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de ralliement, vous le jurez! » Le cri mille fois répété : Nous le jurons! répondit à ces paroles, et le défilé commença. Au centre du Champ de Mars s'élevait une construction quadrangulaire, garnie de gradins sur les quatre faces, et surmontée d'une plate-forme où l'on avait placé un trône. Les ministres, les maréchaux et leurs états-majors placés sur cette estrade formèrent bientôt une éclatante pyramide dont le sommet était occupé par l'empereur. Les différents corps passèrent devant lui en poussant les plus vives acclamations. La pompe de ce spectacle était plus grande peut-être que celle de la fédération de 1789; mais quelle différence dans les sentiments qui remplissaient tous les cœurs! En 1789, c'était la confiance et l'enthousiasme d'un peuple saluant avec bonheur l'aurore de la liberté; en 1815, ces splendeurs officielles ne réussissaient pas à cacher l'inquiétude d'une nation épuisée; quelques esprits sérieux blâmaient ces réminiscences de la pompe impériale, et auraient voulu plus de simplicité dans de pareils moments. Tous emportèrent de cette cérémonie une impression sinistre; ils pressentaient la défaite prochaine, et comparaient ces braves soldats aux gladiateurs antiques défilant devant l'empereur avant de tomber dans le cirque, et lui jetant leur dernier cri d'adieu : Cæsar, morituri te salutant.

L'attitude de la chambre des représentants ne tarda pas à justifier ces appréhensions. Au moment où l'Europe entière marchait contre nous, le rôle des représentants était tracé d'avance; ils devaient user de toute leur autorité pour fortifier l'empereur et se garder de ces mesures de défiance qui, en affaiblissant Napoléon, devenaient une trahison. pour la France. Malheureusement la chambre était composée en grande majorité d'hommes qui craignaient moins les ennemis que l'empereur. Jalouse avant tout de sauvegarder

sa dignité, elle croyait que son premier devoir était de faire respecter son indépendance, et par une erreur commune aux assemblées inexpérimentées, elle ne sut l'attester que par une hostilité déplorable dans un aussi grand danger. Animée de pareilles dispositions, la chambre était livrée d'avance aux ennemis de Napoléon. Sa défiance éclata, en effet, dès les premiers jours. L'empereur, en fixant l'ouverture des chambres pour le 6, avait convoqué les représentants dès le 3 juin pour la vérification des pouvoirs et la formation du bureau; il aurait voulu donner pour président à la chambre son frère Lucien, revenu à Paris depuis quelques jours, et dont il connaissait le dévouement. Mais la chambre ne voulut pas pour son président l'homme du 18 Brumaire; elle déclara que Lucien siégerait sans doute à la chambre haute, et demanda que la liste des pairs fût immédiatement publiée; l'empereur répondit par un refus, et la chambre mit une certaine malice à insister; enfin, elle ajourna l'admission de Lucien, et élut pour président Lanjuinais. L'empereur se montra vivement blessé de ce choix, qui était presque une déclaration de guerre; il l'accueillit avec colère; la chambre craignit d'être dissoute, et Fouché l'entretint dans cette inquiétude. Les vice-présidents, MM. Flauguergues, Lafayette, Dupont (de l'Eure) et le général Grenier appartenaient à l'opinion libérale, et leur choix révélait également l'opposition de la chambre. Un nouvel incident la fit plus clairement éclater; le 6 juin, la veille de la séance impériale, un député encore inconnu, M. Dupin, proposa de déclarer que le serment ne pourrait être exigé qu'en vertu d'une loi : c'était ajourner le serment à une époque éloignée, autoriser l'Europe à déclarer que l'empereur était repoussé par la France; l'assemblée n'adopta pas cette motion, mais c'était déjà un malheur qu'elle eût

pu se produire. Le 7 eut lieu la séance impériale; l'empereur adressa aux deux chambres un discours qui émut tous les cœurs c'était une franche adhésion aux principes constitutionnels, une exposition très-nette de la situation, et un énergique appel au patriotisme des assemblées nouvelles. « Vous, pairs et représentants, disait-il en finissant, donnez à la nation l'exemple de la confiance, de l'énergie et du patriotisme; et, comme le Sénat du grand peuplé de l'antiquité, soyez décidés à mourir plutôt que de survivre au déshonneur et à la dégradation de la France. La cause sainte de la patrie triomphera! >>

Ce noble langage ne devait pas être entendu; à cette époque, le peuple et l'armée répondaient seuls aux exhortations de Napoléon, parce qu'ils éprouvaient les mêmes sentiments de patriotisme. Au milieu de ses anciens serviteurs éperdus, de conseillers perfides et de courtisans déjà prêts pour de nouveaux maîtres, l'empereur se sentait découragé. C'est dans un de ces moments de tristesse qu'il alla faire une visite à la Malmaison, revoir cette demeure où, avec le souvenir de Joséphine, il retrouvait la trace de tant de bonheur perdu pour jamais. Heureusement les affaires ne lui laissaient pas le temps de s'abandonner à ces impressions; l'armée d'ailleurs le réclamait; le 12, il devait entrer en campagne. Avant son départ, il reçut encore une fois les chambres pour entendre la lecture de leurs adresses. Elles étaient conçues dans un esprit de blâme et de défiance; Napoléon y répondit par de sages conseils. « L'entraînement de la prospérité n'est pas le danger qui nous menace aujourd'hui, dit-il à la chambre des pairs, par allusion à une phrase insérée d'abord dans l'adresse, et modifiée sur les instances de Cambacérès, c'est sous les fourches Caudines que les étrangers veulent nous faire passer. » Il

recommanda aux représentants la sagesse et la modération : toute discussion qui pourrait diminuer directement ou indirectement la confiance qu'on doit avoir dans la constitution, serait un malheur pour l'Etat. « Nous nous trouverions au milieu des écueils sans boussole et sans direction. La crise où nous sommes engagés est forte. N'imitons pas l'exemple du Bas-Empire qui, pressé de tous côtés par les barbares, se rendit la risée de la postérité, en s'occupant de discussions abstraites au moment où le bélier battait les portes de la cité. »

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La chambre se montra blessée d'une défiance qu'elle méritait. Le sentiment de l'amour de la patrie était chez elle dominé par la crainte de Napoléon; sourdement manifestée avant le combat, cette hostilité n'attendait qu'une défaite jugée déjà inévitable, pour éclater hautement; l'empereur vaincu, la chambre ne songerait qu'à s'en débarrasser, sans respect pour cette infortune, sans souci ni des intérêts de la France ni de son propre honneur. Napoléon devinait ces dispositions, et se sentait gêné de l'isolement qui se faisait autour de lui. Il avait hâte de quitter Paris; le 12 juin, au matin, il partait pour l'armée. C'était là, tous le comprenaient, que son sort allait se décider. Seulement une défaite suffisait pour le perdre, et combien de victoires lui auraitil fallu pour s'imposer à l'Europe!

CHAPITRE III.

WATERLOO (1).

L'empereur allait demander à la guerre un appui contre la mauvaise volonté des partis; le champ de bataille ne devait pas lui être plus favorable. Il fut poursuivi jusque dans les camps par les incertitudes et les trahisons qu'il avait trouvées à Paris autour de lui. La campagne de Waterloo montra en quatre jours combien tout était changé depuis le premier Empire. Il n'y eut aucune défaillance chez les soldats qui combattirent avec la fureur du désespoir; mais les chefs de cette brave armée ne se montrèrent pas dignes de la commander. Tous, en effet, avaient reconnu les Bourbons; tous avaient reçu de ces princes, avec la confirmation de leurs titres, des faveurs nouvelles, et l'espoir d'en jouir en repos; rejetés de nouveau dans les hasards des combats, ils ne marchaient qu'à regret. Quelques-uns étaient singulièrement troublés par l'embarras de

(1) Pour ce chapitre, sans négliger les travaux de MM. Charras et Edgar Quinet, nous nous sommes sur tous les points importants rangé à l'opinion de M. Thiers. Autant qu'il nous est possible de nous former une opinion sur ces matières, où nous nous sommes souvent trouvé arrêté par le sentiment de notre insuffisance, il nous a paru que l'empereur était resté à Waterloo ce qu'il était en 1814, ce qu'il n'a jamais cessé d'être, un incomparable capitaine. Ce n'est donc pas dans la défaillance de son génie militaire, mais dans sa situation morale qu'il faut chercher les causes de sa chute.

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