Page images
PDF
EPUB
[ocr errors]

Du 11 Octobre.

Samedi dernier, le Roi a ouvert la session de la législature par un discours qu'il a adressé aux deux chambres. S. M. commence par leur rappeller qu'il avait obtenu l'année derniere un traité de paix honorable pour la France. Il ne dit pas en propres termes que celui d'aujourd'hui lui fait déshonneur; mais il le lui laisse, nous le croyons, un peu trop fortement entrevoir. Il n'est pas nécessaire, parce que cela n'est pas juste, de dire que le présent traité, tel qu'on l'entend, déshonore la France. Il peut jetter sur les rebelles, qui sont indignes du nom de français, de l'odieux et de la honte; mais très-heureusement, nous ne sommes pas forcés d'identifier les conspirateurs et les parjures qui ont ramené Buonaparté de l'île d'Elbe avec le peuple de France. Le Roi parle de sa profonde douleur. Il peut lui être permis d'éprouver ce sentiment; mais il devrait faire connaître qu'il procede plutôt de la conduite de ses sujets rebelles que de celle des alliés. En effet, les puissances alliées et principalement l'Angleterre, partagent avec la France les maux de cette infâme conspiration qui, éclatant à la fois en France et en Italie, a promptement menacé d'entraîner tout le continent dans des guerres et dans des révolutions. La somme de 700 millions de francs (30 millions sterling seulement)! dans quelle proposition peut-elle entrer avec les dépenses des alliés pour la guerre? Quelle proportion y a-t-il entre la part qui nous en reviendra et nos dépenses? Elle sera certainement très-faible. Mais les forteresses doivent être occupées, les troupes étrangeres doivent être entretenues par la France! Et ces mesures ne sontelles pas encore plus nécessaires à la tranquillité de la France qu'à la nôtre? Les chambres, nous

[ocr errors]

n'en doutons pas, adopteront un systême ferme et énergique de police intérieure qui tendra à prévenir les dangers que toute l'Europe a à redouter des principes et des armées révolutionnaires. Nous n'avons pas parlé des monuments des arts. Le discours du Roi n'en fait pas mention, mais certaines personnes imaginent qu'il y est fait allusion dans ses expressions générales de regrets. Nous croyons que Sa Majesté a une plus noble façon de penser. Elle doit apprécier toute la force des sentiments exprimés à la fin de la lettre du Duc de Wellington; ces sentiments sont en parfait unisson avec ceux que nous avons souvent manifestés sur le même sujet : que cette circonstance au lieu d'insulter la juste façon de penser ou la saine opinion, ne fera que tendre à améliorer les mœurs et à rectifier le jugement des Français; en ce qu'elle dissipera ces fausses idées de gloire qui ont rendu un grand nombre d'eux insensibles aux notions exactes de la vertu et de l'honneur national." Le célebre pamphlet Du Ministere fait d'excellentes remarques qui ne sont pas étrangeres au sujet. L'orgueil national, dit l'auteur, si l'on entend par là ce sentiment qui fait désirer à une nation que toutes les autres nations reconnaissent sa supériorité sur elles, n'est en lui-même bon à rien, puisqu'il est compatible avec le plus vil esclavage." M. Carnot lui-même en convient; car en même temps qu'il recommande dans son mémoire l'exaltation de cet orgueil, il avoue que, sous Buonaparté, la nation était descendue au dernier point de dégradation, Le peuple romain qui sous ses empereurs était devenu la plus abjecte des nations, continuait toujours d'être la plus fiere. La vraie dignité d'une nation comme d'un individu, consiste à ne point se manquer à soi-même et à ne point manquer aux autres. Combien de pareils sentiments ne

66

sont-ils pas plus élevés que l'orgueil de désirer avoir en sa possession ce qui doit toujours rappeller des idées d'injustice, et de n'avoir ce désir que dans l'intention d'éclipser par la possession de pareils objets les pays qui n'ont pas exercé la même rapacité! Pour en revenir au discours du Roi de France, Sa Majesté donne un noble exemple de désintéressement en s'imposant comme à ses sujets les sacrifices qu'exigent les circonstances. Il déclare qu'il a déjà fait verser une portion considérable des revenus de sa liste civile dans le trésor de l'état. Il ajoute qu'aussitôt que les princes de sa famille ont été informés de cette révolution, ils ont offert une contribution proportionnée. De grands éloges, certes, sont dus au Roi et aux princes pour une pareille abnégation d'eux-mêmes; nous espérons qu'ils éprouveront tous un juste retour de la reconnaissance publique. Les objets proposés à la délibération future des deux chambres sont briévement indiqués. Ils sont tels qu'ils naissent naturellement des circonstances dans lesquelles le pays a été placé "de faire fleurir la religion, de pacifier les esprits, de fonder la liberté sur le respect pour les lois, de rendre ces dernieres de plus en plus analogues à ces grandes vues, de donner de la stabilité au crédit, de récomposer l'armée, enfin de faire respecter la France au dehors en assurant sa tranquillité au dedans. Ces travaux sont sans doute importants et dignes de la plus grande considération; non-seulement ils exigeront l'union franche et loyale des chambres avec le Roi, mais ils demanderont de tous les côtés, une grande fermeté, un grand patriotisme, une inté grité inflexible, un amour déterminé de la justice. "Notre premier soin, dit le judicieux auteur de la brochure ci-dessus citée, doit-être de sonder les plaies que la France s'est faites, notre premier be

soin est de les guérir." Le Roi fait observer avec beaucoup de raison que l'on ne doit pas s'attendre à ce que tant de bien puisse s'opérer dans une seule session." Mais on peut nous permettre d'ajouter que si tous les partis tentent cette entreprise avec unité de cœur et énergie d'esprit, s'ils ne tournent ni à droite ni à gauche, et surtout, s'ils marchent dans le droit sentier, un court intervalle de temps produira un changement incroyable dans la situation de la France.

Il est un vieux sarcasme lancé contre les Anglais, c'est qu'ils ne peuvent rien faire sans un dîner: Il semble que nos voisins les Français ne puissent rien faire sans un spectacle; et malheureusement un serment est presque toujours regardé comme partie nécessaire de la cérémonie. La charte constitutionnelle a été, si nous ne nous trompons, jurée par MONSIEUR en Mars dernier. Elle a été jurée dans la circonstance présente par les Ducs d'Angoulême, de Berry et d'Orléans, et ensuite par les autres membres de la Chambre des Pairs et par la Chambre des Députés. Il n'est assurément pas très-sage, considérant la maniere de raisonner du peuple, de rendre cette charte l'objet exclusif d'une reconnaissance si formelle et en méme-temps si solennelle. Nous disons, considérant, la façon de raisonner populaire, car le peuple de France a eu tant de ces serments à prêter au commencement de chaque nouvelle tyrannie qu'il sera disposé à ranger cette charte avec les autres; et conséquemment qu'au lieu d'accroître la vénération que sans cette formalité il aurait eue pour le droit héréditaire du monarque, elle ne fera que l'affaiblir. Il a d'ailleurs été notifié que cet acte solennel doit lui-même dans le cours de cette session-ci, subir des changements très-essentiels. Que devient donc

(nous le dirons de nouveau par rapport à la maniere de raisonner populaire) le serment de fidélité prêté à cette charte dans l'état présent des choses? Après tout de convulsions dans l'état, tous les partis, (nous ne prétendons pas comprendre les rebelles sous le nom de parti) s'accordent à regarder la charte comme un point d'union. La charte est une modification de l'autorité royale, émanée, comme dans beaucoup d'autres époques de l'histoire de France, de l'autorité royale elle-même. Anciennement; de pareilles concessions étaient ordinairement acceptées et confirmées par les étatsgénéraux. A présent les deux chambres peuvent être regardées comme tenant la place des états-généraux; et il semble permis de croire qu'elles auront à discuter et à modifier de nouveau la charte. Dans cette partie de leurs devoirs, elles tiendront sûrement leurs regards fermement fixés sur les anciens principes de leur législation nationale; et si quelque chose dans la charte leur est contraire, quoiqu'ayant l'apparence d'amélioration, ils réfléchiront avant d'y donner leur sanction; car comme le Roi le dit avec beaucoup de sens et de justesse, le danger de l'innovation n'est pas très-éloigné des avantages de l'amélioration. D'un autre côté, ils recevront avec plaisir tout ce que la sagesse du Roi a incorporé d'évidemment avantageux dans cet ouvrage. Enfin leur chemin leur est expressément tracé dans les conseils d'un éloquent écrivain aux Cortés espagnoles: "il est de leur devoir de rétablir le bien qui est tombé en désuétude, et aussi de créer et d'adopter." Ces grands et puissants efforts de jugement, n'auraient pas dû, suivant nous, être précédés d'un serment tel que celui qui passe pour avoir été prêté à cette occasion.

« PreviousContinue »