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Je crois pouvoir vous le dire. Si vous ne voulez pas aujourd'hui que la justice puisse, jusqu'au bout, réparer le dommage qu'une erreur a pu entraîner, vous verrez que la conscience publique ne se satisfera pas de cette solution imparfaite et que, tôt ou tard, elle réclamera la réforme que vous pourriez réaliser aujourd'hui (Très bien! très bien! et applaudissements sur un grand nombre de bancs »).

Nous avons tenu à reproduire intégralement cet admirable. discours, parce qu'il a une importance considérable au point de vue de la réforme que nous demandons et que, comme il l'avait prédit, demande l'opinion publique.

Au début de la séance du 12 février 1894, M. Guérin répond à M. Bérenger par un éloquent discours que nous avons précédemment analysé (1). Sur la question de l'indemnité aux acquittés ou relaxés, il déclare qu'il lui est «< impossible de suivre la Commission sur ce terrain » et « considère comme extrêmement dangereux, tant au point de vue de la bonne administration de la justice qu'au point de vue financier, de s'engager dans la voie » suivie par la Commission. Il aperçoit « un premier danger à ouvrir ainsi à toute personne qui aura été l'objet d'une poursuite injuste le droit de réclamer à l'État des dommagesintérêts. Et ce danger, ajoute-t-il, l'honorable M. Bérenger l'a signalé lui-même dans son rapport; c'est d'inspirer à l'action publique les plus regrettables hésitations. Voilà un magistrat instructeur à qui un crime ou un délit est dénoncé ; il n'a point encore d'indices suffisants pour établir nettement la culpabilité de celui qu'il soupçonne d'être l'auteur de ce crime ou de ce délit, mais il en a assez pour faire peser sur lui certaines charges. Il estime que l'arrestation de ce prévenu est absolument nécessaire pour arriver à la découverte de la vérité. Ne craignez-vous pas, Messieurs, que si la conséquence de cette arrestation et de cette détention préventive doit être un procès en dommages-intérêts contre l'État, le magistrat hésite, recule et ne procède pas à cette arrestation, qui pourtant, était nécessaire et qui s'imposait ?....

(1) V. suprà, ch. II (suite) et Journal officiel du 13 février 1894.

1

« Il y aura lieu à indemnité,

nous dit l'honorable M. Bérenger s'il résulte de la décision qui met fin aux poursuites, c'est-à-dire de l'acquittement ou du non-lieu, ou bien que l'innocence est reconnue ou que le fait ne constitue ni crime ni délit.

Messieurs, comment a-t-il pu échapper à un jurisconsulte aussi éminent, à un esprit aussi distingué que M. Bérenger, que jamais, ou presque jamais, la décision mettant fin à une poursuite ne démontrera l'innocence?

<«< Voyons, allons en Cour d'assises. Vous savez mieux que moi comment les questions sont posées au jury et dans quels termes i rend son verdict. Ce verdict n'est jamais motivé; il se résume par ce simple mot: « non » ou « oui ». Est-ce dans le verdict du jury qui prononce l'acquittement d'un accusé que vous allez trouver la démonstration de l'innocence de cet accusé ?

<< Allons en police correctionnelle. Vous savez aussi bien que moi que la plupart des jugements qui acquittent, ne démontrent nullement l'innocence du prévenu. L'acquittement est dicté, dans une foule de cas, par des considérations absolument étrangères à l'innocence.....

«Et l'ordonnance de non-lieu, est-ce qu'elle démontre davantage l'innocence? Elle n'est même pas une décision judiciaire. Elle est si peu une décision, elle a si peu un caractère définitif que, si des charges nouvelles viennent à se produire, l'instruction peut être reprise contre le prévenu.....

« J'admets enfin que le non-lieu ou l'acquittement établisse que le fait reproché ne constitue ni crime ni délit. Est-ce que vous allez accorder une indemnité même dans ces cas-là? Mais, Messieurs, il y a une foule de faits qui échappent à la loi pénale et qui sont les actes répréhensibles qui tombent sous le coup de la loi morale..... Voulez-vous me permettre de vous citer un exemple. Vous connaissez aussi bien que moi, le délit d'escroquerie et le délit d'abus de confiance : ce sont deux délits extrêmement complexes qui nécessitent, pour exister, le concours d'un certain nombre de circonstances. Si une seule de ces circonstances fait défaut, le juge est obligé d'acquitter, parce

qu'il n'y a ni abus de confiance, ni escroquerie; et, cependant, il y a eu un acte d'indélicatesse; il y a un prévenu qui a failli aux lois de la morale et de l'honneur: L'admettrez-vous à faire à l'Etat un procès en dommages-intérêts? >>

M. LE RAPPORTEUR et M. MORELLET: « Non, parce qu'il y aura eu faute de sa part ».

(A suivre.)

A. BERLET,

Procureur de la République à Baugé,

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des. Dénonciation préalable du Ministre de la guerre.

I. Par sa généralité même, l'expression « agents » employée par l'article 433 du Code penal comprend tous les individus qui, sous les ordres ou suivant mandat du fournisseur, ont coopéré ou participé à un titre quelconque, en connaissance de cause, à une fourniture militaire.

En conséquence, cet article est applicable au fabricant qui a reçu d'un adjudicataire la commande de fournitures destinées aux armées et a commis des fraudes dans les livraisons. Peu importe qu'il n'y ait aucun lien de droit entre l'Etat et ce fabricant.

II. La fraude prévue par l'article 433 suppose l'intention coupable; par suite, elle ne peut résulter d'une simple négligence du four

nisseur.

III.

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Le retard est punissable, alors qu'il est le résultat d'une simple négligence, indépendamment de tout prejudice.

IV.

La dénonciation préalable du ministre de la guerre doit viser les faits criminels ou délictueux eux-mêmes ; il n'est pas nécessaire qu'elle vise les auteurs du crime ou du délit dont un ou plusieurs peuvent être inconnus au moment de la plainte.

MIN. PUBL. contre ALLEZ ET AUTRES.

LE TRIBUNAL,

En la forme:

Attendu que l'Etat, représenté par le ministre de la guerre, pré

JOURN. DES PARQ.

2 PARTIE.

10° ANNÉE.

1

tendant qu'un dommage lui a été causé par les délits reprochés aux prévenus, a incontestablement intérêt et qualité pour se porter partie civile dans l'instance et réclamer la réparation de ce dommage; Au fond:

Attendu qu'aux dates des 28 février et 12 mars 1894, le magasin central du service militaire a commandé à Allez père et fils, en exécution de leur marché de gré à gré du 2 février précédent, trente réservoirs à eau en tôle galvanisée de la contenance de 8 litres, livrables pour partie le 4 avril, et pour le reste le 14 avril 1894;

Attendu qu'Allez père et fils ont chargé Maisonneuve de confectionner ces trente réservoirs aux termes de deux notes de commande ainsi conçues: «< 12 mars 1894, 20 réservoirs à eau; tôle galvanisée de 8 litres, exactement conformes au modèle des hôpitaux militaires, à 6 kil. 80, garantie de réception. Livrer avant le 4 avril »> ; 13 mars 1894, 10 réservoirs à eau de 8 litres, modèle des hôpitaux militaires, garantie de réception. - Livrer avant le 10 avril »> ; qu'ils ont fait parvenir en même temps l'un des deux modèles-types du magasin central (dans l'espèce, le prototype), qu'ils avaient euxmêmes reçu du service des hôpitaux pour l'exécution de ces commandes ;

Attendu qu'à la date du 30 avril seulement ils ont livré au service de santé les trente réservoirs tels que Maisonneuve les leur avait lui-même livrés, et sans s'être personnellement assurés de leur bonne confection et de leur conformité au modèle fourni;

Attendu que la commission de réception a procédé le 10 mai à l'examen desdits réservoirs et à leur comparaison avec ledit modèle (dans l'espèce, le prototype), lequel avait été rapporté au magasin ceutral en même temps que les réservoirs fabriqués par Maisonneuve; qu'elle en a prononcé le rejet et prescrit le remplacement par les motifs suivants : « Confection inférieure à celle du type. En outre, bien qu'étant confectionnés avec de la tòle un peu plus mince que celle du type, ils pèsent en moyenne 220 grammes de plus que le type. Cet excédent est obtenu par une masselotte de plomb coulé à l'intérieur et des soudures fortement prononcées à l'intérieur; >>

Attendu que cette décision a été notifiée le lendemain 11 mai à Allez père et fils; que ceux-ci, n'ayant pas cru devoir user du droit qui leur était conféré par le cahier des charges de se pourvoir contre ladite décision et de réclamer l'expertise, les trente réservoirs refusés ont été, à l'expiration du délai de pourvoi, frappés du timbre de rejet R, incrusté dans la tòle par un coup de marteau;

Attendu qu'Allez père et fils ont fait enlever ces réservoirs et les ont renvoyés, le 15 mai, à Maisonneuve, en lui transmettant textuellement les motifs de rejet ci-dessus rapportés et en l'invitant

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