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se joigent à celle-ci pour contribuer à la convertir à des idées mondaines, au risque d'égarer sa raison et de gåter son cœur; la jeune fille n'avait alors que de douze à quatorze ans. Sa mère essaye des séductions du luxe et des plaisirs. La jeune fille résiste, sa mère emploie les menaces, puis les mauvais traitements, puis les coups. Ce n'est pas la fille, c'est la mère qui tombe malade des suites de la violence de ses emportements, et qui garde le lit durant deux mois. Après avoir recouvré la santé, l'impitoyable mère change de système, couvre sa fille de haillons et la promène par la ville, en la disant atteinte de folie. Elle a recours à des moyens tout aussi acerbes pour la marier, elle resiste encore; mais c'est en vain; on la marie malgré elle; elle sort du lit, où elle était malade des sévices dont on la rendait victime, pour aller à l'autel.

Des mains d'une mauvaise mère, elle tombe dans celles d'un mari brutal qui l'accable de toutes sortes d'outrages; elle est injuriée et frappée de coups, quoique son mari soit gentilhomme et qu'elle soit une des plus belles femmes de son temps. Une fois il la contraint à traverser, dans le cœur de l'hiver, un ruisseau dont le courant rapide entraîne le cheval qui la porte. Elle eût été noyée sans quelques paysans qui la sanvèrent. La sainte femme montre pour son mari nonseulement une obéissance admirable, mais un dévouement et une tendresse à toute épreuve. Elle prie pour lui avec tant d'ardeur et de persévérance qu'enfin elle change son cœur, et, ce qui est encore plus difficile, son caractère se transforme. I la laisse veuve à 23 ans avec trois enfants qui lui restent de six qu'elle avait eus pendant son mariage; elle n'avait rien perdu de sa beauté. Elle est recherchée en mariage par un homme de qualité, qui lui offre honneurs et richesses, au lieu d'une fortune embarrassée que lui laissait son premier mari; elle a juré dans son cœur de se consacrer à Dieu, elle change pour des vêtements de laine les parures que son mari l'avait forcée de prendre. La croix que la Providence avait plantée dans cette terre d'élite, pour employer une expression de la Chronique, devait entrer en elle encore plus profondément. Un médecin qui s'occupait de magie, de complicité avec une fille qui fut brûlée avec lui à Nancy, le 7 avril 1622, jette sur la jeune veuve des yeux de convoitise. I livre assaut à sa chasteté par des breuvages préparés dans cette intention. L'imagination et les sens de MarieElisabeth de la Croix sont ébranlés; mais sa volonté et sa vertu l'emportent. La pénitence et les larmes, dit la Chronique, éteignent les feux impurs que le crime avait alluinés. Elle avait alors 23 ans; la rage du médecin ne lâche pas prise. La Chronique dit qu'à l'aide de ses maléfices, il la rendit possédée du démon. L'évêque de Toul consulte des médecins et des théologiens, et médecins et théologiens tombent d'accord de la réalité des maléfices. Les détails de la Chronique peuvent être mis à côté des curiosités

les plus étranges du somnambulisme, du magnétisme modernes. Plusieurs évêques assistent aux exorcismes, en sorte qu'il est difficile d'opposer au récit une sèche dénégation. Un réligieux Bénédictin interroge la sainte en allemand et elle répond à ses questions, quoiqu'elle ne sache pas l'allemand. On lui parle en italien, la même chose arrive. On pourrait croire qu'elle répondait à la pensée et non aux mots si la Chronique n'ajoutait qu'un docteur fameux l'ayant interrogée en grec elle lui fit également réponse, en lui faisant remarquer qu'il avait fait une faute dans cette langue. Le P. de Lany de l'Oratoire, qui avait été ambassadeur à Constantinople, et qui depuis fut évêque de SaintMalo, lui donna, dans cette langue, plusiers ordres auxquels elle obéit. Elle avait quelquefois des surexcitations qu'on peut croire nerveuses, s'élançait à plusieurs pieds de terre, et cinq ou six personnes pouvaient à peine la contenir; elle gravissait de branche en branche au sommet des arbres avec la même agilité que les auimaux les plus légers.

L'état de possession, pour employer le langage de la Chronique, était chez la sainte l'état ordinaire; elle ne recouvrait la lucidité de son esprit que par intervalles, comme il arrive dans l'aliénation mentale. Dans ces moments, elle retrouvait toute sa piété et vaquait à ses dévotions. Ses conseillers spirituels, l'évêque de Toul, les PP. Cotton et Peré, de la Compagnie de Jésus, lui conseillèrent des pèlerinages. Elle partit avec sa fille aînée, deux servantes et deux valets. Son voyage dura neuf mois. Il était interrompu par des attaques qui se prolongeaient douze on quinze jours. Elle avait été invoquer la sainte Vierge, notamment à Liesse et à Chartres. Elle fut enfin guérie. On écrivit pour et contre sa possession; on soutint même après sa guérison, qu'elle était encore possédée.

Enfin, Marie-Elisabeth de la Croix, put donner une libre carrière aux premiers vœux de sa jeunesse. Sa vocation lui est révélée. Elle fonde un institut qui a pour objet de ramener les brebis égarées. Elle a une vision dans laquelle elle emporte sur ses épaules un fardeau plus doux que les autres croix que la Providence lui avait imposées.

En 1624, elle était à Nancy, quand une demoiselle qui connaissait sa charité vient lui raconter qu'elle a trouvé au coin d'une rue deux filles débauchées auxquelles elle a ouvert les yeux sur leur triste vie, et qui lui ont dit ne pas demander mieux que d'en sortir si elles savaient où trouver un autre asile que l'infâme maison qu'elles habitaient. Les entrailles de la jeune veuve se sont émues, elle s'écrie: Nous devons compte à Dieu de ces deux femmes, il nous les envoie pour les sauver. Elle prie la pieuse demoiselle de les lui amener, et les reçoit avec des témoignages d'une tendresse extraordinaire. Elle les prend sous sa garde, au risque de ce que l'on en pourrait dire, et s'en remet à Dieu du reste. D'autres pau

vres pécheresses sachant avec quelle douceur et quelle compassion ont été traitées leurs pareilles, vont se jeter dans les bras de la jeune veuve. Leur nombre s'élève bientôt à vingt. La plupart étaient en haillons, sans coiffe et avec de méchants souliers aux pieds. C'était un objet de dégoût et quelquefois d'horreur. Marie leur donne tous ses soins, leur consacre toutes ses ressources; elle eût donné pour elles, sa vie même.

Tout annonce qu'elle ne leur avait pas cherché d'autre asile que sa propre maison, car la Chronique mentionne que ce que Marie ne pouvait faire elle-même, elle en chargeait ses trois filles dont la plus âgée n'avait que 15 ans. L'une leur apprêtait leur nourriture, une autre les servait à table, une troisième leur faisait la lecture. L'âge de l'aînée fait connaître que la fondatrice devait avoir à l'époque dont nous parlons, de 30 à 32 ans.

La malignité publique s'attache aux pas de la pieuse veuve. Elle trouve à redire au genre de charité pour laquelle elle s'est passionnée, mais l'évêque de Toul en juge autrement. Il charge le P. Poiré de confesser et d'exhorter les repenties, et son successeur dans l'épiscopat érige l'œuvre de Marie de la Croix, en congrégation. Un certain nombre des repenties, celles, dit la Chronique, que le divin amour avait rendues comme d'autres Madeleines les amantes du Fils de Dieu, entrèrent parmi les religieuses. On mit à la tête de la communauté, pour parler encore comme la Chronique, des filles d'honneur. Les autres et celles qui entraient dans la maison, étaient qualifiées de filles réfugiées.

Les religieuses prirent l'habit au nombre. de 13, le I janvier 1631. La fondatrice en faisait partie, elle avait alors 39 ans. Les réglemente de Notre-Dame du Refuge sont trouvés si parfaits, que le monastère de la Madeleine, qui avait été antérieurement une maison de correction pour les filles et les femmes débauchées, passe dans la communauté de Notre-Dame, qui s'étend bientôt hors de Nancy. La première ville qui demande une maison de cet institut, est Avignon. La mère Marie-Elisabeth s'y transporte avec sa fille aînée et l'abbé Dallemont, supérieur d'alors. La maison d'Avignon fondée, la fondatrice revint à Nancy, où elle mourut en 1649.

La congrégation de Notre-Dame s'implanta à Toulouse, à Rouen, à Arles, à Montpellier, à Dijon, à Besançon, au Puy, à Nimes, à Sainte-Roche. Elle a eu pour patron, outre la sainte Vierge, saint Augustin et saint Ignace de Loyola. Quoiqu'elle admit trois sortes de personnes, savoir: des filles ou femmes vertueuses qui se dévouent au service des pénitentes, des pénitentes dont la retour à la vertu est assez parfait pour qu'elles puissent embrasser la vie religieuse et des pécheresses qui entrent volontairement dans la maison pour se convertir; cependant ces trois sortes de personnes ne

font qu'une seule congrégation. Les repen ties sont placées dans un quartier séparé, mais dans la même enceinte. La règle de la maison est la même pour toutes. Toutes vivent sous le gouvernement de l'évêque et du supérieur. Le nombre des femmes et filles honnêtes est limité, afin qu'il ne manque pas de place pour les pénitentes, et de peur, dit le chroniqueur Hélyot, que, comme il est arrivé en quelques maisons qui avaient été établies pour le même sujet, les filles d'honneur n'occupassent à l'avenir insensiblement les places des pénitentes, chaque religieuse fait profession, outre les autres vœux ordinaires, de ne consentir jamais que le nombre réservé aux pénitentes par les constitutions, soit aucunement diminué. Les femmes mariées qui se présentent, doivent justifier du consentement de leur mari ou d'un acte de séparation. Aussitôt qu'une repentie entre dans le Refuge, elle remplace son nom de famille par un nom de saint ou de sainte, et est qualifiée de sœur. La vue des séculiers est complétement interdite à tout le couvent. Elles ne parlent aux personnes du dehors qu'à travers la grille fermée, en présence de la Mère ou d'une autre religieuse.

(Même année.) Marguerite Duhot, de Lille, n'ayant pas d'enfants, laisse - Voy. HosPITALITÉ, Hôpitaux de Lille ses bieus à l'administratiou des secours publics, pour l'érection d'une maison de correction affectée aux jeunes gens débauchés et mal conditionnés. Les administrateurs obtiennent du pouvoir judiciaire l'autorisation de donner à ce legs un autre emploi.

(1639.) Les Filles de la Providence, ou séminaire de la Providence. - Paris voit s'élever en 1630, une fondation destinée à la moralisation des filles repenties. Les noms qui s'y mêlent témoignent de l'importance qu'elle dut avoir dans son temps. Marie Lumagne (née en 1599), était la seconde de onze enfants dans une famille où la piété était héréditaire, et où cependant elle trouve de la résistance à sa vocation toute reli gieuse. On la force d'épouser, en 1617, François de Pollalion, gentilhomme de la mai son de Louis XIII. Elle reste veuve de bonne heure, avec une fille qu'elle marie en 1639. Dès avant la mort de son mari, et b.en avant cette époque, elle avait pris l'habit da tiers ordre de Saint-Dominique, et s'ela livrée tout entière à la piété. Devenue a servante des pauvres, elle s'attache plis particulièrement à la conversion des filles débauchées. Associée à l'apostolat de SaintVincent de Paul, elle échauffe de son zele les assemblées de charité, et va dans les campagnes en catéchiser les habitants; mais une vocation plus décidée la ramène toujours au soin des filles repenties. SaintVincent de Paul s'empare de son dévoue ment, et la porte à ouvrir un asile aux fe mes qui voudraient sortir du désordre. 14 fondation remonte à 1630. Elle est étalée d'abord à Fontenay, puis à Charonne, s015 le nom de séminaire de la Provident

L'impulsion donnée aux œuvres de charité est si forte alors, que 33 sœurs se présentent pour contribuer au service de la maison; mais la preuve que ce n'est pas assez de vouloir faire le bien, qu'il faut encore le savoir faire, c'est que de 33 prétendantes, 2 seulement sont jugées propres à seconder Mme de Pollalion. D'autres coopératrices ou maitresses lui viennent en aide. On compta parmi elles de jeunes filles de haute naissance, qui renoncèrent à leur rang pour se consacrer au soin des filles repenties, une Renée de Grammont, parente de la duchesse douairière de Lorraine, une Anne de Croze, et d'autres; saint Vincent de Paul va souvent à Charonne les visiter. Enfin, le séminaire de la Providence a l'honneur d'avoir pour son supérieur ce saint illustre, qui le fait autoriser par lettres patentes de 1643. L'archevêque de Paris l'érige en communauté séculière.

Le séminaire de la Providence est pour saint Vincent de Paul une véritable pépinière, d'où il transplante de jeunes filles et de jeunes femmes pieuses, pour former une congrégation nouvelle, vouée à l'œuvre générale de l'enseignement religieux. La maison-mère, conservant sa destination première de moraliser les filles repenties, est transférée, en 1651, à l'ancien Hôpital de la santé, rue de l'Arbalète, que donne Anne d'Autriche à Mme de Pollation. L'institut, à partir de ce moment, s'étend dans les provinces. saint Vincent de Paul dresse pour les filles repenties des règlements qui sont approuvés par l'autorité ecclésiastique. Ils sont revus plus tard par l'abbé le Péleur, supérieur après saint Vincent de Paul, du séminaire de la Providence, avant de venir évêque de Saintes. Mlle le Peleur sa sœur, succéda elle-même comme supérieure à Mme de Pollalion.

Religieuses de Notre-Dame de la Charité, et sœurs de Saint-Michel, à Caen. (1641.) Cet ordre est fondé par le P. Eudes, le même que le fondateur des Eudistes, frère de l'historien Mézeray. Dans les années 1638, 1639 et 1640, pendant que le P. Eudes travaillait aux missions, plusieurs filles et femmes dans le désordre, touchées de ses discours, le prient de leur ouvrir un refuge. Le P. Eudes se borne d'abord à les placer sous la garde de quelques personnes pieuses. Madeleine Amy était une de ces dernières. Elle les reçoit dans sa maison, les instruit et leur apprend à travailler, recueillant des charités pour subvenir à leurs besoins. Le P. Eudes lui vient en aide avec d'autres personnes. Le 23 novembre 1641, on prit une maison a bail; l'un paya le loyer, l'autre les meubles, d'autres offrirent du blé. Le nombre des pénitentes augmente bientôt. Le P. Eudes les visite, les console, réforine leurs mœurs et les conduit à la perfection. La maison de pénitence prend la forme claustrale. Une ch pelle y est annexée, et le P. Eudes célèbre lui-même l'office divin Les échevins de la ville favorisent la Longation.

Dans les commencements, les pénitentes étaient sous la conduite de ces dames pieuses, à qui le P. Eudes les avait confiées. Mais il fait la même remarque que saint Vincent de Paul à l'origine des filles de la Charite. Il découvre que les dames se retirent peu à peu de l'œuvre, à l'exception d'une de ses nièces, et que le gouvernement des pénitentes ne repose pas sur des bases stables. La nièce du P. Eudes avait été adjointe aux dames pieuses dès l'âge de 16 ans ; elle ne connaissait d'autre existence que celle de la maison des repenties, auxquelles sa vie était consacrée. Il n'était pas douteux que la maison ne durerait qu'entre les mains de religieuses, type de la perpétuité dans les sentiments et dans les œuvres. Il fallait choisir entre ces deux moyens, appeler des sœurs de quelque monastère, ou en créer de spéciales qui ajoutassent aux trois vœux de religion, celui de s'employer à la conversion des pénitentes.

On s'arrête à ce dernier projet. Des lettres patentes de Louis XIII, de novembre 1642, permettent d'établir à Caen une communauté où l'on ferait profession de la règle de Saint-Augustin, en y joignant le vœu particulier dont on vient de parler.

La communauté prend le nom de NotreDame du Refuge. Il paraîtrait qu'aux reli gieuses de Caen, vinrent prêter leur concours des sœurs exercées déjà à la conduite des femmes et filles repenties. On suivit dans la maison des règles tracées par saint François de Salles. Le P. Eudes adapta les constitutions à la continuation de l'œuvre. Les repenties sont soumises temporairement à ce que nous appelons le système cellulaire. Il est de règle qu'elles ne seront jamais reçues comme religieuses, quelque parfaite que fut leur conversion. Celles qui ont pour la vie monastique une vocation décidée, doivent être placées dans d'autres couvents. Plusieurs entrèrent dans cette voie. Les autres sont remises à leurs parents, ou bien on leur procure une position honnête.

Un président au parlement de Rouen, Leroux de Langrie, prend le titre de fondateur de la maison. Edouard Molé, évêque de Bayeux, la confirme après hésitation, le 8 février 1651. Les religieuses sont érigées en congrégation par une bulle du 27 janvier 1666. Elles ont des maisons ensuite, à Guingamp, à Tréguier (1678), et à Vannes (1683). En 1720, le cardinal de Noailles voulant établir de nouvelles religieuses dans la maison des filles pénitentes de la Madeleine de Paris (près du Temple), dites Madelonnettes, on lui conseilla d'en demander à l'ordre de Notre-Dame de la Charité de Caen, d'en faire venir de Guingamp. A cette époque, elles ont aussi une maison à Rouen. Six religieuses partent de Guingamp pour Paris, le 9 avril 1720. Le Dictionnaire des ordres religieux donne leurs noms. Elles séjournent quelque temps chez leurs sœurs e Tours, et arrivent aux Madelonnettes à la fin d'avril. La communauté vient les rece

voir à la porte et les conduit processionnellement au choeur et au chapitre, où l'on chante le Te Deum. Elles furent mal accueillies en réalité, et s'en aperçurent dès le souper qu'on leur servit. Elles venaient mettre la réforme dans une maison où chacun voulait vivre à sa guise. On avait essayé pour gouverner les pénitentes, des Visitandines, des Ursulines, et d'autres religieuses encore sans aucun succès, tant la résistance à l'autorité était indomptable au Couvent des Madelonnettes.

Les nouvelles venues furent obligées de chercher autour d'elles des points d'appui. Elles en trouvèrent dans la personne de la marquise de Cray, restée veuve à 22 ans d'un lieutenant général d'artillerie, sur le point de devenir maréchal de France. Cette -dame vivait en chambre au couvent des Madelonnettes, singulièrement choisi à ce qu'il semble, pour un lieu de pieuse retraite. La marquise de Cray procura aux sœurs de Caen la connaissance de Mlle de Chausserais, qui avait aussi un appartement dans la maison, mais où elle ne venait qu'accidentellement, sa demeure habituelle était au château de Madrid (au bois de Boulogne). Fille du marquis de Chausserais, cette demoiselle était douée d'un esprit supérieur et très-estimée à la cour de Louis XIV. Le roi qui en faisait un cas particulier, lui avait fait bâtir une jolie maison dans la cour du château de Madrid, où la duchesse douairière d'Orléans, qui l'aimait beaucoup, lui faisait trois visites par semaine. Sous la Ré gence, elle avait su se faire écouter du duc d'Orléans. Le cardinal de Noailles se joignit à ces deux dames pour soutenir l'autorité des religieuses de Caen. Grâce à cette protection, elles rétablirent l'ordre moral et matériel dans la maison. Mais ce ne fut pas sans des difficultés infinies. Les anciennes religieuses de leur côté, les pénitentes de l'autre, complotaient contre les sœurs de Guingamp, et avaient fait entrer dans la conspiration le confesseur du couvent. Le supérieur de la maison, l'abbé Dozanne, grand vicaire de Paris, n'avait pas su se soustraire lui-même aux fausses suggestions de la cabale. Les sœurs de Notre-Dame de la Charité, en 1723, demandaient à retourner à Guingamp. Le cardinal de Noailles voulant mettre à profit leur incontestable mérite, leur proposa de fonder une maison nouvelle. M. Legrand, curé de la SainteChapelle, fut chargé de leur chercher une maison. En même temps, elles sollicitèrent des lettres patentes. Mlle de Chausserais acheta à son compte une maison bourgeoise dans la rue des Postes, près de la rue de l'Arbalète. Deux sœurs venaient chaque jour de la maison des Madelonnettes presser le travail des ouvriers chargés des travaux d'appropriation. Quand la maison fut en état, on fit venir des sœurs de Guingamp, et dix religieuses de la Charité en prirent possession le 24 juin 1724. L'institution fut dédiée à saint Michel. Le duc de Noailles en était le parrain. Les dames de la Cha

rité quittent leur nom à cette époque, pour prendre celui des dames de Saint-Michel, qu'elles ont aujourd'hui.

Dans la pensée des sœurs, la maison de la rue des Postes devait être le grain de sénevé d'où sortirait un grand arbre; mais la communauté commit la faute de vouloir marcher trop vite; elle creusa sous ses pas le gouffre des dettes. Elle acheta trop légè rement, par exemple l'abbaye de Sainte-Périne, à la Villette, abandonnée par les chanoinesses qui se retiraient à Chaillot. La fondation languit par cette raison. Nous avons vu de nos jours plusieurs fois des religieuses dévouées à la même œuvre des pénitentes, se heurter au même écueil des dettes par un empressement trop peu mesuré de s'agrandir. La foudre révolutionnaire tomba sur l'institut. Des commissaires de l'assemblée nationale, section de l'Observatoire, posèrent les scellés dans la maison de Saint-Michel, et signifièrent aux religieuses d'en sortir dans la huitaine. Elles Touèrent une maison chaussée du Maine, et s'y réunirent au nombre de seize. Elles y observèrent leur règle le mieux qu'elles purent. Il ne leur restait rien. Elles travaillaient nuit et jour pour subvenir à leurs be soins les plus pressants; celles qui ne pou vaient travailler à l'aiguille, allaient dans la campagne ramasser du bois, ou glaner en temps de moisson. On peut voir ailleurs que Dieu ne les abandonna pas.

En 1799, le feu de la charité caché sous la cendre révolutionnaire, se réveille dans les congrégations hospitalières. Les sœurs de Saint-Michel ont perdu leur supérieur l'abbé Lemoine, elles en demandent un autre à l'archevêque de Paris. De jeunes postulantes viennent recruter l'institut du cardinal de Noailles. En 1802, le cardinal Caprara et l'archevêque de Paris, permettent à une des religieuses de porter l'habit reli gieux, et de sortir de la clôture pour les af faires de la maison. La communauté s'établit dans l'ancien monastère des Visitandines de la rue Saint-Jacques, qui prend d'elles le nom de Saint-Michel. Elles étaient en 1808, au nombre de 29, et recevaient 8,000 francs sur le secours annuel que Napoléon 1" alloua aux congrégations hospitalières. En 1830, l'archevêque de Paris, après le pillage de l'archevêché, alla chercher asile entre autres communautés dans le couvent de Saint-Michel. Cette maison, dans un état florissant, a aujourd'hui pour supérieure une sœur de l'établissement de Saint-Brieuc.

L'ordre de Notre-Dame de la Charité de Caen, a pris de l'extension de nos jours. Aut maisons de Caen, de Rennes, de Guingamp, de Tours, sont venues s'ajouter celles de la Rochelle, Toulouse, Nantes, Lyon, Versailles, Marseille, Valence, Besançon, Blois, Montauban et le Mans. Le couvent de Tours a envoyé une colonie à Angers. L'établisse ment d'Angers a pris le nom de maison du Bon-Pasteur d'Angers, et s'est séparé sous ce nom du tronc primitif.

La fondation du Mans est de la filiab

d'Angers. Les maisons de Notre-Dame de la Charité, correspondent entre elles et consignent dans leurs lettres tout ce qui se passe d'intéressant dans leur établissement. Le recueil de ces lettres serait on ne peut plus instructif.

(1648.) Maison de force à Paris. - Dans les premières années du règne de Louis XIV, les filles et femmes débauchées ne sont soumises qu'à des peines pécuniaires. Elles en sont quittes pour changer de quartier. Elles se soustraient aux amendes par la fuite. Elles se cachent sous différents noms. On songe, en 1648, à créer une maison de force pour les enfermer et les faire vivre sous une discipline appropriée à leur sexe, leur âge et leur genre de corruption. La Salpêtrière est destinée pour les recevoir par un règlement du 20 avril 1648, qui érigea le même établissement en maison de correction paternelle pour les mineures au-dessous de 25 ans. Ce premier règlement est confus; le législateur s'y préoccupe plutôt de la discipline et du régime propre aux enfants insubordonnés qu'aux femmes débauchées; nous en avons parlé ailleurs en traitant des diverses destinations de l'hôpital général.

Le règlement ne distingue pas entre les enfants incarcérés sur la plainte de leurs parents et les détenus condamnés. Des filles d'artisan simplement dérangées ou seulement coupables de manquements plus ou moins graves à l'autorité paternelle, sont soumises au même régime et confondues imprudemment dans le même quartier avec les plus hardies prostituées. Le règlement dit bien qu'on les y emploiera aux travaux que leur permettront leurs forces; mais le sort commun des détenues était trop rude pour les unes et insuffisamment sévère pour les autres. Le vêtement, le coucher et la nourriture nous en paraîtraient aujourd'hui presque barbare, et cependant il n'est pas sûr que ce soit nous qui ayons raison sur nos pères. Elles sont vêtues de tiretaine et ne portent que des sabots. Elles n'ont pour se coucher qu'une paillasse, pour nourriture que du pain, du potage et de l'eau ; si on leur permet une nourriture plus succulente, ce n'est qu'autant qu'elles se la procurent par le produit de leur travail. A la moindre faute, le potage est retranché, et les prisonnières sont reduites au pain et à l'eau.

Un seul article du règlement de 1648 est spécial aux femmes et filles débauchées, et cet article, il faut le reconnaître, témoigne d'une prévoyance pleine de miséricorde de la part du législateur. Si quelque pauvre fille, porte le règlement de 1648, veut se retirer du déréglement où elle est tombée, elle sera reçue et traitée charitablement dans le même lieu où elle est retenue prisonnière. On lui fera apprendre l'état qui lui sera le plus avantageux pour gagner sa vie. On la gardera jusqu'à ce qu'on trouve à la pourvoir. En 1684, le type actuel de SaintLazare, le quartier spécial à la prostitution, se dessine tout à fait à la Salpêtrière. Les femmes d'une débauche et d'une prostitution

publique et scandaleuse, et qui en prostituent d'autres, porte le règlement, seront enfermées dans un lieu particulier destiné à cet effet dans la maison de la Salpêtrière, soit qu'on les y conduise au nom du roi ou qu'elles y soient condamnées par sentence du Châtelet sur procès instruits. L'ordonnance confère juridiction au lieutenant de police pour prononcer en dernier ressort. Les femmes débauchées impliquées dans un procès criminel, peuvent être envoyées par le jugement dans la même maison de force.

Les détenues malades sont soignées dans leurs quartiers comme cela existe aujourd'hui à Saint-Lazare, où du reste, les prostituées en traitement sont l'objet d'une douceur et d'un luxe inconnu dans nos plus renommés hôpitaux. (Voir ci-après.)

Le régime de 1684 est le même que celui de 1648. Les récluses entendent la Messe les dimanches et fêtes; elles prient Dieu en commun un quart d'heure le matin et autant le soir. Durant la journée on leur fait lecture du catéchisme et de quelque livre de piété pendant le travail. On punit les jurements, la paresse, les emportements par le retranchement du potage, le carcan, les malaises durant un certain temps de la journée, ou d'autres punitions semblables. (Règlement du 28 avril 1684.) Mais à la même date une ordonnance royale toute particulière donne une forme plus arrêtée au quartier des repenties. Ce quartier avait porté depuis son origine le nom de maison de refuge, c'est le nom que lui donne l'ordonnance royale du même jour 20 avril 1684.

La maison de refuge de 1648 avait un inconvénient que signale l'ordonnance de 1684. Elle était située ou bâtie de telle sorte que l'on pouvait, sans une très-grande dépense, la rendre aussi sûre qu'elle était nécessaire et retrancher aux femmes qu'elle contenait, quelque reste de commerce avec: ceux qui allaient et venaient dans les quartiers qui avoisinaient celui-là. La nouvelle ordonnance alloue les sommes nécessaires pour défrayer la maison de refuge, ou l'on n'a pu recevoir, faute de revenu, que celles qui payent pension. Elle devra recevoir à l'avenir quarante repenties adultes et 200 enfants. Ils y seront nourris à part et préservés de la corruption des femmes et des tilles, qui non-seulement leur donnent le mauvais exemple, mais les débauchent dans la prison; on les instruira des devoirs religieux et on les contraindra au travail ; on tiendra à leur égard une conduite propre à changer leurs mauvaises inclinations.

(1656). Sainte-Pelagie. Cette institution fut désignée aussi par le nom de Refuge, et d'hôpital du Bon Secours. A l'origine de la fondation de l'hôpital général, une partie des dépendances de la Pitié fut destinée par les administrateurs à l'enfermement des femmes et filles débauchées, mais bientôt le nombre des mendiants et mendiantes de toute nature s'accrut tellement qu'on employa à les loger plusieurs bâtiments et deux cours consacrés d'abord à l'usage de la mai

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