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Nous pouvons, à titre d'exemple, citer un cas qui s'est présenté récemment et qui démontre, jusqu'à l'évidence, l'utilité,

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l'indemnité, et, dès le lendemain, le Sénat était saisi de la proposition. Mais le Gouvernement, ayant égard aux sérieuses difficultés du principe nouveau, a invité le conseil d'Etat à formuler son avis sur le texte ainsi voté. Dans sa séance du 2 juin 1892, le conseil, sur le rapport de M. le conseiller Jacquin, a adopté un contre projet que le Garde des sceaux a déposé, à titre de projet de loi, sur le bureau du Sénat, le 28 juin, dans les termes suivants : << ART. 1er. Le chapitre 3 du livre II du titre III du code d'Instruction criminelle est remplacé par le chapitre suivant: Chapitre III. Des demandes en révision et des indemnités aux victimes d'erreurs judiciaires. ART. 443. La révision pourra être demandée en matière criminelle ou correctionnelle quelles que soient la juridiction qui ait statué et la peine qui ait été prononcée : -- - 1o Lorsque, après une condamnation pour homicide, des pièces seront représentées propres à faire naître de suffisants indices sur l'existence de la prétendue victime de l'homicide; 2o Lorsque, après une condamnation pour crime ou délit, un nouvel arrêt ou jugement aura condamné pour le même fait un autre accusé ou prévenu et que les deux condamnations, ne pouvant se concilier, leur contradiction sera la preuve de l'innocence de l'un ou de l'autre condamné; - 3° Lorsqu'un des témoins entendus aura été, postérieurement à la condamnation, poursuivi et condamné pour faux témoignage contre l'accusé ou le prévenu; le témoin, ainsi condamné, ne pourra être entendu dans les nouveaux débats; 40 Lorsque, après une condamnation, un fait viendra à se produire ou à se révéler, des pièces inconnues lors des débats seront représentées, de nature à établir l'innocence du condamné.

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ART. 444. Le droit de demander la révision appartiendra, dans les trois premiers cas: 10 au ministre de la Justice; 2o au condamné; 3° après la mort du condamné, à son conjoint, à ses enfants, à ses parents, à ses légataires universels ou à titre universel, à ceux qui en ont reçu de lui la mission expresse. Dans le quatrième cas, au ministre de la justice seule

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ment. La Cour de cassation, Chambre criminelle, sera saisie par son Procureur Général, en vertu de l'ordre exprès que le Ministre de la Justice aura donné, soit d'office, soit sur la réclamation des parties invoquant un des trois premiers cas. La demande de celles-ci sera non recevable pour

les cas déterminés aux no 2 et 3 de l'article précédent, si elle n'a pas été inscrite au ministère de la Justice dans le délai de deux ans à dater du jour où elles auront connu soit la seconde des condamnations inconciliables, soit la condamnation du faux témoin. Dans tous les cas, l'exécution des arrêts ou jugements dont la révision est demandée sera de plein droit suspendue sur l'ordre du Ministre de la Justice jusqu'à ce que la Cour de cassation ait prononcé, et ensuite, s'il y a lieu, par l'arrêt de cette Cour statuant sur la recevabilité. ART. 445. - En cas de recevabilité, si l'affaire n'est pas en état, la cour procédera directement ou par commission rogatoire à toutes enquêtes sur le fond, confrontation, reconnaissance d'identité, interrogatoires et moyens propres à mettre la vérité en évidence. Lorsque l'affaire sera en état, si la

la nécessité de la loi soumise aux chambres et dont nous venons de relater le projet. X... avait été poursuivi en police cor

cour reconnaît qu'il peut être procédé à de nouveaux débats contradictoires, elle annulera les jugements ou arrêts et tous actes qui feraient obstacle à la révision; elle fixera les questions qui devront être posées et renverra les accusés ou prévenus, selon les cas, devant une cour ou un tribunal autre que ceux qui auront primitivement connu de l'affaire. Dans les affaires qui devront être soumises au jury, le Procureur général près la cour de renvoi dressera un nouvel acte d'accusation.

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ART. 446. Lorsqu'il ne pourra être procédé de nouveau à des débats oraux entre toutes les parties, notamment en cas de décès, de contumace ou de défaut d'un ou de plusieurs des condamnés, en cas de prescription de l'action ou de la peine, la cour de cassation, après avoir constaté expressément cette impossibilité statuera au fond sans cassation préalable, ni renvoi, en présence des parties civiles, s'il y en a au procès, et des curateurs nommés par elle à la mémoire de chacun des morts, dans ce cas, elle annulera seulement celle des condamnations qui avait été injustement portée et déchargera s'il y a lieu, la mémoire des morts. Lorsqu'il s'agira des cas de révision exprimés aux numéros 1 et 4 de l'article 443, si l'annulation de l'arrêt à l'égard d'un condamné vivant ne laisse rien subsister qui puisse être qualifié crime ou délit, aucun renvoi ne sera prononcé.

Art. 447. L'arrêt ou le jugement de révision d'où résultera l'innocence d'un condamné pourra, sur sa demande, lui allouer une indemnité, à raison du préjudice matériel que lui aura causé la condamnation. Si la victime de l'erreur judiciaire est décédée, le droit de demander une indemnité appartiendra à son conjoint, à ses ascendants, descendants, frères et sœurs justifiant d'un préjudice matériel résultant pour eux de la condamnation. La demande sera recevable en tout état de la procédure en révision. L'indemnité allouée sera à la charge de l'état et payée comme frais de justice criminelle. Les frais de l'instance en révision seront avancés par les demandeurs jusqu'à l'arrêt de recevabilité; pour les frais postérieurs à cet arrêt, l'avance sera faite par le Trésor. Si l'arrêt ou le jugement définitif de révision prononce une condamnation, il mettra à la charge du condamné le remboursement des frais envers l'État et envers les demandeurs en révision, s'il y a lieu. Le demandeur en révision qui succombera dans son instance sera condamné à tous les frais. - L'arrêt on jugement de révision d'où résulte l'innocence d'un condamné sera affiché dans la ville où aura été prononcée la condamnation, dans celle où siège la juridiction de révision, dans la commune du lieu où le crime ou le délit aura été commis, dans celle du domicile des demandeurs en révision et du dernier domicile de la victime de l'erreur judiciaire, si elle est décédée. Il sera inséré d'office au Journal officiel et sa publication dans cinq journaux, au choix du demandeur sera en outre ordonnée, s'il le requiert. - Les frais de la publicité ci-dessus pré

vue seront à la charge du Trésor.

ART. 2. Dans tous les cas où la connaissance, par les parties, de la condamnation donnant ouverture à la révision dans les termes de l'article 443, §§ 2 et 3, serait antérieur à la présente loi, le délai fixé par l'article 444 pour l'inscription de sa demande courra à partir de la promulgation.

rectionnelle sous l'inculpation d'avoir détourné un objet qui lui avait été confié; sur la déposition du plaignant, X... fut condamné. Un an plus tard environ, il fut établi que l'objet n'avait en aucune façon été détourné ; le plaignant lui-même dut le reconnaître; mais ce dernier ayant été poursuivi à son tour pour faux témoignage, la preuve de sa mauvaise foi ne put être rapportée, et il bénéficia d'un acquittement. Il n'en était pas moins certain qu'aucun fait délictueux n'existait à la charge de celui qui avait été condamné pour abus de confiance. Et cependant, dans l'état actuel de la législation, la condamnation de X... ne peut être effacée de son casier judiciaire. Que la loi sur les demandes en révision soit votée, et l'article 443 § 4 permettra de réparer une erreur imputable à la légèreté d'un plaignant et dont un honnête homme supporte actuellement les conséquences.

Déjà, à plusieurs reprises, depuis la promulgation du Code pénal de 1810, des tentatives avaient été faites pour introduire dans notre législation le principe si équitable de l'imputation, ou mieux, de la défalcation de la détention préventive. Ces essais, qui remontent aux deux dates principales de la révision de notre Code pénal, à 1832 et à 1865, avaient échoué et il était réservé aux législateurs de la République de reprendre cette œuvre d'humanité et de la mener à bonne fin, après quelques tâtonnements et des retards occasionnés par un changement de législature.

La loi nouvelle n'a fait d'ailleurs, que suivre l'exemple de nombreuses législations étrangères.

MM. Félix Le Roy et de la Batie, dans l'exposé des motifs de leur proposition de loi, analysent ainsi ces législations:

« Le Code pénal belge, promulgué le 15 octobre 1867, c'està-dire depuis plus de vingt ans, porte, dans son article 30, que toute détention subie avant que la condamnation ne soit devenue irrévocable, par suite de l'infraction qui donne lieu à cette condamnation, sera imputée sur la durée des peines emportant privation de la liberté. V. sur cet article, A. Decourteix, L'imputation de la détention préventive sur la peine, p. 11 et suivantes.

Même disposition dans l'article 94 du Code hongrois des crimes et délits, du 14 juin 1879, aux termes duquel la durée d'une longue détention préventive, subie par un prévenu, sans qu'il y ait de sa faute, sera imputée sur la peine privative de la liberté ou sur l'amende.

D'autres législations accordent seulement aux Tribunaux la faculté d'ordonner par le jugement que la détention préventive sera imputée en tout ou en partie sur la peine prononcée. C'est le principe admis par le Code pénal allemand du 31 mai 1870, dans son article 60, auquel le Code de procédure pénale de 1877 ajoute un certain nombre de cas où l'imputation est obligatoire; par l'article 57 du Code danois de 1866 et par l'article 27 du Code néerlandais de 1881.

D'après le Code pénal russe (art. 153), la longue détention préventive est une cause de mitigation de la peine et le Code de Genève, dans son article 23, se borne à recommander au juge, dans l'application de la peine, de tenir, autant que possible, compte de la durée de la détention préventive ».

Le Code pénal italien, en vigueur depuis 1890, admet en principe que « l'emprisonnement subi jusqu'au jour où la sentence devient irrévocable sera déduit du calcul des peines temporaires restrictives de la liberté individuelle (1).

Nous avons dit combien nous trouvions équitable, en principe, la réforme apportée à notre Code pénal par la loi du 15 novembre 1892.

Mais faut-il en conclure qu'elle sera toujours utile aux condamnés en faveur desquels elle a été votée ?

Critiquant, dans son rapport au Sénat, le 13 juillet 1889, le régime antérieur à la loi proposée, M. Morellet s'exprime ainsi : « Ce système aboutit, dans la pratique, plus particulièrement lorsque la détention préventive a été de longue durée, à des résultats absolument mauvais. Le Juge proportionne-t-il la peine qui figure dans son jugement à la gravité du délit, cette peine, juste en soi si on la considère isolément du fait de la détention provisoire qui l'a précédée, devient excessive, en fait, en s'ajoutant à cette souffrance antérieure.

(1) Dalloz périodique, 1893, 4 partie, page 1, note 1,

Le juge, au contraire, pour éviter un tel résultat, prononcet-il une moindre peine, dans la détermination de laquelle il fait entrer en ligne de compte la détention préventive, il cesse alors de proportionner la peine à la criminalité du fait poursuivi; l'exemplarité de la condamnation n'est plus entière; le casier judiciaire du condamné ne porte qu'une peine insuffisante, et le jugement, dont les conséquences juridiques dépendent, au point de vue de la récidive et au point de vue des déchéances encourues, du montant de la condamnation qui y est portée, reste audessous de ce qu'exigeraient l'appréciation directe de la culpabilité et les nécessités d'une ferme répression!

« Aussi le magistrat se trouve dans cette cruelle alternative: ou de s'inspirer des nécessités de la répression et de blesser l'humanité; ou d'écouter l'humanité et de manquer à la fermeté qu'il doit avoir.

<< Il lui faut forcément, être trop sévère ou trop faible! »> Il faut tout d'abord remarquer que le reproche d'excessive indulgence adressé aux juges était beaucoup plus souvent encouru par eux que n'était méritée la critique contraire. Les magistrats, connaissant la longue détention préventive de celui qu'ils avaient à juger, lui en tenaient compte, presque toujours, en abaissant la peine. Ils ne seront plus, aujourd'hui, retenus par cette considération d'humanité. Ils n'hésiteront pas à infliger à l'inculpé la punition qu'ils croiront proportionnée à l'infraction; à condamner, par exemple, à 3 mois et 1 jour ou 4 mois d'emprisonnement un délinquant qui aura déjà subi un mois de détention préventive et auquel, grâce au nouvel article 24 du Code pénal, il ne restera plus à faire que 2 ou 3 mois pour avoir purgé sa condamnation. Les peines de 3 mois et 1 jour ou 4 mois n'en figureront pas moins au casier judiciaire et l'on voit sans peine les conséquences de cette indulgence relative au point de vue de la récidive, et notamment en ce qui concerne l'application éventuelle de la loi sur la relégation.

On peut dire, sans rien exagérer, que la loi du 15 novembre 1892 est un bienfait redoutable pour le condamné: il subira peut-être une détention moins longue qu'autrefois, puisque le point de départ de sa peine sera le jour où il aura été détenu ;

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