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car nos aïeux, dont les idées étaient beaucoup plus justes que les nôtres, ne disaient pas la liberté, mais les libertés de la monarchie. Ils ne généralisaient rien, parce qu'ils savaient qu'il ne peut y avoir, pour tous les individus d'une grande nation, une seule maniere d'être libres, que sous la terrible condition qu'il n'y aura pour tous qu'une même maniere d'être esclaves."

Il n'y aura qu'une voix parmi tous les hommes éclairés de l'Europe, et parmi tous les Français impartiaux sur l'utilité et même sur la nécessité de cette mesure réparatrice. Il faut rendre à la nation française ses droits, absorbés et annullés par la révolution. Mais comme la seule proposition de cette mesure a fait jeter de hauts cris par nos bureaucrates, jaloux de concentrer entre leurs mains l'énorme pouvoir d'une administration générale illimitée, il faut que l'expérience même des étrangers vienne au secours de nos raisonnements.

Serait-ce en Angleterre que nos métaphysiciens trouveraient des exemples favorables à l'asservissement des communes? En Angleterre, la liberté, dit-on, réside dans les deux chambres; il serait plus sage de dire qu'elle s'y montre, parce qu'elle est dans toutes les institutions, dans toutes les habitudes de la nation, tandis que chez nous elle n'est nulle part. La liberté anglaise se compose de plusiers forces réelles et vivantes, que le temps et l'intérêt ont confédérées entr'elles. Les grandes familles, les manufacturiers, les capitalistes, les planteurs, le clergé, forment divers corps plus ou moins aristocratiques, qui balancent le pouvoir royal. Mais la grande base constitutionnelle de ces corporations, c'est la liberté des communes, qui forme véritablement une fédération de petites démocraties. Jamais les Anglais ne comprendront qu'en subtilisant sur les mots liberté et pouvoir, on soit parvenu à confondre, dans l'administration générale, l'administration propre et particuliere de chaque localité: ce qui est à la fois le dernier degré de la confusion, de l'absurdité et de la tyrannie. "Quand même le roi, le ministre et les deux chambres s'entendraient pour essayer d'enlever à une commune le moindre de ses priviléges, ils n'y parviendraint pas. A plus forte raison, ne parviendraientils pas à priver les communes de la moindre partie de leurs biens; tandis qu'en France, on a vu enlever et dissiper les biens des communes, des spices, des établissements libres,

par la révolution d'abord, par Buonaparte ensuite, opération continuée par les ministres du roi."

L'Allemagne, l'Italie, les Pays-Bas ont vu toute leur civilisation naître et se développer, à l'ombre du pouvoir municipal. Il y a, dans les constitutions municipales de Hambourg, d'Aix-la-Chapelle, d'Amsterdam, d'Anvers, de Strasbourg, de Zurich, de Geneve, de Florence, de Génes, de Pise, plus de combinaisons savantes, profondes, vraiment politiques et vraiment libérales que dans toutes les sublimes constitutions sorties des tiroirs de M. Siéyès, de M. Condorcet, de M. Daunou et de tous les autres fameux publicistes français.

Aussi, dans tout le systême buonapartien, rien n'irritait, n'exaspérait, ne désolait les Italiens, les Allemands, les Hollandais et les Belges comme l'anéantissement total des communes et cette malheureuse uniformité administrative qu'on introduisait partout sans pitié et sans ménagements. La Hollande ne pouvait réparer ses digues, Hambourg ne pouvait nettoyer ses canaux sans demander permission à Paris. Il fallut une insurrection des Toscans pour arracher au gouvernement le décret qui permit gracieusement aux compatriotes de Bocace et du Dante de parler italien. Il fallut l'autorité de M. Cuvier pour suspendre la destruction des belles écoles de Hambourg et de Lubeck, menacées par la défunte université impériale d'être soumises au fatal niveau de ses réglements. Le lit de Procuste était partout. "Les lois, disait-on à chaque peuple réuni à l'empire, les lois sous lesquelles tu as vécu jusqu'à ce jour, cessent à l'instant d'être tes lois; et des lois que tu ne connais pas, sont, dès l'instant, les tiennes. Si tu plaides, ce sera dans une langue que tu ne sais pas ; si tu maries tes enfants, le contrat sera fait dans cette langue que tu ne comprends pas. Pour que tu puisses apprendre de suite ces lois que nous te donnons, parce qu'elles sont parfaites, nous te faisons présent de cinquante ou soixante volumes d'un bulletin où sont consignées toutes nos conceptions législatives, dégagées de la souillure des siecles. Dans ce bulletin, il y a la moitié des lois pour lesquelles on ferait pendre, en France, ceux qui les réclameraient; nous ne te disons pas quelles elles sont, nous ne le savons pas nous-mêmes; mais tremble si tu te trompes, si tes souvenirs d'hier t'égarent : nos agents sont là! Tu seras puni d'une erreur comme d'un crime; car le plus grand des crimes, à nos yeux, pour

tout peuple que nous réunissons,c'est de ne pas cesser aussi tôt d'être lui, pour devenir en tout semblable à nous qu' ne sommes jamais les mêmes."

Le rétablissement d'un pouvoir provincial et d'un pouvoir municipal serait non-seulement avantageux à la liberté civile, comme M. Fiévée le démontre si bien : elle nous paraît encore, dans un gouvernement représentatif, offrir une garantie eontre l'anarchie. Nous avons développé cette idée dans un examen de l'acte additionnel de Buonaparte. Nous proposions de créer des chambres déparmentales qui, à l'instar des anciens états provinciaux, seraient investis du droit de faire des remontrances, et même de celui d'opposer une résistance d'inertie à tout ordre illégal que leur adresserait une autorité centrale, formée ou agissant d'une maniere inconstitutionnelle. Par cette institution l'état serait à l'abri de tout bouleversement subit, de toute révolution violente, dictée par une faction qui se serait rendue maîtresse de la capitale. Nous énonçâmes à cette occasion quelques autres idées exactement analogues à celles de M. Fiévée, sur les fonctions administratives dont ces chambres devraient être investies. Ainsi, en souscrivant à toute cette partie de la correspondance de M. Fiévée, nous ne faisons que réitérer une profession de foi dans laquelle nous avons toujours persistě.

ALLOCUTION

De N. S. P. le Pape PIE VII, dans le Consistoire secret, tenu le 4 Septembre 1815. (Traduction de l'Italien.)

Vénérables Freres,

Rome, 19 Septembre.

"Vous avez peut-être été étonnés que jusqu'à ce moment nous ne vous ayions point encore fait part de notre allégresse; et cependant vous ne devez point en douter: vous la voir plutôt partager avec nous, eût mis le comble à notre satisfaction.

"Nous aurions voulu vous instruire de la restitution faite de plusieurs provinces aussitôt après que la nouvelle nous en fut parvenue: 1o. Pour nous empresser de rendre au souverain dispensateur de tout bien les actions de grâces qui lui sont dues, avec cette solennité qui convient pour un si grand bienfait; 2°. pour donner plus promptement aux très-glorieux monarques, dont, après Dieu, nous l'avons reçue, un témoignage public de notre vive reconnaissance.

"Mais dès que la convention relative à la remise des provinces, en exécution du décret du congrès, a été conclue avec le ministre de notre cher fils en J. C., François Il, empereur d'Autriche et roi apostolique de Hongrie, de Bohême et du royaume Lombardo-Vénitien, qui était déjà parti de Vienne, nous avons jugé devoir mander qu'on suivît toute cette affaire jusqu'à ce que nous eussions commencé à exercer notre juridiction dans ces provinces, et que S. M. eût ratifié tout ce qui avait été conclu. Maintenant que cette juridiction est établie et la ratification effectuée, donnons un libre cours à cette allégresse que nous avions retenue avec peine, et suivant les usages du Saint-Siége réjouissons-nous du succés de cette affaire.

"A peine, dans le cours de l'année derniere, fûmesnous délivrés de notre captivité, que nous portâmes nos premiers regards sur les affaires de l'église catholique, auquel nous présidons, tout indignes que nous en sommes, et qui tiendront toujours la premiere place dans notre es

prit. Pour ce qui les concerne, nous avons jugé que nous ne devions rien avoir tant à cœur que d'obtenir la restitution de toutes les provinces qui composent le patrimoine de Saint Pierre, de la possession desquelles le SaintSiége a été dépouillé dans ces temps d'erreur et d'amertume, y étant obligés par notre qualité d'administrateur et par serment prêté lorsque nous fûmes élevés au suprême pontificat.

"En conséquence, dès que notre cher fils le cardinal Hercule Gonsalvi, diacre de Sainte Agathe alla suburra nous eût rejoint dans notre voyage sur la route de Rome, nous l'envoyâmes à Paris, autant pour offrir à notre cher fils en Jésus-Christ le Roi très-chretien Louis, nos félicitations relatives au recouvrement de son royaume hérédi taire, que pour entamer avec lui et les autres souverains que nous savions être encore dans cette capitale, des négociations actives (i piu calorosi uffici), pour que le SaintSiége fût remis en possession de tous ses états. A cette fin, nous adressâmes à chacun des princes alliés un bref rempli des termes les plus obligeants. Nous ne doutions pas que ces glorieux monarques, auxquels nous n'avions pas encore fait part de nos voeux, ne fussent naturellement disposés, par leur propre magnanimité, par leur justice et leur équité, à protéger la cause du Saint-Siége. Néanmoins il ne convenait pas que nous restassions oisifs dans une affaire aussi importante, et nous ne crûmes pas devoir négliger d'implorer leur secours pour le recouvrement de nos provinces déjà délivrées de l'invasion par la puissance de leurs armes.

"Le cardinal Gonsalvi arriva promptement à Paris, remplit auprès du Roi très-chrétien l'office dont nous l'avions chargé, fut accueilli par S. M. avec ces démonstrations d'intérêt et d'amour pour nous, que nous devions attendre de ses hautes vertus et de sa piété, et prit sans délai la route de Londres, où les souverains alliés, à l'exception de notre très-cher fils en Jésus-Christ, François II, Empereur d'Autriche, se trouvaient réunis.

"Comment pourrions-nous taire les sentiments de joie et de reconnaissance dont nous fumes pénétrés en apprenant comment fut reçu notre envoyé dans l'opulente capitale d'un si grand royaume! Il y renouvela, ce qui n'avait pas eu lieu depuis deux siecles, l'exemple d'un cardinal-légat, et parut publiquement à Londres, avec la permission du gouvernement, décoré des marques, dis

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