. I publia, en 1774, le recueil des exercices soutenus par ses élèves, et en 1776, sa méthode, dans un ouvrage intitulé ; Institution des sourds-muets par la voie des signes méthodiques. Il en fit paraître, en 1784, une seconde édition sous ce titre : La véritable manière d'instruire les sourds-muets confirmée par une longue expérience. L'abbé de 'Epée voulut étendre aux nations étrangères le bienfait de son enseignement, et pour y parvenir il ne recula pas devant la tache d'apprendre plusieurs langues. Il déclarait renoncer d'avance à toute rémunération de la part des souverains. Pendant son séjour à Paris, l'empereur Joseph II assista aux leçons de l'abbé de l'Epée. Il lui offrit une abbaye dans ses Etats: « Je suis déjà vieux,» répondit l'abbé de l'Epée, « si Votre Majesté veut du bien aux sourds-muets, ce n'est pas sur ma tête déjà courbée vers la tombe qu'il faut le placer, c'est sur l'œuvre même. L'empereur saisit la pensée de l'abbé de l'Epée; il lui envoya l'abbé Storck qui, après avoir recueilli ses leçons, retourna dans sa patrie pour fonder l'institution des sourds-inuets de Vienne. En 1780, l'ambassadeur de Russie étant venu féliciter l'abbé de l'Epée de la part de l'impératrice Catherine II, et lui offrir de riches présents: M. l'ambassadeur, » répondit l'abbé, « dites Sa Majesté que je ne lui demande, pour toute faveur, que de m'envoyer un sourd-muet que j'instruirai. »

L'abbé de l'Epée songea surtout à se donner des héritiers. Un grand nombre d'insfituteurs se formèrent auprès de lui et fondérent ensuite des institutions dans divers pays. Parmi ses disciples on distingue l'abé Stork à Vienne, l'abbé Silvestri à Rome, M. Ulrich, en Suisse, MM. Dangulo et Dalca, en Espagne, MM. Dole et Guyot, en Hollande; les abbés Sicard, Salvan et Cruby, en France. Il était à la fois l'instituteur et le [ère de ses élèves; trente sourds-muets étaient élevés à ses frais; son revenu personnel ne dépassait pas 12,000 livres, mais en s'imposant des privations il suffisait à tout. Durant le rude hiver de 1789, le vénétable vieillard restait sans feu pour ne pas a croître sa dépense personnelle; ses élèves ie forcèrent à acheter du bois. Souvent il leur disait : « Mes amis,je vous ai fait tort de cent écus. » Ce ne fut que dans les dermères années de sa vie qu'il obtint du gouvernement français des subventions qui n'aaient pas manqué aux fondations créées in pays étranger par son concours. On ne s étonne pas de voir le nom de Louis XVI seair se placer à côté du sien. A partir

Un orientaliste distingué, M. Barrois, a publié, il y a quelque temps, un livre intitulé Dactylologie et langage primitif. (Paris, 1850, Firmin Didot, frères.) Dans cet ouvrage, l'auteur a la prétention de prouver que les signes dactylologiques on! été le langage des premiers peuples qui ont habité la terre; que ces signes dactylologiques, toujours les mêmes, reproduits par les monuments artistiques depuis les Assyriens jusqu'au xv siècle, embrassent l'immense période de plus de trois mille ans.

La doctrine chrétienne rejette cette opinion. Elle nous enseigne que Dieu a donné la parole à l'homme en le créant. La femme parle à Adam; Dieu parle à l'homme. Le démon parle à la femme, Adam donne leur nom aux animaux. Il n'y a qu'à lire les trois premiers chapitres de la Genèse.

VI. Détails historiques. Il fut un temps. où l'on étouffait les sourds-muets comme des monstres. L'ignorance des siècles passés a porté saint Grégoire de Tours et saint Augustin lui-même, si éclairé dans un siècle qui l'était au plus haut degré, à parler des sourds-muets avec dédain. On ne s'étonnera pas, après cela, que Condillac, aussi sensualiste que saint Augustin était d'un exquis spiritualisme, les dépouillât des qualités morales essentielles à l'homme, qu'il les qualifiât d'automates ambulants, qu'il leur refusât jusqu'à l'instinct qui dirige les animaux. C'est la dernière expression du système, à notre avis, matérialiste, ayant cet axiome pour base: Nihil est in intellectu quod non priusfuisset in sensu; de même que l'éducation des sourds-muets assure, à notre avis, le triomphe des idées innées.

A l'épreuve, les sourds-muets se sont trouvés des êtres doués d'une pénétration, d'une activité d'esprit merveilleuse et d'une soif d'apprendre quasi-insatiable. Un de leurs professeurs constate (août 1845) devant un nombreux auditoire qu'il n'est pas une pensée si déliée, pas un sentiment délicat qui leur soit étranger ou qui les trouve indifférents. C'est avec enthousiasme qu'ils écoutent le récit des nobles actions. Leur physionomie éclate alors pour ainsi dire et leur cœur s'élance au-devant de la parole dont ils perçoivent les sons. La prière du sourd-muet est non moins passionnée que sa pensée. L'idée sublime qu'il

s'est faite de Dieu se montre dans la profonde extase qui preside à sa dévotion. A le voir, on ne doute pas que le nom de Dieu ne soit écrit au fond du cœur de l'homme, et que la révélation qui lui en est faite ne soit autre chose que le réveil d'un souvenir effacé.

On a vu que ce fut l'empereur Joseph II qui révéla presque à ses concitoyens les miraculeux travaux de l'abbé de l'Epée. Il fallut qu'il vint à Paris, en 1777, pour y découvrir dans sa retraite l'obscur fondateur. Joseph II remplit envers l'abbé de l'Epée le même office quel'Angleterre envers nos industriels de génie, que l'Allemagne, envers nos savants et leurs livres, il le produisit au jour, il l'édita après l'avoir étudié et admiré. Il parla de lui à la reine avec enthousiasme. Marie-Antoinette, qui était avide de nouveauté et douée d'élan, voulut voir l'humble école. Elle la mit à la mode; et la mode s'y porta en foule. Le gouvernement était sur la voie. Un arrêt du conseil du 21 novembre 1778, autorisa la nouvelle fondation.

Le roi, étant instruit du zèle et du désintéressement avec lequel l'abbé de l'Epée s'était dévoué depuis plusieurs années à l'instruction des sourds-muets de naissance et du succès presque incroyable de sa méthode, croit devoir prendre sous sa protection un établissement aussi utile et en assurer la perpétuité.

En conséquence, Louis XVI octroie à l'institution une portion des biens des monastères des Célestins, situés dans le diocèse de Paris. La congrégation avait été supprimée par lettres patentes du 5 avril précédent; ses biens provenaient de la libéralité royale. Afin de venir, par une mesure prompte, au secours d'une institution aussi utile que celle des sourds-muets, etde former des instituteurs capables de perpétuer une méthode aussi intéressante pour l'humanité (c'était le langage du temps), Sa Majesté avait chargé deux des commissaires nommés pour exécuter l'arrêt du conseil du 23 mai 1766 (concernant les ordres religieux), pour veiller à l'emploi des premiers fonds disponibles dans l'intérêt des sourds-muets. Il devait être procédé à l'examen des moyens de fonder à Paris un établissement d'éducation et d'enseignement pour les sourdsmuets des deux sexes et proposé des statuts et règlements pour l'administration de cette maison. Le sieur Taboureau et l'évêque de Rodez sont chargés de recevoir du sieur Bollioud de Saint-Julien, commis à la régie. des biens des monastères supprimés, la somme jugée nécessaire pour la subsistance et l'entretien des sourds-muets sans fortune.

Le projet d'institution dans le couvent des Célestins subit une épreuve de sept années. Il fallut de nouveaux efforts pour obtenir l'installation de l'école en 1785. Un arrêt du conseil du 25 mars de cette année lui accorda une subvention annuelle de 3,400 fr. Pendant la révolution, l'institution des sourds-muets fut transférée du bâtiment

des Célestins dans celui de Saint-Magloire. En 1790, l'abbé Sicard se présente devant l'assemblée nationale à la tête d'une députation de sourds - muets, et sollicite les moyens d'améliorer l'institution. Un décret du 24 août 1790 répondit à peu près évasivement à cette solennelle démarche. L'assemblée renvoya la pétition de l'abbé Sicard, comme elle eut fait de toute autre pétition, au comité de mendicité pour en être incessamment rendu compte, autorisant ce comité à conférer avec les autres comités de l'assemblée, dont la participation était né cessaire pour améliorer le sort de l'établis sement auquel l'assemblée déclarait accorder son intérêt et sa protection.

Un décret de 1791 (21-29 juillet), moins stérile, organise l'institution, qu'il place sous la surveillance du département de Paris; il accorde une subvention et crée 24 places gratuites pour autant d'élèves.

Mais le décret, dans un but d'économie mal entendu, plaçait les sourds-muets dans le même local que les aveugles, dans le couvent des Célestins, près de l'Arsenal.

Un autre décret du 28 septembre, 12 octobre 1791, compléta la fusion. On reconnut plus tard que c'était faire une véritable confusion entre deux systèmes d'éducation dis tincts.

La loi du 16 vendémiaire an V, 7 octobre 1796, en plaçant les hospices sous la sur veillance des administrations municipales, introduisit une exception en faveur des sourds-muets comme des aveugles, elle les mit à la charge du trésor national.

L'école de l'abbé de l'Epée est devenue une institution impériale, un des quatre établissements généraux de bienfaisance que dote le budget. La maison ne reçoit pour tant que le petit nombre de 100 élèves, dout 80 gratuitement, dix à demi-bourse et autant à trois quarts de bourse.

§ II. Sourds-muets à l'étranger.-I. GrandeBretagne.-On compte à Londres six hos wes pour les sourds-muets. Le plus ancien elé fondé en 1792. De l'époque de sa fondation au 1 janvier 1848, il a reçu 2,000 entants du Royame-Uni. Il en contenait, en 1847, 321; en 1848, 343. Ses recettes dépassert 250,000 francs, ses dépenses s'élevent e moyenne à 185,000 fr. Les enfants y re vent une éducation professionnelle, que ques-uns payent pension. Ils ne sont p admis au-dessous de 8 ans et au-dessus of 11 ans 1/2.

Il a été fondé, et 1804, une institution se ciale pour les sourds-muets adultes. E 1845, cet établissement en contenait 30; se recettes annuelles sont d'environ 15,000, ses dépenses n'atteignent pas la moitié cette somme. Les quatre autres asiles re ferment chacun en moyenne de 100 à 18 sourds-muets. Un certain nombre de soc tés charitables vient à leur secours, en de besoin, quand ils ont quitté l'hospice exercer un état.

Voici quelques détails circonstanciës St la forme matérielle et le mode d'enst 5%

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