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LETTRES DE CANOVA.

BEAUX ARTS.

Extrait du Morning Chronicle, du 16 Octobre. Nous avons reçu l'extrait suivant des lettres du célebre Canova à un ami à Londres.

Paris, 30 Septembre.

La cause des beaux arts est à la fin gagnée, et c'est aux efforts généreux et infatigables du ministre anglais le lord Castlereagh et du sous-secrétaire d'état, M. Hamilton, que Rome doit le succès de la demande que je suis venu faire ici en son nom. Quels sentiments de reconnaissance ne devons-nous pas éprouver envers la nation anglaise! Elle mérite pleinement que les arts, en retour de cet acte généreux, se donnent la main pour élever un monument éternel à son nom. Mais le meilleur et le plus durable monument sera gravé dans le cœur de tout Italien qui, en voyant rendus à sa patrie, ces objets sacrés que la violence en avait arrachés, se rappellera la nation qui a été la premiere à réclamer en sa faveur cette restitution, et invoquera pour elle les bénédictions de la Providence.

Notre travail va commencer. La Toscane, Milan et Venise ont repris tout ce qui leur appartient; je serai le dernier, et il me faudra plus de temps, car les objets réclamés par Rome, comme vous le savez, sont très-nombreux. Je brûle d'impatience de voir tout emballé et parti; je traverserai alors les mers pour me rendre dans votre magnifique capitale, le cœur content, et pour aller vous embrasser.

Nous joignons à cette missive d'autres extraits de lettres de la même personne.

Le reste de ce qui appartient à Rome sera embarqué et envoyé par mer en Italie. J'éprouve le plus grand plaisir à vous informer, car je sais combien vous vous en réjouirez, que même nos anciens manuscrits, nos médailles et autres objets non moins curieux seront compris dans l'enlevement, à la grande satisfaction sans doute VOL. LI.

M

du loyal Denon, et de cet Italien éminemment patriote, Visconti, membre de l'Institut.

P. S. J'ai failli oublier de vous dire que les tableaux et les statues qui dans les temps, appartenaient à la famille Albani, seront rendus; mais je suis fâché d'ajouter qu'il n'en sera pas ainsi de ceux des Borghese. Ne croyez pas à tous les mensonges que les journaux de France sont autorisés à débiter sur la Vénus de Médicis; elle est toujours, comme elle l'était auparavant, salva et incolumis.

Paris, 5 Octobre.

Nous commençons enfin à tirer de ce receptacle immense de biens volés, les monuments précieux de l'art enlevés de Rome. Le 2 de ce mois, nous avons remarqué parmi les superbes tableaux enlevés du Musée cette merveilleuse production, la Transfiguration, la Communion de St. Jérôme, la Vierge de Foligno; le lendemain d'autres tableaux d'un goût exquis suivirent les premiers, accompagnés du groupe de Cupidon et de Psyché, des deux Brutus, du très-antique buste d'Ajax, et d'autres morceaux de sculpture non moins précieux. Hier le Gladiateur mourant est délogé ainsi que le Torse. Nous enlevons aujourd'hui les deux premieres statues du monde, l'Apollon et le Laocoon. Demain, Mercure quittera le Louvre entre la Flore du Capitole et la Venus; les Muses les suivront après, et ainsi de suite jusqu'à la fin de ce prodigieux cortége.

Paris, 9 Octobre.

Par ma lettre du 5 de ce mois, je vous informais de ce que nous allions faire des objets que nous retirions du Musée. Les plus précieux d'entre eux se rendront à leur destination par terre et partiront la semaine prochaine, accompagnés des célebres chevaux de Venise et des autres objets de prix appartenant à la Toscane, au Piémont, et à la Lombardie. Le transport sera escorté de forts détachements de troupes autrichiennes.

RAPPORT SUR LA SITUATION DE L'ARMÉE DE LA LOIRE,

Par un Officier Autrichien.

A partir des postes avancés au-delà du pont de la Loire à la Charité, j'éprouvai si peu de difficulté que l'officier de garde prit à peine le soin de regarder mon passeport et ne voulut pas le signer; et ce ne fut qu'après ma demande répétée qu'il me donna pour m'accompagner un dragon-lancier qui fut relevé à tous les postes.

Je ne fus arrêté nulle part; même à la porte en clairevoie de la ville de Bourges il n'y avait aucune sentinelle.

Le maréchal Macdonald loge chez le préfet, son gendre, le duc de Massa (Régnier fils) et a amené avec lui un état-major entier dont le chef, le général Hullot, qui a perdu un bras, a eu ensuite deux heures d'entretien avec moi au nom du commandant. Le résultat de cette conversation est contenu dans les avis que j'ai l'honneur de soumettre à Votre Excellence.

Lorsque le maréchal Macdonald vint à Bourges pour prendre le commandement en chef, l'armée avait déjà fait sa soumission dans une adresse ; mais l'esprit de cette armée était bien éloigné de la soumission. Il commença par priver de leurs commandements tous les individus nommés dans l'ordonnance royale du 24 Juillet, et par les déclarer pour le moment prisonniers d'état. J'ai vu en effet le colonel Marbot (il avait été le premier à brûler dans Valenciennes le drapeau blanc.) le général comte Lobau, Drouet d'Erlon et quelques autres sans uniformes. Ils sont obligés de paraître

tous les jours devant le commandant de la place, jusqu'à ce que le Roi fixe le lieu de leur résidence. Le général Drouot et le Febvre Desnouettes ont été arrêtés à Bourges.

Le général Vandamme s'était retiré avant l'arrivée du maréchal Macdonald. Son corps est maintenant commandé par le général le Fol; celui du comte d'Erlon qui, dit-on, est griévement blessé et malade, par le général Marcogney.

Le général Macdonald a en outre signifié à tous les officiers qui étaient ci-devant à la demi-paye, ou qui jouissaient d'une pension de retraite, et qu'on avait mis en activité de service, qu'ils eussent à reprendre leur premiere situation; et il a donné ou préparé pour un quart du reste de l'armée, des passeports pour s'en retourner chez eux. Après ces mesures, me dit le général Macdonald, les généraux commandant les forces alliées, ne peuvent plus douter un moment que Sa Majesté, mon trèsgracieux souverain, ne verra plus nulle part des ennemis de son pays, si ce n'est dans les malveillants de son armée; que notre sincere désir est une paix durable. Mais vous verrez aussi, ajouta-t-il, que ma situation ici comme commissaire et distributeur du déplaisir du Roi, doit-être excessivement désagréable, et que ce désagrément s'est singulierementaccru lors de mon arrivée, parce qui s'est passé à Cosne, après que la convention eut été conclue, savoir l'enlevement d'un détachement de sapeurs dans une île de la Loire, qui appartient au département du Cher, et par le pillage d'un châteauappartenant à Madame de la Trémouille, par un détachement de chasseurs impériaux autrichiens. Le général Hullot me pria alors au nom du maréchal, de faire sentir à mon général en chef la nécessité de lever aussitôt que possible les difficultés et les obstacles qu'éprouvaient les communications, pour permettre la libre circulation des provisions, et pour faciliter

le commerce en général, ainsi que de laisser, aux officiers et autres individus appartenant à l'armée, qui avaient reçu de lui des passeports ou des feuilles de route en regle, la liberté de s'en retourner chez eux, avec leur bagage, et aux officiers, celle de se retirer avec leurs épées. Cette nouvelle dislocation dit-il, consisterait en ce que, le long de la Loire, il resterait des postes très-faibles, pour maintenir en quelque sorte la police de la frontiere ou de la ligne de démarcation. Du reste, les deux provinces très-pauvres et entierement épuisées, le Berri et la Sologne, étaient entierement dégarnies de troupes; la cavalerie et l'artillerie avaient été envoyées en Bretagne où il y avait du fourrage en abondance: deux régiments d'infanterie restaient à Bourges.

Le maréchal Suchet qui doit venir aussi se ranger sous le commandement de Macdonald et qui a deja reçu l'ordre de se rapprocher avec ses troupes, semble différer ce mouvement le plus possible, afin de prolonger aussi long-temps qu'il pourra son commandement en chef.

Il ne savait rien de Vandamme, de Flahault, ni de Ney; mais le découragement de l'armée était décidément trop grand et la considération de ces généraux trop affaiblie par les derniers événements, pour qu'ils pussent rien entreprendre.

Le lieutenant-général que j'ai vu parmi les généraux, faisant leur cour au maréchal Macdonald après dîner, est un de ceux qui sont mis à la demipaye. Il portait outre la croix de commandant de l'ordre de Marie-Thérese, celle de la légion d'honneur, mais avec le médaillon du milieu ôté, de sorte que la décoration avait l'air d'une lorgnette enjolivée.

Après cet entretien, je clierchai à Bourges comme sur toute ma route à mon retour à me procurer quelques renseignements sur la situation et

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