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sions, la guerre civile, furent organisés dans les deux arrondissements livrés à la fureur des freres Faucher.

"Cependant les nobles alliés du meilleur des rois le ramenent dans sa capitale le 8 Juillet. S. M. y répandit de nouveau les trésors d'une clémence inépuisable: elle pardonna de nouveau aux traîtres si récemment comblés de ses faveurs.

"C'est plus spécialement depuis cette époque que les freres Faucher se sont rendus coupables des crimes qui les ont fait traduire par devant le premier conseil de guerre; et je dois me hater de dire, Messieurs, ces crimes n'appartiennent ni aux opinions politiques, ni aux circonstances: ce sont des crimes contre la société toute entiere, des crimes prévus par le code pénal de toutes les natious civilisées; c'est la guerre civile laissant après elle tous les maux qui l'accompagnent, proclamée, organisée et dirigée par les freres Faucher; c'est la rébellion à main armée contre l'autorité légitime reconnue; c'est la violence et la force des armes employées afin de comprimer l'élan du peuple dans la manifestation de ses sentiments de fidélité pour cette autorité légitime reconnue, ce sont des taxes arbitraires, des réquisitions de toute espece frappées par les freres Faucher, qui les rangent dans la classe des justiciables des conseils de guerre.'

Nous avons transcrit en entier le passage qu'on vient de lire; nous aurions craint d'en affaiblir l'effet en l'analysant: le talent avec lequel tant de vérités ont été présentées, s'est fait également sentir lorsque l'orateur a abordé les raisons de nullité opposées par les défenseurs des freres Faucher ; il Les a discutées avec autant de sagacité que de précision; et après avoir victorieusement démontré que les formes voulues par la loi avaient été rigoureusement observées, et que rien ne devait plus retarder l'exécution du jugement, il a ajouté: "Que le supplice des freres Faucher,commandé par la loi, apprenne aux conspirateurs subalternes, aux complices des rebelles, quels que soient leur rang et leur fortune, e, que la persévérance dans le crime fatigue la clémence, et que la société lassée d'une trop longue impunité, sollicite et obtient enfin de la loi la vengeance des attentats commis contre sa sûreté! Puisse cet exemple contenir dans l'obéissance ces hommes qui, se confiant en leur obscure complicité, méditaient peut-être de nouveaux crimes! Qu'ils s'efforcent de jouir en paix de cette impunité que veut bien leur accorder le Roi qu'ils ont trahi au mépris des serments les

plus solennels; qu'ils aillent loin de la société qu'ils ont outragée, cacher leurs honneurs et leurs dignités flétries, et ces décorations royales obtenues par un sacrilége! Heureux s'ils peuvent un jour ne pas jouir sans remords de ces biens honteux qu'ils ne doivent qu'à la dépouille des nations et à la généreuse bonté du Roi!"

M. Emérigon a répliqué dans l'intérêt commun des deux freres. Voici ses dernieres paroles, que nous avons écrites au moment où il les proférait:

que

"Tel est, Messieurs le résumé rapide des moyens

chacun de nous a fait valoir. C'est à vous à les peser dans votre conscience. Quant à nous, notre ministere est fini, et notre parole va cesser. Le devoir que nous venons de remplir n'a pas été le moins pénible de ceux que notre profession nous impose; mais l'homme courageux n'hésite jamais quand il s'agit de remplir un devoir : d'ailleurs, nous trouverons, dans notre cœur et dans celui de tous les gens de bien, le dédommagement le plus consolant et le plus doux, le seul que nous ayons jamais ambitionné."

Les condamnés ont entendu la confirmation de leur sentence avec résignation.

Ils ont refusé les secours et les consolations que la religion leur a offerts; ils ont marché au lieu de l'exécution, se tenant par le bras, affectant l'air serein et une fermeté qui ne s'est point démentie.

Ils n'ont pas voulu souffrir de bandeau sur les yeux, et l'un d'eux a donné le signal de l'exécution.

On a remarqué avec surprise qu'au moment supréme,

les deux freres ne se sont pas embrassés.

L'exécution a eu lieu hier, à onze heures du matin.

(Mémorial Bordelais.)

SUR M. LE DUC DE RICHELIEU.

[Extrait de la Gazette de France.]

Les rois font les ministres ; mais les ministres font aussi les grands rois. Les ministres perdent ou sauvent les états, ébranlent ou consolident leur durée; toutes leurs actions sont graves, deviennent importantes. Par eux l'autorité royale est respectée, les nations jouissent du bonheur qui leur est propre, tout prend une une direction juste, marche vers une fin désirable. Que ne dûrent pas la France et saint Louis à la sagesse de l'abbé Suger? Le nom du cardinal d'Amboise s'éleve à côté de celui de Louis XII, pere du peuple. François ler remarque le judicieux Robertson, l'emportait sur Charles V; mais son cabinet ne valait pas celui d'Espagne. On ne parle jamais de Henri IV sans penser à Sully; ces noms sont inséparables, et regnent presque ensemble dans l'histoire et la postérité. Que serait devenue la France, déchirée par les factieux et les protestants, en guerre avec les puissances étrangeres, sans le génie du cardinal de Richelieu, qui sut détruire les ligues et aplanir toutes difficultés? Il semble que l'éclat du siècle de Louis XIV s'éteigne au moment où ce monarque ne sut plus choisir ses ministres, où il les prend dans la classe de ses courtisans et de ses favoris. Louis XV n'eut que des ministres faibles, et son regne fut sans gloire. Il prépara, il amena le malheureux regne de Louis XVI. Si la vertu seule eût suffi sur le trône, les vœux des Français auraient été comblés sous ce prince, qui fut le modele de la bonté; mais des ministres inhabiles semblaient s'entendre pour attirer sur le plus beau pays du monde les calamités sans nombre qui l'accablent encore. L'année derniere, il était permis de croire que nous touchions à leur terme: le tyran avait fui, notre Roi légitime nous était rendu par malheur les renes de l'état furent confiées à des ministres qui ne surent pas les tenir et tout faillit être une seconde fois perdu. Lisez les annales des peuples; les ministres faibles, sans caractere, sans énergie, sont également les fléaux des nations et des rois; et peu importe qu'ils aient les intentions pures, éloignées de toute perversité, VOL. LI. F

n

les principes n'en sont pas moins ébranlés, la paix n'en est pas moins troublée, et nous n'en sommes pas moins le jouet des dissensions et des tempêtes politiques. La science d'un roi serait de n'admettre dans l'intimité de ses conseils, dans l'exécution de ses desseins, que de ces hommes entierement dévoués au prince et à la patrie, qui ne respirent que le bien public, et dont les lumieres, dans toutes les conjonctures, égalent le courage. Cette sorte d'hommes est excessivement rare; cependant nous en conviendrons ; nous croyons pour le bonheur de l'humanité qu'il en existe encore: l'art est de les découvrir.

"La révolution française, disait un jour l'empereur Alexandre, m'a fait bien du mal, cependant je lui ai une obligation véritable, elle m'a procuré trois hommes que je me félicite de posséder dans mon empire*" 11 entendait le marquis de Traversay, officier distingué de la marine française, qui commandait alors la flotte et les ports de la mer, auquel il a confié depuis le ministere de sa marine; le comte de Langeron, aujourd'hui général en chef d'une armée russe, illustre par sa bravoure, sa loyauté et les services qu'il a rendus à la France en combattant Buonaparte, et le duc de Richelieu, gouverneur d'Odessa et de la Crimée. Celui-ci était l'ami de cœur du prince, l'empereur l'aimait d'une affection particuliere, et dans toutes les occasions il lui en a donné des preuves multipliées.

On sait quel prix la Russie attache à ses provinces du midi; elles sont le fruit de ses conquêtes et se trouvent sur la route de Constantinople. Immenses, extrêmement fertiles, riches en souvenir, elles ont tout ce qu'il faut pour flatter l'orgueil d'une nation : elles s'étendent depuis la Moldavie jusqu'au Cuban et au mont Caucase: elles tiennent par conséquent à l'Europe et à l'Asie. Chaque jour les voit encore s'agrandir. Baignées à l'est par les mers Noire et d'Azow, arrosées par des fleuves considérables, il ne manque à ces contrées que des hommes et des bras et le temps leur en fournira.

Potemkin avait subjugué ces provinces. L'impératrice Catherine lui en donna le gouvernement, avec des pouvoirs presqu'illimités. Il les régit en souverain asiati

* L'empereur ne disait pas sa pensée tout entiere: MM. de Saint-Priest, de Damas, de Rochechouard, Michaud, etc., ont aussi leur prix.

que. M. le duc de Richelieu, nommé gouverneur civil et militaire des mêmes contrées, investi de la même autorité, s'est montré aussi simple que son prédécesseur était fastueux.

Il commença par établir le siége de son gouvernement et le centre des colonies dont il devenait le chef, à Odessa (autrefois Odschibay), et bientôt cette petite ville qui ne contenait que 4000 habitants, en compta 20,000. Je parle de 1805, parce que le hasard me conduisit cette année sur les bords de la mer Noire. Soixante maisons etaient commandées pour le courant de l'été ; ce mot commandées est technique. Tous les ans on en commandait ainsi un certain nombre. On me raconta de la même maniere qu'on avait commandé à un commis voyageur 35,000 bouteilles de champagne. Les habitants sont de toutes nations et de toutes langues. Il y a des Russes, des Polonais, des Allemands, des Italiens, des Moldaves et quelques Français; les Tartares ont disparu: on n'en trouve plus qu'en Crimée. Tous ces peuples, confondus ensemble, doivent finir bientôt par n'en faire qu'un; ne conservant que peu de rapports avec les pays qu'ils abandonnent pour un meilleur, leur nouvelle patrie, est tout pour eux. On s'attache d'ailleurs au sol qu'on cultive, aux murs qu'on voit s'élever, aux créations qui s'operent sous nos yeux.

M. le duc de Richelieu faisait à-la-fois construire un port, augmenter les ouvrages de la forteresse, jeter une digue de plus d'une demi-lieue dans la mer, bâtir des temples pour les différents cultes, des casernes, un théâtre, un bazard, un gymnase, planter des promenades. Il n'avait pas trouvé un arbre dans le pays : les Tartares n'aiment que la rase campagne. Il voulait amener des eaux douces à la ville par un bel aqueduc et élever une fontaine publique. Il employait à ces travaux utiles l'argent même destiné à lui bâtir un hôtel du gouvernement, et il habitait une modeste maison. Il avait le projet de paver la ville avec des laves que les vaisseaux venant des côtes de l'Italie apporteraient du Vésuve ou de l'Etna: il attirait les étrangers par l'appât du plaisir et les charmes de la société, et les riches Polonais par le sentiment si doux de voir donner à leurs enfants une bonne éducation.

Avec quels soins il veillait à ses colonies! Son activité était infatigable! c'était par ses yeux qu'il voulait voir et juger. Souvent il partait de grand matin et ne rentrait le soir pour dîner qu'après avoir fait des courses prodigieuses.

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