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extraordinaires. Elle a reconnu qu'il était indispensable de conférer au gouvernement le pouvoir d'arrêter et de detenir pendant un temps limité, sans les traduire devant les tribunaux, les prévenus de crimes d'état.

Une mesure particuliere était exigée par les circonstances pour les attentats qui menacent la sûreté du monarque et de la patrie; la commission dont j'étais membre n'a pu être partagée sur cette question.

Elle a vu, dans la loi soumise à son examen, non une suspension de la charte, mais une suspension de l'autorité judiciaire en faveur de l'autorité politique. Chez d'autres nations, dans de semblables circonstances, c'est à l'autorité suprême qu'a été confié le pouvoir discrétionnaire dans toute son étendue. C'est donc au Roi et à ses ministres qu'il doit être dévolu parmi nous.

Nous avons aussi tous reconnu que les ministres, ne pouvant veiller sur tous les points de ce vaste territoire, doivent déléguer leurs pouvoirs à des magistratures inférieures.

Mais à quels fonctionnaires convient-il de les confier? Voilà le point sur lequel la commission a été divisée. Plusieurs d'entre nous ont pensé que les fonctionnaires désignés dans le projet de foi, étaient malchoisis, mal déterminés, et en trop grand nombre.

Le rapport me paraît susceptible d'amendement à cet égard. Il faut que le droit d'arrestation soit confié à des magistrats qui, par l'importance de leurs fonctions, soient censés plus éclairés et moins accessibles aux passions basses, aux préventions populaires et à l'esprit de parti. Rome n'avait qu'un dictateur, et dans les périls extrêmes, c'était aux seuls consuls qu'elle confiait le pouvoir discrétionnaire. Lorsqu'en 1794 le parlement d'Angleterre suspendit la loi d'habeas corpus, ce fut aux ministres et aux fonctionnaires du rang le plus élevé qu'il confia le droit d'arrestation.

Il faut en outre, continue l'orateur, que ce soit à des magistrats amovibles que ce droit se trouve confié; car inamovibles et non responsables, ils pourraient commettre les abus les plus effrayants, et une autorité salutaire dégénérerait en tyrannie.

M. Royer-Collard termine en proposant de faire disparaître de l'article qu'il critique cette ambiguité, qu'il appelle un mensonge de la loi, et de charger les préfets seuls de décerner des mandats d'arrêt. L'orateur a encore proVOL. LI, 2 D

posé dans l'art. ler, de substituer au mot d'attentat celui de conspiration.

M. de Voyer d'Argenson. Je rappellerai aussi l'exemple de l'Angleterre. Je demanderai qu'ici, comme dans la chambre des communes, les ministres soient interpellés sur l'urgence d'une mesure analogue à celle de la suspension de l'habeas corpus. En Angleterre, lorsqu'il s'agit de déroger à la loi, les précautions les plus minutieu ses sont requises; on fait une enquête pour s'assurer de la vérité des faits; et nous n'avons, pour justifier la mesure qu'on nous propose, que des faits vaguement allégués. On vous a dit que dans le midi des protestants avaient été massacrés....

Violents murmures. A l'ordre à l'ordre!

M. d'Argenson veut continuer de nouveaux cris l'interrompent.

Un membre. Croyez-vous être au Champ-de-Mai? Le président agite violemment la sonnette et demande silence. Le réglement, dit-il, porte que lorsqu'il y aura lieu de rappeler un membre à l'ordre, la parole lui sera d'abord donnée, afin de se justifier.

M. d'Argenson articule quelques mots de justification. Le président, après avoir consulté la chambre, déclare que M. de Voyer d'Argenson est rappelé à l'ordre, et l'invite à se renfermer dans la discussion.

M. d'Argenson termine en peu de mots son discours, et conclut à l'ajournement de la discussion, jusqu'à ce qu'une commission ait examiné en connaissance de cause l'urgence de la mesure proposée.

M. Bourdeau justifie sur tous les points le projet de loi, et les conclusions de la commission.

Le seul mot prévention de délits et de crimes annonce qu'il faudra d'abord que des présomptions graves s'élevent contre la personne arrêtée.

L'amendement de M. Royer-Collard paraît à l'orateur susceptible de graves inconvénients. Si l'on accordait exclusivement aux préfets le droit de décerner le mandat, l'instruction se ferait, dans la plupart des cas, loin du lieu du délit, et sans aucun des renseignements nécessaires.

M. de......vote pour l'adoption pure et simple de la loi. Les factieux, dit-il, entre autres choses, par habitude, par perversité, par remords ont conspiré contre le trône dès l'instant de l'arrivée du Roi. Ils conspirent encore et

conspireront toujours. Plusieurs même occupent encore des places importantes, et ne poursuivent pas les auteurs des délits dont ils sont complices. L'orateur demande que l'action de la loi s'applique à tous les individus, quelles que soient leurs professions et leurs fonctions. Il réfute les amendements de M. Royer-Collard.

Il n'y a point d'arbitraire dans la loi, dit-il, puisqu'il n'y a lieu à arrestation que dans le cas de flagrant délit; et dans l'état même actuel, ce droit appartient à tout particulier. Si un magistrat était déterminé, un sous-préfet par exemple, et qu'il se trouvât éloigné des lieux, il ne pourrait pas exercer assez promptement le pouvoir que lui donne la loi; le coupable aurait le temps de s'échapper. Le procureur du roi, le juge de paix le maire auraient saisi l'occasion de l'arrêter, etc., etc,

M. Pasquier lui succede à la tribune. S'il eût été préfet de police au 20 Mars dernier, il eût provoqué sans hésiter une mesure analogue à celle qu'a présentée le ministre, et sans doute de grands maux eussent été évités, La rédaction de l'article ler ne lui paraît pas assez

claire.

Le mot prévention suppose une instruction déjà commencée devant les tribunaux ; mais ce ne sont pas précisément des hommes déjà accusés qu'il s'agit d'atteindre.

Tranchons le mot, dit l'orateur, la loi doit être dirigée contre des hommes dangereux, contre des hommes d'autant plus dangereux, qu'habiles dans l'art de tramer des complots, ils échappent à tous les moyens répressifs.

L'orateur termine en demandant que les mandats soient décernés, non par des fonctionnaires judiciaires, mais exclusivement par les fonctionnaires administratifs.

Les ministres, suivant le vœu de M. Pasquier, auront seuls le droit de requérir l'arrestation des hommes dange

reux.

Les mandats d'arrêt seront signés par le ministre de la police.

Les ministres pourront déléguer leur pouvoir, à Paris, au préfet de police; dans les départements, aux préfets et aux procureurs-généraux.

M. de Vaublanc. J'ai une seule observation à faire pour réfuter l'allégation d'un des préopinants (M. Dargenson.

Lorsque l'Angleterre, dit l'orateur, suspendit l'habeas corpus en 1794, on ordonna une enquête, non pour

prouver au parlement l'utilité de la mesure, mais pour en démontrer l'urgence à la nation anglaise. Il fallait ouvrir les yeux à la multitude, empêcher la propagation des principes funestes des révolutionnaires français.

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Ne nous abusons pas: il existe une majorité immense qui veut la paix, qui veut les lois; et permettez-moi de le dire dans toute la simplicité de l'expression, cette majorité

veut son Roi.

(Ici de nombreux et vifs applaudissements éclatent dans toutes les parties de la salle. Tous les membres se levent aux cris de vive le Roi!)

M. de Vaublanc. Si toute la France pouvait se faire entendre, les mêmes acclamations qui retentissent dans cette enceinte retentiraient dans tout le royaume.

Nouveaux cris de vive le Roi! nouveaux applaudisse

ments.

M. de Vaublanc. Mais au milieu de cette immense majorité, il existe une minorité turbulente, factieuse, ennemie des lois, ennemie d'elle-même. Si ces séditieux pouvaient être comptés, ils auraient honte de leur petit nombre; mais les méchants ont pour faire le mal une activité que les bons ont rarement pour faire le bien. Ils travaillent sans relâche à l'accomplissement de leurs projets ; ils ne voyent que leur succès infernal, et si vous vous endormez ils y arriveront.

Rien ne les arrêtera; aucune considération morale où religieuse la force seule peut les arrêter. Protégeons la France contre cette minorité; je dirai plus, protégeons cette minorité contre elle-même.

Le ministre descend de la tribune au bruit des applaudissements et des cris de Vive le Roi!

M. le président. Je rappellerai à mes collegues qu'ils doivent donner aux spectateurs étrangers l'exemple de s'abstenir de toutes marques d'approbation ou d'improba

tion.

M. Hyde de Neuville parle en faveur du projet de loi sans amendement.

M. Colomb lui succede à la tribune, et propose plusieurs amendements au projet de loi, entre autres que les causes de l'arrestation soient énoncées dans les mandats. Nous n'avons pu entendre son discours, qui, fort long et prononcé à voix basse, a été entendu avec défaveur et au bruit des murmures.

On demande la clôture de la discussion. Cependant

M. Chifflet a la parole: il vote en faveur des amendements de M. Royer-Collard, propose en ontre de donner aux fonctionnaires saisis de l'arrestation le droit de surveil lance.

Il demande en outre que la loi cesse d'avoir son effet un ou deux mois après l'assemblée de la prochaine session. M. Decaze. Les ministres n'ont pas craint d'assumer sur eux une grande responsabilité. Le pouvoir que leur donne le projet de loi ne nous paraît ni trop vaste ni trop restreint. On dit qu'à Rome la formule caveant consules était un cri d'alarme ; c'était plutôt un cri de sécurité. Mais en se reportant aux temps de l'histoire, il faut aussi se reporter aux circonstances et aux lieux : chez les Romains, même aux temps les plus florissants de leur empire, Rome était toute entiere dans Rome; un seul magistrat suffisait pour veiller au salut de l'état; aussi le pouvoir extraordinaire n'était-il confié qu'au dictateur, aux consuls, et non aux magistrats inférienrs.

Mais en France la puissance du Roi serait-elle assez rapide s'il agissait immédiatement par ses ministres?

Nous en avons eu au mois de Mars un trop funeste exemple.

Le mal éclata avec une telle promptitude, que, malgré l'activité des mesures, tous les remedes se trouverent impuissants.

Le ministre discute l'une après l'autre, et réfute toutes les objections qui ont été faites, notamment par M. Pasquier.

Ce ne sont point des suspects, dit-il, que nous voulons atteindre, ce sont des prévenus. L'individu que la voix pulique accuse a toujours été, même dans le Code pénal, qualifié de prévenu.

Vous trouverez, a continué le ministre, garantie suffisante dans la responsabilité morale qui pesera sur la tête des ministres. Vous la trouverez encore plus dans la disposition qui appelle à prononcer en définitif le Roi lui-même, ee Roi dont la bonté est si grande, qu'on a osé la calomnier, qu'on a dit qu'elle était au-dessus de ses droits, de ses devoirs, de la justice.

On demande la clôture de la discussion.

M. le président déclare à la chambre qu'on va procéder à l'appel nominal pour voter sur la loi entiere.

Le résultat de cet appel a donné 260 voix pour l'adoption, et 60 voix pour le rejet.

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