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sentiments nobles, élève et grandit la pensée; dans d'autres, au contraire, la justesse des théories, la simplicité des moyens, hâtent d'abord le développement de l'esprit, et celui-ci entraîne le développement du cœur. Mais trop souvent la charité qui n'est pas guidée par la science, comme la science qui n'est pas inspirée par la charité s'abuse Ou se décourage. Pour accomplir une tâche qui fait sa gloire, puisqu'elle suppose en elle le feu qui échauffe et la lumière qui éclaire, la saine pédagogie n'aurait pas trop de tous ses moyens.

Les faits que nous avons sommairement exposés intéressent la société au double point de vue de la charité chrétienne et de F'économie politique. Nous croyons avoir établi la vérité des propositions qui forment les conclusions de ce travail : 1° L'œuvre de l'abbé de l'Epée prend chaque jour une extension nouvelle, parce que chaque jour le nombre des sourds-muets et la possibilité de les instruire et d'en faire des hommes utiles sont plus universellement connus. 2o Les cas de mutisme et de surdité sur quelques points de la France sont d'une fréquence extrême; il importerait d'en faire étudier les causes, en même temps que l'on s'efforcerait davantage d'en soulager les victimes. 3° L'existence précaire de presque toutes les institutions nuit à leur avenir; leur caractère privé ne saurait d'ailleurs les soustraire à l'action du gouvernement, ne fat-ce que parce qu'elles sont hors d'état de se maintenir sans les subventions et les secours qui leur sont annuellement accordés. 4 Dans l'état actuel des choses, l'administration n'a aucun moyen de s'assurer si e'est aux institutions qui répondent le mieux à la confiance publique qu'elle accorde ses encouragements et ses secours. 5° Faute d'idées bien arrêtées sur le but essentiel de l'instruction des sourds-muets et sur les

moyens les plus propres à la leur donner, les instituteurs se laissent aller à des errements qui vout contre le but même que la société se propose; d'où la nécessité de relier entre elles toutes les institutions, et de leur imprimer une direction commune. 6 La liberté absolue, sans contrôle, dont jouit cet enseignement, y engendre l'anarchie; cette anarchie finirait par tarir à sa source l'esprit de charité qui l'a créé et le fait vivre, si le gouvernement ne se hâtait d'y mettre un terme. 7° Pour tout résumer en une seule pensée, l'étude des débats qui ont eu lieu au sein des conseils généraux, au sujet des sourds de naissance, démontre jusqu'à l'évidence que cette intéressante partie des services publics réclame une organisation d'ensemble, une direction élevée, une surveillance tutélaire que le gouvernement seul peut lui assurer. (VALADE-GABEL.) III. La gradation des difficultés de l'enseignement est le noeud gordien que personne n'a dénoué. On peut affirmer que parmi tous les instituteurs du globe, on n'en saurait réunir deux qui soient d'accord sur la pre

mière tdée, le premier mot, le premier si gne par lesquels il convient de procéder à l'éducation du sourd-muet. Une salle d'étude, un pédagogue, une férule, un tableau noir, un morceau de craie, un petit disciple dont la tête se trouve aussi vide que le globe d'une machine pneumatique, et dont l'intelligence est la véritable table rase de Descartes voilà la scène classique. Extérienrement, le petit sourd-muet est un bloc de pierre; mais à l'intérieur, dans le sanctuaire de l'âme se trouve une force latente, une flamme assoupie, le souffle de Dieu, cet esprit de vie, ce spiraculum vitæ (Gen. 11,7) inoculé au limon dans le paradis, pour dis tinguer l'homme de la brute. Ce petit sauvage, que son père vous amène d'une distance de vingt lieues, est parvenu jusqu'à l'âge de douze ans, en voyant passer devant ses yeux des images fugitives, qui se réflétaient dans le miroir de son intelligence, sans y laisser plus de traces que nous n'en laissons nous-mêmes lorsque nous passons devant une glace. Mais maintenant, le voilà devant son professeur, et l'heure est venue d'électriser l'esprit vital qui est en lui et d'en tirer des étincelles. Cet enfant déjà grand est un pendule fixe, un piano au repos; mais touchez ce pendule, il révélera la loi des oscillations; touchez ce piano, il en jaillira des flots d'harmonie de même fouillez, creusez, allez jusqu'au cerveau, déterrez cette intelligence, frappez la corde de la faculté intellectuelle, elle vibrera ou elle ne vibrera pas; si elle vibre, les idées, les sentiments, les émotions, les désirs vont éclore en foule; si elle ne vibre pas, c'est qu'elle a été condamnée en naissant à un silence elernel, à l'idiotisme. Oh! quel instituteur ne se souvient de cette première épreuve soien nelle, de cette première leçon donnée au sourd-muet, et dans laquelle un seul signe du maître lui sert de dynamomètre or apprécier la mesure d'intelligence de s jeune élève. (L'abbé Daras.)

IV. Les deux systèmes, l'articulation et la mimique, sont mis en présence dans les axiomes contradictoires qui suivent.

Articulation. Le sourd-muet n'est to talement rendu à la société que lorsqu'on lui a appris à s'exprimer de vive vois, ell lire la parole dans les mouvements des lè vres. (BÉBIAN, Manuel, p. 311.)-Il y a trè peu de sourds complétement sourds. (ITARD

L'oreille affaiblie dès l'enfance et inbe bile à remplir ses fonctions normales, rec vre ces mêmes fonctions par suite dus exercice régulier. (Hussox, Rapport à l'Acr démie.) - Tout père ou mère, maitre « maîtresse, peut se flatter de pouvoir, en de temps, enseigner à parler à un será muet. (BÉBIAN.) Je leur ai ouvert la che et délié la langue; je les ai mis en al de pouvoir prononcer plus ou moins tinctement toutes sortes de syllabes. ¡Lite de l'EPÉE.) — Parlez au soud, pariesouvent, parlez-lui toujours, parlez-jui sa plus tendre enfance, et i finira par ne répondre. (DUBOIS, 1844.)

monde. Tout ce qui entre dans son esprit y entre comme image. Toutes ses sensations sont des images. La véritable_forme de son intelligence est une image. Pourquoi donc n'a-t-il pas le langage de son intelligence, le langage né de la vue et des objets sensibles? Pourquoi ne s'exprime-t-il pas à son tour ainsi que la nature s'exprime devant lui? C'est là l'induction logique. C'est là le nouvel enseignement, et comme tous les enseignements nouveaux, celui-ci est un art qui se renouvelle; comme tous les progrès, celui-ci doit être un retour vers le passé.

Mimique. Jamais l'articulation factice ne détrônera la mimique naturelle. (PÉLISSIER, 1853.) L'expérience a démontré d'une manière générale l'incurabilité du sourd-muet. (MENIÈRE, p. 356.) Croyez-le bien, Messieurs, les sourds-muets auront la notion des sons, comme les aveugles l'ont des couleurs. (BERARD, président de l'acad. de médecine.) Les sourds-muets resteront toujours sourds-muets, malgré toute l'habileté des gens du métier. (ALLIBERT, sourd-muet, Lettre à l'Académie.) -La pantomime parle aux yeux un langage plus passionné que la parole; elle est plus véhémente que l'éloquence même, et aucune langue n'est en état d'en égaler la force et la chaleur. (MARMONTEL.) Grâce à la pantomime, il n'est pas de science si abstraite que l'intelligence du jeune sourd-muet n'aborde, et dont il ne se joue. (BERTHIER.) Le geste est la langue universelle, le type de toutes les langues; c'est celle de l'enfant jusqu'au moment où il peut se faire entendre par des mots, et de l'homme jusqu'à ce qu'il soit passé de l'état sauvage dans celui de la civilisation. C'est la dernière ressource de Thomme civilisé qui a perdu l'usage de la parole, ou à qui l'on parle une langue qu'il n'entend pas; c'est la seule langue du sourdmaet. (BAZOT.)

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V. La multiplicité des idiomes, dit l'abbé Daras, n'est pas une des moindres difficultés à la diffusion des méthodes d'enseigner. Vous avez appris le grec et le latin, vous comprenez l'italien, vous entendez l'anglais, Vous vous hasardez dans l'allemand. Veus croyez pouvoir marcher! le petit manuel de M. Ballesteros vous tombe sous la main; la bibliographie de M. Guyot, ce vaste arsenal de documents vous arrive de Groningue; un excellent ouvrage se publie sur le sujet que vous étudiez à Copenhague. Vous voilà arrêté; avant un an, deux ans, trois ans, cinq ans, dix ans même, vous ne saurez rien de ce qui se fait, de ce qui se dit, de ce qui s'organise, de ce qui se perfectionne, de ce qui se découvre dans le nord de l'Europe. Les choses en sont là; l'ouvrage de Schmalz, de Dresde, publié en 1837 et 1848, qui est à Jui seul une mine inépuisable de renseignements sur toutes les institutions du globe, n'est encore connu en France que par le titre qu'en a donné M. Morel.

VI. Dactylologie.-L'art de s'exprimer avec les doigts n'est qu'un calque pénible et décoloré de la parole. La dactylologie décompose la parole comme la langue écrite, plus que la langue parlée, puisqu'elle ne réunit pas les voy elles en diphthongues et les lettres en syllabes. Elle fait du sourd-muet un parlant mutilé, moins l'oreille et la voix; elle donne pour moule à sa pensée le son qu'il 'entend pas et qu'il ne peut pas reproduire. N'a-t-il donc pas quelque modèle qui soit plus réellement en rapport avec lui, quelque Point de départ qui le mette plus au centre de ses impressions? Il voit! C'est pour lui la communication directe, ouverte avec le

Il ne faut pas se le dissimuler, la langue des signes, si spirituelle en France, si accentuée en Angleterre, si suave en Italie, si rude en Allemagne, si pittoresque en Amérique, cette langue universelle des signes attend toujours son législateur. Elle est découverte depuis un siècle, mais elle n'est pas encore coordonnée d'après des lois na. turelles et immuables. Tous les sourdsmuets du globe ressemblent aujourd'hui à ces peuples primitifs dont l'enfance se formait d'urgence un idiome de première communication. Rien n'est plus original, rien n'est plus intéressant que de voir en France la rentrée de vacances des sourds-muets; ils rapportent tous du foyer paternel, du fond de leurs provinces respectives, un riche butin de signes nouveaux qui leur appartiennent, signes dont ils sont les créateurs, sigues inconnus dans l'enseignement classique et officiel, et d'autant plus supérieurs souvent à ceux de leurs maîtres, que leur origine touche davantage au besoin de communiquer et aux impressions produites sur des sens bruts et des intelligences neuves par le spectacle de la société et de la nature. Mais ce langage de la nature, on le commaire; son génie propre est l'indépendance prend, est le plus mortel ennemi de la gramde toutes lois; il est le seul qui n'ait besoin que des yeux, des doigts et de la physiono. mie pour exprimer les actes de la volonté, les impressions des sens, les sentiments du cœur et les besoins de la vie. On conçoit dès lors la tendre affection et la véhémente ardeur avec lesquelles nos sourds-muets embrassent ce système; si on parvient dans l'enceinte de la classe à subjuguer en eux la liberté de la pensée et l'intempérance de leurs gestes sous l'empire du langage conventionnel de l'école, dès qu'ils sont rendus à eux-mêmes, aux jeux de la récréation et surtout au loisir des vacances, leur premier acte entre eux est de proclamer d'un com-mun accord et par le fait immédiat, l'affranchissement de toute prescription didactique, et de s'initier mutuellement à un échange réciproque d'idées et de sentiments plus rapide que l'éclair. Or là se trouve un immense danger pour le succès de l'éducationclassique du sourd-muet. Tant qu'il sera exposé à cette funeste influence, il perdra en rectitude de langage grammatical tout ce qu'il donnera à la négation de la syntaxe et à l'arbitraire du geste.

C'est pour attaquer ces graves abus, c'est

pour extirper jusqu'à la racine du mal que MM. Pineau et Augereau (en religion, les Frères Alexis et Bernard, de la congrégation de Saint-Gabriel) ont inventé un système nouveau qui a pour jamais réconcilié les signes avec la syntaxe. (L'abbé DARAS.)

VII. Les trois écoles. L'abbé de l'Epée mourut en 1789, l'abbé Sicard en 1822; les Anglais disent que, depuis la mort de l'abbé Sicard, la grande école française n'a plus de chef; depuis trente ans elle n'a pu trouver un conducteur capable d'introduire l'ordre, le progrès, l'uniformité dans son système d'instruction. La vérité est que les institutions françaises ont donné moins de publicité à leurs travaux que les écoles allemandes et américaines, et que l'abandon de ce moyen de progrès pèse dans cette infériorité relative que l'étranger nous reproche aujourd'hui.

En France, en Belgique, le caractère religieux de la très-grande majorité des établisseinents leur impose plus de réserve, on aime à se dévouer secrètement. Il n'en est pas de même chez nos voisins d'outre-Rhin; la presse allemande, tantôt s'élève à perte de vue dans les hauteurs de la psychologie idéologique du surdo-mutisme, tantôt s'enfonce dans les subtiles profondeurs de la pédagogie raison

née.

L'Amérique suit un autre système les établissements des Etats-Unis recevant annuellement leurs subsides sur les fonds de la fortune publique, sont obligés d'adresser haque année, aux législateurs, un rapport officiel, appuyé de documents imprimés, qui grossit singulièrement le volume; mais la série complète de ces rapports offre un mense intérêt au point de vue de l'histoire générale de l'art, et cela se comprend. Je parcours le trente-troisième rapport annuel de l'institut de New-York; c'est un gros volume de 320 pages illustré; il comprend d'abord plusieurs alphabets manuels, une vue sur chine de l'institution, le personnel de l'administration, les comptes du trésorier, détaillés au point qu'on y voit absorbés dans une année 3,450 livres de porc frais, 9,800 huîtres, 10,828 livres de beurre, 4,173 œufs, 20 paniers de pêches, 1,200 paniers de fraises, 900 paniers de framboises, 1,124 pots de melasse de la Nouvelle-Orléans, 1,430 liv. e café de Maracaibo, etc., etc., puis la nomenclature des élèves au nombre de 243, les conditions d'admission, etc., un rapport sur l'institution des sourds-muets de Rome, une étude sur la méthode de l'institut des sourdsmuets de Sienne, etc. Et si, de la nomenclature des chapitres, nous descendons dans le détail; si nous parcourons l'article relatif à la promenade de vacances du célèbre directeur, nous verrons que, sans s'arrêter, il a visité, examiné, apprécié les institutions de sourds-muets et d'aveugles de Rouen, Paris, Lyon, Marseille, Gènes, Naples, Sienne, Rome, Ferrare, Vérone, Genève, Lausanne, Berne, Richen, Strasbourg, Cologne, Amsterdam, la Have, Bruxelles, Liége, Gand, Bruges, Anvers, Londres, Brighton, Edimbourg, Glas

cow, Belfast, Dublin, Liverpool. En rapport de ce genre n'est pas un rapport sur l'école de New-York, c'est un rapport sur la moitié des institutions de l'univers, c'est un travail de géant; or nos collègues de l'Union ont contracté l'habitude d'en faire un semblable tous les ans.

Les hommes compétents reconnaissent que l'école américaine plane au premier rang, non pas seulement par la valeur de ses chefs et la puissance de la doctrine, mais par la hauteur du progrès. D'un autre côté, l'école allemande a juré de faire parler la matière, de dompter la nature, de vaincre un organe rebelle et d'arracher, bon gré mal gré, la parole au sourd-muet; le génie allemand se révèle dans ces efforts désespé rants. Vainement les instituteurs américains et français proclament de concert l'inutilité, le danger des procédés allemands, et proposent de leur substituer le langage du geste; l'Allemagne a horreur du geste, elle arme ses instituteurs d'instruments anatomiques, de machines parlantes, d'automates mécani ques; elle leur commande de fixer la victime sur leurs genoux, de lui ouvrir la bou che, de lui desserrer les dents, de lui dilater le palais, de courber la langue, de mouvoir les lèvres, de distendre le larynx, de gonfler les poumons, de comprimer à la fos toutes les parois de la poitrine, d'expulse l'air, de faire vibrer les cordes vocales, enfin d'émettre au dehors le son oral et d parler. Les instituteurs obéissent, et ilste quittent la machine que quand les ressors de la mécanique out acquis par l'exercice a-sez de souplesse pour obéir à volonté.

Je suis partisan de l'articulation, di M. l'abbé Daras; mon premier travail fut er essai des systèmes comparés de l'enseignement de la parole en France; mis hana nité proteste contre un procédé exclusif d barbare, et on voit à regret l'école scientrionale repousser la lumière : mais là, ca moins, il y a de l'âme, il y a du feu, uya de la vie. L'Allemagne, persévérante et jlouse, s'obstine à soutenir l'honneur de ses traditions nationales; elle est la patrie de '1 parole, comme la France est la patric da gne; elle a donné le jour au plus célèure rval de l'abbé de l'Epée; elle tient à ma nir haut son propre étendard; elle rassecs chaque année dans ses congrès les inst teurs de vingt nations; elle leur donne le d'ordre; elle anime et soutient leur arti Tel est le caractère, telle est la prof. A telle est l'énergie de l'école "alicut no qu'elle triomphera ou qu'elle succu, De impuissante, mais non vaincue.

L'école du Nord, ajoute M. l'alié Pras marche dans une voie fausse; mais } pratique de ses congrès annuels, an fondeur de ses études, par l'honneur qu accorde à l'enseignement et à la caus nérale des sourds-muets, en lur edratieset lace distinguée dans la presse, elle sp évidemment à la suite de l'école am et tient le second rang.

Le France, conclut-il, doit-elle être,

au dernier rang? Oui, pour le moment, il le faut.Quoil cette école française, d'où est partie la lumière qui a brillé sur le monde, cesse-telle d'éclairer les nations? Est-il vrai que nos cinquante écoles ne renferment plus qu'un feu caché, qu'un reste de flamme qui s'éteint dans l'ombre? Est-il vrai qu'entre nos diverses institutions, comme l'étranger nous le reproche, il y a absence complète d'harmonie, et, dans la variété des méthodes, anarchie?

Voici ce que nous lisons dans les actes de l'académie de Bordeaux Au point de vue des méthodes d'enseignement, nos quarante-huit écoles peuvent être classées comme il suit en groupes et en familles.

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« Deuxième famille. - Cellos qui se sont bornées à simplifier la marche grammaticale de l'abbé Sicard, par l'adoption des idées infiniment plus saines de Bébian, forment cette subdivision; nous citerous comme appartenant à cette famille, les écoles d'Arras et de Lyon.

« Troisième famille. Cette troisième subdivision du second groupe est formée des écoles qui sont allées plus loin dans leurs réformes, les unes, en donnant à l'écriture la prédominance sur les signes; les autres, en ramenant l'enseignement à l'intuition des faits; celles-ci, en substituant l'étude de Ja phrase à l'étude des mots isolés; celles-là enfin, en accordant à la parole artificielle une certaine place dans leur enseignement. Jei viennent se placer les écoles de Bordeaux, Toulouse, Nancy, etc.

« Aujourd'hui que l'institution de Paris a ouvert la porte à toutes les doctrines, et que chaque professeur, maître absolu de ses moyens, y fait un cours complet, on peut dire qu'elle doit être comprise dans le deuxième groupe, mais on ne saurait déterminer la famille particulière à laquelle elle appartient. Troisième groupe.

« Le troisième et dernier groupe est formé des écoles qui accordent à la parole la prédominance sur l'écriture et sur les signes, qu'elles emploient cependant dans une certaine mesure; elles rejettent toute méthode, c'est-à-dire tout ensemble de moyens systématisés : ce sont les écoles de MM. Dubois, à Paris; Castagnier à Sisteron; et Thau, à Grenoble.»

Arrêtons-nous, dit M. l'abbé Daras, nous n'avons pas tout extrait; nous avons passé le plus essentiel, mais nous en connaissons assez assez pour pour conclure que l'école française doit être avec droit, d'après ce mémoire, placée au dernier rang; assez pour affirmer que le sceptre et le trône de l'abbé de l'Epée attendent encore un successeur. Mais quoi! en attendant cet avénement, recevrons-nous la loi de New-York et de Berlin? N'avons-nous done aucun rival digne de ces tiers Américains qui s'embarquent chaque année sur l'Atlantique pour inspecter l'Europe? Non ! la France n'en a pas. Je serais fier pour mon pays de pouvoir répéter avec la Presse du 3 avril 1853: « L'école des sourds-muets de Paris a la prétention de marcher à la tête de toutes celles qui existent, soit en France, soit à l'étranger. » Cette parole est noble et grande, est-elle vraie?

La France avait produit, pour le bonheur des sourds-muets, un homme qui avait reçu, en naissant, de la nature une ame aimante, une intelligence rare, un tact sûr, un esprit prodigieux, une éducation brillante. De plus, une exquise politesse, de très-belles 1naissances, de la faveur, du cródit, de la fortune, tout avait contribué de concert à développer heureusement tant de qualités aima

les, et à les faire valoir sur le théâtre distingué où la Providence les appelait. Précepteur des enfants de M. le chancelier de France, puis revêtu d'une haute fonction dans la magistrature, cet homme éminent quitta tout à coup la vie publique pour se faire professeur de sourds-muets. Sans avoir l'or de l'Amérique, sans avoir de mission autre que celle qu'il se donnait à luimême, cet homme entreprend de faire, par le seul mobile du dévouement, plus et mieux que tout ce qui avait été tenté avant lui. C'était en 1840, un soir, dans une chambre baute du château de Flamenville. Il déroula sur la table une mappemonde; seul, cédant à la pensée fixe qui l'obsédait depuis quinze jours, il prit un crayon et traça d'une main febrile, pendant une partie de la nuit, l'itinéraire suivant que la mort seule put interrompre, interrompre, hélas ! au moment où il l'achevait! Cet itinéraire est le projet d'une inspection de tous les établissements de sourds-muets du globe :

1841,

1840. Cette année, visiter les institutions de Paris et du centre de la France. Voir les écoles de la Bretagne, de la Normandie, de la Vendée, du Poitou. 1842. Parcourir le Berry, l'Auvergne, le Languedoc, la Provence. 1843. Voir le Velais, le Dauphiné, la Franche-Comté, la Lorraine. 1844. Visiter l'Etat de Bade, le Wurtemberg, la Saxe, la Bohême, la Bavière, l'Autriche; puis, les Deux-Siciles, la Toscane, l'Italie, Je Piémont; rentrer en France. -1845 Revoir l'Italie, passer en Belgique, pousser jusqu'à Groningue; la Hollande. 1846. Achever la Hollande et passer dans l'Allemagne du Nord, dans la direction de Hambourg, Dresde, Leipsick; revenir par Aix-la-Chapelle. 1847. Revoir le nord-est de la France, passer dans la Suisse et l'Italie septentrionale. 1848. L'Angleterre, l'Ecosse, l'Irlande. 1849. Voyage en Orient et en Asie. 1850. Voyage en Amérique.

Tel fut le plan tracé par cet infatigable

ami de l'humanité; on reconnaît de suite qu'il ne se proposait rien moins que d'inspecter, au profit des sourds-muets, l'univers entier. Evidemment, à lui seul le visiteur dépasse de cent coudées tous ses collègues d'Amérique; à lui seul il a visité plus d'établissements qu'ils n'en ont vu tous ensemble. Ni la course salariée de M. Peet, qui coûta 933 dollars 08 c. à l'institut de New-York, ni la délégation de 1845, qui fut payée 350 dollars, ne sauraient se comparer à cette entreprise gigantesque d'un homme privé, car rien au monde ne l'obligeait à ce sacrifice complet de sa fortune, à cette acceptation volontaire d'une vie pleine d'embarras, de difficultés et de privations. L'illustre magistrat n'avait pas même la consolation de pouvoir dire qu'il travaillait pour lui, il se privait du plaisir si doux au voyageur de relire ses impressions. Cette correspondance si précieuse, unique jusqu'ici dans l'histoire de l'école francaise, cette corespondance qui contient l'histoire de dix onées d'observations, la description des

contrées parcourues, la peinture de ieurs mœurs; celte correspondance, si riche d'aperçus sur toutes les méthodes, de notes sur le personnel des directeurs, de fragments d'auteurs étrangers; cette correspondance, partout redigée avec cette élégance de style, cette noble élévation de sentiments, ce cœur, cette âme, cet esprit, cet abandon d'un ami dans le sein d'un ami, s'anéantissait pour lui, à mesure qu'elle se formait; toutes ses lettres partaient de Rome, de Naples, de Vienne, de Munich, et c'était pour toujours, Il se proposait de les revoir et de les relire, à son retour en France; mais il n'était pas arrivé qu'il partait de nouveau. C'est ainsi qu'il a successivement visité et décrit les institutions étrangères de Carlsruhe, Salzbourg, Magdebourg, Munich, Ratisbonne, Gmünd, Pforzheim, Esshingen, Rome, Naples, Sienne, Modène, Vérone, Villanuova, Vienne, Lintz, Gratz, Berlin, Aix-la-Chapelle, Cologne, Erfurt, Halle, Weissenfels, Dresde, Leipsick, Brunswick, Weymar, Eisenach, Hildesheim, Lansberg. Friedberg, Grümm, Brême, Hambourg, Francfort-surle-Mein, Bruxelles, Gand, Liége, Bruges, Groningue, Rotterdam, Anvers et la Have. Grâce à cet homme, l'école française 100vait se relever au niveau de l'école améri caine et reprendre le rang qu'on lui dis pute, car c'est chose humiliante, dit M. abé Daras, de voir comment nous sommes traités par delà l'Atlantique. Nos collègues de France liront avec fruit, à coup sûr, le jugement porté sur eux par les institu teurs d'une nation qui ne doit ses progrès qu'à l'un de nos sourds-muets que nous avons daigné lui prêter. Ce long voyage dont parle M. l'abbé Daras n'a pas change pratiquement la situation de la France; i en convient plus haut.

VIII. L'intelligence, chez le sourd-muet qu'on soumet à l'enseignement à l'âge adu te midement, faiblement, participant à la molle n'est plus, comme au berceau, s'ouvrant ti délicatesse des organes; chez l'adulte elle une tout autre activité, un tout autre res sort; longtemps comprimée dans les dors liens d'un organisme matériel, il lui tare de réparer le temps perdu. (L'abbé Da RAS.)

Le système suivi en Angleterre classe les idées par famille, avant de les enseigner; e système suivi à Lille, à Bruges, à Br deaux, etc., prend les idées au hasard et comme elles se présentent dans les habitades ordinaires de la vie, pour en former ad tant d'exercices à l'usage des élèves qui en sont témoins. Lequel des deux systèmes pe raft plus propre à révéler aux sourds-mas les divers ordres de connaissances; M. l'abé Daras est d'avis que c'est le premier.

Voici la première leçon de l'institut de Bruges Livre. - Table. - Pain,- (ra A l'institut de Lille : Dé.— Clef - Cas Etui. Couteau. Bijute Compas. Marteau. Montre.

Plume.

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