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sang pour servir l'ambition d'un seul et l'avare cupidité de quelques-uns.

Là, comme à la porte du palais de Néron, de Domnitien, de Constantin, nous avons vu l'orgueil des rangs, la bassesse de l'intrigue, la lâcheté des courtisans, se presser pour encenser, à genoux, une idole qu'ils auraient renversée, brisée, s'ils n'en avaient pas attendu un coup-d'œil, une faveur.

Là, nous avons vu, non pas comme à Venise, le sage conseil des Dix, mais les conciliabules de trois ou quatre tyrans subalternes, briguer l'avantage d'asservir, d'enchaîner les peuples et de remplacer par des mots vides de sens ces éternelles vérités, Dieu, la Patrie et le Roi.

Là, comme partout, nous avons vu donner le nom de grand à un être dégradé, et appeler humain et généreux le bourreau d'une nation. Un seul homme chez vous nous a rappelé la lâcheté d'Auguste, la cruauté de Néron, la dissimulation de Domitien.

Enfin, après plus de deux mille ans, quelques consolations sont venues adoucir nos chagrins; elles datent du retour tant desiré de votre légitime souverain. Nous l'avons vu, le jour, occupé sans relâche du soin de soulager les maux qu'un audacieux étranger a fait peser pendant vingt ans sur sa famille ; et la nuit, nous avons entendu ses soupirs, comprimés trop long-temps, s'échapper de son cœur oppressé Puisse-t-il jouir bientôt du fruit de son héroïque constance, de ses nobles efforts pour réunir ses enfants égarés!

Un vil usurpateur avait doré vos fers; vous les avez brisés: nos harnois étaient aussi dorés; nous allons reprendre notre antique parure.

Vous étiez courbés sous un sceptre de plomb; il est rompu. Nous étions attelés à un char de plomb; noussommes libres aussi.

Vous allez vivre sous un prince instruit à l'école du malheur; nous retrouvons un protecteur généreux. Oublions nos excursions et nos voyages. Attendons tout du temps; il a déjà ramené les rois aux principes de justice qui seuls fondent et assurent les empires; il ramenera les peuples à cette union, à cette sage obéissance, à cette confiance qui seules font la prospérité des nations.

Adieu, aimables Parisiens. Pensez quelquefois aux Chevaux de Corinthe; mais que ce soit pour votre instruction, et ne désirez jamais nous revoir au même prix. C'est le prix du sang de deux millions de Français.

A qui faut-il s'en prendre?

Frédéric-le-Grand avait un médecin qui voulait quelquefois l'engager à modérer sa passion pour les ragoûts épicés, contraires à sa santé; alors Frédéric-leGrand se mettait en colere et demandait à quoi était bon un médecin, si ce n'est à empêcher que les choses qu'il aimait ne lui fissent mal.

"A quoi donc sert un gouvernement, disent aujourd'hui les amateurs de révolutions, si ce n'est à nous garantir des suites de la révolution que nous nous sommes amusés à faire contre lui? Quoi! pour avoir eu le plaisir de bouleverser l'Europe seulement pendant trois mois, nous serons honnis, montrés au doigt, désignés à la baine générale, et le gouvernement ne fera pas cesser cette clameur qui s'éleve contre nous? Il ne s'interposera pas entre nous et les pierres que nous avons lancées quand elles menacent de nous retomber sur la tête? Un médecin qui ne guérit pas son malade du mal que le malade s'est donné, est traité d'assassin; c'est un gouvernement ennemi que celui qui ne nous préserve pas du mal que nous nous sommes fait; et quand l'opinion publique que nous avons soulevée est assez injuste pour nous poursuivre, n'avonsnous pas le droit de crier que c'est le gouvernement qui nous persécute "

Non, messieurs, le gouvernement ne vous persécute pas; il a bien assez à faire de vous défendre: croyez-vous que ce soit une chose facile que de calmer toutes les indignations que vous avez fait naître, de contenir tous les ressentiments dont vous vous êtes rendus l'objet, d'empêcher que les craintes que vous excitez ne deviennent des prétextes de vengeance? Un gouvernement qui croit de son devoir de vous préserver des injustices que vous avez provoquées par des injustices, de vous soustraire aux outrages que vous vous êtes attirés par des outrages; un gouvernement chargé de vos intérêts au milieu de l'animadversion publique, n'est bien malgré lui que trop occupé de vous; les affaires que vous lui donnez ne sont certes pas de son choix; peut-être aussi ne sont-elles pas de votre goût; mais à qui la faute ?

Nous vous avions un peu oubliés, messieurs; le despotisme impérial avait été une merveilleuse recette contre les souvenirs du despotisme révolutionnaire, de même que les souvenirs du despotisme révolutionnaire avaient été d'abord d'un merveilleux secours pour établir le despotisme impérial. Il nous avait semblé que c'était assez pour nos forces de les supporter et de les détester l'un après l'autre, et entre ceux qui se disputaient notre haine, Buonaparte avait eu le dernier. Mais pour nous apprendre qu'il pouvait exister encore quelque chose de plus hideux que ce que nous avions vu, quelque chose de plus cruel que ce que nous avions souffert, Buonaparte et la révolution viennent de nous apparaître ensemble; jacobins et buonapartistes se sont donné la main sans se demander autre chose que le serment de nous nuire, et Dieu seul peut savoir à quel point ils ont réussi. De là, messieurs, l'union qui s'est formée dans tous les esprits de l'horreur qu'inspire le nom de buonapartiste avec celle que nous devons au nom de jacobin; de là l'opinion qui se prononce sur votre compte. Cette opinion vous effraye, messieurs, je le conçois; la voilà telle que vous nous l'avez faite, inquiete, soupçonneuse, passionnée, agitée de ce mouvement révolu tionnaire où vous avez de nouveau précipité tous les esprits, toujours prête à tomber dans les excès où elle a été poussée par des excès; comme tous les résultats de vos œuvres, elle peut être dangereuse; née de l'amour du bien, elle peut, comme tout ce que vous avez touché, devenir une source de mal. Frémissez, messieurs, vous le devez, d'un état de choses où l'homme de bien lui-même, troublé par le souvenir des trahisons dont il s'est vu entouré, par l'idée des dangers qui le menacent et des crimes qui ont révolté son âme, peut à chaque moment être tenté de prendre ses soupçons pour des preuves, ses craintes pour des motifs, et la vengeance pour la justice; et quand l'homme de bien peut s'égarer, quels ne seront pas les emportements de la multitude? Quels ne seront pas les prétextes donnés à des misérables qui ne cherchent dans les révolutions qu'une occasion de crime, n'importe pour qui ou contre qui il se commet? Et quand, sur un point de cette France que vous avez mise toute entiere en fermentation, les excès populaires auront atteint des innocents ou excité la pitié et la douleur pour des coupables trop rigoureusement punis, quand l'indignation, changeant de place pour un moment

se sera portée sur des forfaits plus récents que les vôtres, vous triompherez, messieurs, au milieu de vos craintes, et vous direz: Voilà donc ce que nous amene le retour du gouvernement que nous avons voulu détruire!

Cependant vous ne vous y trompez pas; vous savez bien que de tels maux ne sont pas venus du gouvernement qui travaille à tout rétablir, mais de ceux qui ont tout bouleversé. Vons savez bien que l'injustice publique, partout où elle existe, est l'œuvre de ceux qui ont soulevé toutes les passions, toutes les craintes, tous les intérêts. Vous savez bien que l'esprit de parti n'est point l'ouvrage d'un gouvernement, dont le but doit être nécessairement l'ordre et l'union, parce que c'est son intérêt et la condition de son existence.

Les révolutions sont l'aliment de l'esprit de parti, et c'est vous qui faites les révolutions; la haine en est le lien, et c'est vous qui avez mis la haine dans les cœurs: on se réunit violemment pour vous poursuivre, vous ennemis de nos lois et de notre gouvernement; sans vous on se réunirait paisiblement pour les aimer et leur obéir. Vous êtes le ferment qui mêle de l'aigreur à tous nos sentiments; vous êtes le poison qui trouble notre intelligence, et livre notre imagination à des fantômes d'autant plus effrayants, qu'ils nous présentent sans cesse votre image. Croyezvous qu'il suffise de toute la puissance d'un gouvernement pour dissiper, ces fantômes dont vous avez rempli tous les esprits? Ce gouvernement est-il toujours le maître de résister aux craintes des peuples dont la confiance lui est nécessaire? Partout où l'on croit vous voir, la confiance disparaît, la frayeur ou la colere s'empare de toutes les âmes; on poursuit jusqu'à votre ombre; et le gouvernement qui s'obstinerait à vouloir conserver parmi ses agents celui qui passe pour un des vôtres, perdrait à l'instant tous les moyens de force et d'action qu'il peut tirer de l'influence de ceux qu'il emploie sur ceux qu'il gouverne.

Il est donc vrai, très-vrai, qu'en ce moment l'opinion publique soulevée, exaspérée est disposée à se montrer injuste, non pas envers nous, messieurs, mais envers ceux qu'elle flétrit trop légérement d'un nom aussi odieux que le vôtre. Il est certain, trop certain, que pour ne pas partager les injustices du public, pour ne pas se laisser entraîner à cette réaction que vous nous avez léguée comme votre dernier bienfait, le gouvernement et tous ceux qu'il emploie ont

besoin d'un degré de force, d'attention, de sagesse, qu'il n'est peut-être pas aisé d'attendre de tous les esprits et dans tous les instants. Mais ce qui est encore plus vrai, encore plus certain, c'est que pour empêcher l'opinion publique de rentrer dans la ligne de la modération et de la justice, pour empêcher le gouvernement de se laisser entraîner par ce dangereux torrent, il ne faut que vous, messieurs, que votre inconcevable effronterie à persécuter nos regards qui se détournent de vous avec aversion et dégoût; votre constance diabolique à nous poursuivre de ces cris séditieux, de ces bruits imposteurs, de ces discours incendiaires, aliments de notre haine, parce qu'ils sont le fondement de vos espérances; votre infernale activité à tromper, à séduire, à effrayer, à troubler, à envenimer; il ne faut que vons voir, vous entendre, tels que vous êtes, tels que vous avez été et tels que vous serez toujours. Cachez-vous donc'; taisez-vous; que votre aspect cesse d'aigrir nos maux, si Vous voulez qu'il cesse d'accroître notre colere. Craignez les résultats de vos propres fureurs; craignez-les surtout s'ils devaient vous conduire au malheur d'un nouveau triomphe; l'issue cette fois vous serait encore plus funeste, et cette issue n'est pas douteuse. La volonté d'un grand peuple doit à la fin l'emporter sur celle d'une poignée de factieux usés dans les révolutions qu'ils ne cherchent à perpétuer que parce qu'ils ne sont plus propres à autre chose. Nous ne voulons pas de vous, parce que nous ne voulons plus de révolutions, parce que nous voulons l'ordre, la liberté, la paix, la justice, et qu'aucune de ces choses ne nous a jamais été donnée, ne peut jamais nous être donnée par vous.

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