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CONSEIL DE GUERRE.

PROCÈS DE M. LE MARECHAL NEY.

Premiere Séance, 9 Novembre.

d'au

Voici encore une occasion de déplorer les funestes effets de notre révolution : les notions du vrai et du juste ont été renversées; l'idée du véritable honneur n'a pas toujours été comprise par ceux-mêmes qui, plus que tres, étaient obligés d'en faire la regle de leur conduite, puisque la dignité éminente à laquelle ils étaient élevés, les avait institués en quelque sorte les conservateurs de l'honneur français.

Lorsque le Roi remonta sur le trône, d'où un usurpateur venait d'être précipité, il voulut nous faire oublier tous nos malheurs, en s'efforçant d'oublier les siens. Il voulut ne voir que des erreurs là où il aurait pu voir des crimes; il fit plus; il récompensa comme des services les actions. que la clémence pouvait tout au plus l'engager à pardonner comme des fautes. Il adopta toutes les gloires, consacra toutes les renommées, conserva toutes les fortunes, confirma toutes les dignités, et ce fut en s'associant à tout ce que la révolution avait produit de brillant et de glorieux, qu'il conçut l'espoir d'effacer tout ce qu'elle avait enfante de honteux et d'atroce. Le Roi crut et dut croire qu'il s'était concilié tous les cœurs qui n'étaient pas entierement fermés au sentiment de la reconnaissance, de l'honneur et de l'amour de la patrie. Pouvait-il en douter? Il avait reçu des serments, et il n'appartient qu'au parjure de se méfier de la foi du serment

Où le Roi devait-il surtout espérer de trouver des serviteurs fideles? où devait-il chercher les représentants naturels de l'honneur militaire? N'était-ce pas parmi ces chefs de l'armée, ces grands-officiers de la couronne, ces premiers soutiens de la royauté, à laquelle ils doivent leur existence et leur éclat; parmi les maréchaux de France enfin, auxquels le ciel sembla vouloir offrir une noble occasion d'expier les erreurs de leur gloire? L'événement a prouvé jusqu'à quel point était fondée la généreuse confiance du Monarque. On a besoin pour adoucir les idées VOL. LI.

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que fait naître ce souvenir, de rappeler à sa pensée la conduite loyale et l'héroïque fidélité de plusieurs de nos maréchaux, dont la France placera les noms à côté de ceux des chevaliers irréprochables dont ils se sont montrés les dignes

successeurs.

La trahison, multipliée sous mille formes, prépara le triomphe du génie du mal, triomphe qui fut court, mais dont les effets se feront sentir long-temps encore. La nation revit son Roi tant désiré, tant aimé, tant regretté; son Roi dont elle n'eut jamais à craindre que l'inépuisable bonté. Elle osa lui dire que la clémence n'est que la seconde vertu des souverains, et que la main de justice est un des attributs du trône. Toujours prodigue de sa miséricorde, le Roi fut avare de sa rigueur, et parmi tant de coupables dénoncés par la voix publique moins encore que par les derniers efforts de leur rage parricide, la capitale de la France n'a encore vu la punition que d'un seul, dont le crime était si notoire, si évident, que lui-même n'osa pas essayer de l'excuser.

Ce n'est qu'avec un profond sentiment de douleur que l'on contemple celui qui vient le second, rendre compte, aux pieds de la justice, de l'exécution de ses devoirs et de l'accomplissement de ses serments. C'est un guerrier parvenu par de brillants exploits aux premieres dignités des armes; c'est un maréchal de France qui est accusé d'avoir trahi l'honneur, le Roi et la patrie.

La France et l'Europe se plaisaient à le distinguer de ces soldats devenus généraux, sans autre titre qu'un courage féroce, qu'un mépris de la mort, qu'on peut attribuer à la juste appréciation qu'ils faisaient de leur vie; les beaux faits d'armes du maréchal Ney n'avaient été déshonorés ni par une vile rapacité, ni par une cruauté brutale, et ses lauriers, arrosés de son sang, eussent brillé de l'éclat le plus pur, si ce sang n'eut malheureusement servi à cimenter le trône d'un usurpateur.

Comment imaginer que ce même homme devenu ingrat et parjure envers le monarque qui rendait à sa gloire toute son innocence en la faisant le patrimoine de la France et de la monarchie, ait formé le complot infame de livrer le trône et la patrie à cet aventurier dont sa franchise lui avait quelquefois attiré la défaveur, et qui ne le ménageait que parce qu'il avait besoin de lui.

Depuis long-temps le procès du maréchal Ney est le sujet de toutes les conversations, la source et l'objet de

mille conjectures. Les faits parlent, et personne n'ose, du moins hautement, nier leur authenticité. L'accusé lui-même fait de ses fautes un aveu auquel l'expression du repentir peut seule donner quelque mérite.

. Mais le crime qu'on lui reproche paraît si grave, si incroyable même à quelques personnes, que pour y ajouter foi elles ont besoin de se faire du maréchal une idée différente de celle qu'elles en avaient conçue jusqu'alors. C'est à ce sentiment qu'il faut attribuer la facilité avec laquelle se sont accréditées des allégations avilissantes, qui paraissent affecter l'accusé plus vivement encore que la perspective du jugement qui peut terminer son procès. On a prétendu que le maréchal Ney avait prémédité la trahison, qu'en baisant la main du Roi, au moment où il promettait de défendre sa cause, il avait le parjure sur les levres et la perfidie dans le cœur; on a même ajouté qu'il n'était parti pour rejoindre l'usurpateur que chargé des bienfaits du Roi. Ce sont là les imputations desquelles on s'est principalement et presqu'uniquement attaché à justifier le maréchal dans les divers mémoires qui ont été publiés en sa faveur. On ne nie pas qu'il n'ait été coupable, mais on prétend qu'il a improvisé son délit : qu'il a quitté Paris pénétré du sentiment le plus pur de dévouement et de fidélité pour le Roi, et que ce n'est que le 13 Mars, et à Lons-le-Saulnier, qu'il s'est laissé entraîner à des suggestions perfides. On abandonne le fait et l'on discute sur le lieu. Les débats dont nous allons rendre compte prouveront si c'est là le systême de défense, ou pour mieux dire, d'excuse et d'atténuation que le maréchal à cru devoir adopter.

On a cherché dans l'histoire un procès qui offrît quelque ressemblance avec celui du maréchal Ney. On a trouvé l'exemple de plusieurs accusations capitales intentées contre des maréchaux de France, et l'on a cru remarquer quelques traits d'analogie entre le procès qui fixe aujourd'hui l'attention publique et celui dont le maréchal duc de Birou fut l'objet et la victime. On s'est plu à comparer les deux accusés. Il a fallu d'abord, pour établir le parallele, priver le maréchal de Biron, je ne dis pas de tous les avantages de la naissance, mais du glorieux héritage qu'il avait reçu d'un pere mort au service de son roi; il a fallu estimer au même prix le sang versé par l'un pour une cause qui n'était pas celle de son prince légitime, et le sang prodigué par l'autre dans cent combats, pour

renverser la ligue et replacer la couronne sur le front du plus brave et du meilleur des rois. Vaine et fausse compa

raison.

Ce n'est qu'à l'instant où l'on examine le crime reproché aux deux maréchaux, que l'on entrevoit la possibilité de les comparer l'un à l'autre ; tous deux ont été accusés d'avoir trahi le monarque qui les avait comblés de dignités et d'honneurs, et qui voyait en eux les plus fermes appuis de son autorité; mais le crime du maréchal de Biron n'avait été, pour ainsi dire, que médité ; à peine pouvait-on y reconnaître un commencement d'exécution, tandis que, si le maréchal Ney était déclaré coupable, il serait impossible de dire que son délit n'a pas été entierement consommé. Peutêtre aurait-on saisi des traits de ressemblance plus frappants, si l'on eût peint cette grande réputation militaire, cette bravoure impétueuse et cette chaleur de caractere qui semblent les distinguer également.

Mais abandonnons et les fausses comparaisons qu'on a faites, et les comparaisous plus justes qu'on pourrait faire, et hâtons-nous de satisfaire la curieuse impatience de nos lecteurs, en leur faisant connaître ce qui s'est passé dans la premiere séance du conseil de guerre chargé de l'examen et du jugement de ce procès mémorable.

Avant neuf heures la salle de la cour d'assises où siégeait le conseil, était remplie d'une foule qui ne ressemblait pas tout à fait à l'auditoire habituel des tribunaux; on y remarquait particulierement beaucoup de personnages, étrangers de la plus haute distinction. Il est douloureux pour la France d'avoir un pareil spectacle à leur offrir,

L'ouverture de la séance a été retardée par un incident que nous avions fait pressentir à nos lecteurs. Le maréchal Masséna, prince d'Essling, avait cru sa délica, tesse intéressée à se récuser comme juge du prince de la Moskwa. I motivait sa récusation sur une ancienne inimitié produite par les différends assez vifs qui s'éleverent, entre eux, en Espagne; l'armée avait vu avec peine cette division entre deux guerriers également recommandables, Le conseil a délibéré sur la validité de ce motif, et il a noblement décidé qu'il était impossible que le petit ressentiment d'un général trouvât place dans la conscience d'un, juge. Le maréchal Masséna a donc pris séance parmi les membres du conseil.

Le lieutenant-général, comte Maison, avait été désigné pour faire partie du conseil, mais le ministre a reconnu que

le lieutenant général, comte Gazan, employé à la même époque dans la premiere division militaire, était plus ancien dans le grade, et c'est lui qui, conformément à la loi, a remplacé le comte Maison.

L'accusé n'était point présent à cette audience, qui a été entierement remplie par la lecture des pieces de cette volumineuse procédure. Nous nous sommes appliqués à recueillir avec la plus soigneuse exactitude ce qu'elles contiennent de plus important.

Nous ne parlerons pas aujourd'hui des déclarations des témoins, quoique plusieurs de celles qu'on a lues soient d'une grande importance et d'un intérêt très-vif. Nous aimons mieux les recueillir de la bouche même des témoins qui viendront les renouveler de vive voix devant le tribunal. L'accusé sera là pour y répondre; et le débat public, sans rien leur ôter de leur grave autorité, leur donnera une couleur plus frappante et plus dramatique.

Les interrogatoires qu'on a fait subir à M. le maréchal Ney ne sont pas la partie la moins intéressante des pieces de l'instruction; et la différence de ton qu'on remarque entre les premiers et les derniers, peut servir à faire connaître les diverses dispositions d'esprit dans lesquelles il s'est trouvé depuis son entrée à la Conciergerie. Il y est ar rivé, ainsi qu'on le verra, le 19 Août. Le 20, M. le préfet de police se transporta à la prison pour l'interroger. L'ac cusé, retenu au secret le plus rigoureux, n'avait pu conférer avec personne; il n'avait eu ni le temps ni la liberté d'esprit nécessaires pour recueillir ses idées.

L'agitation d'une vie errante, au milieu de craintes et de dangers qui s'accroissaient chaque jour, l'impression qui dût lui faire éprouver son arrestation imprévue dans un lieu où il devait se croire en sûreté, sa détention dans l'hôtel-de-ville d'Aurillac en attendant les ordres de Paris, son voyage entrepris sous l'escorte de deux officiers de gendarmerie, et terminé à la maison de justice; et plus que tout cela, peut-être le souvenir du passé et la perspective de l'avenir, avaient dû répandre dans un esprit impatient et irascible, un trouble et un désordre qui se manifestent chaque instant dans le premier interrogatoire, et qu'on observe encore, mais avec des nuances différentes dans le second qui eut lieu deux jours après.

Trois semaines s'écoulerent avant que M. le maréchal de camp, comte Grundler, rapporteur du conseil de guerre, interrogeât M. le maréchal. Aussi les réponses aux inter

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