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LIVRE QUATRIÈME.

M. DE VILLÈLE.

CHAPITRE PREMIER.

LA GUERRE D'ESPAGNE.

Presque tous les nouveaux ministres appartenaient à la congrégation; tous étaient dévoués à une politique ultraroyaliste. Entourer le trône d'institutions aristocratiques, rendre son ancienne splendeur à la noblesse et au clergé, abaisser la classe moyenne et lui enlever toute influence, tel était le programme du nouveau cabinet. Son chef cependant, M. de Villèle, n'était pas un fanatique. S'il avait débuté dans sa carrière publique par une protestation contre la charte, il avait depuis 1815 trop pratiqué les hommes et les choses pour n'avoir pas dépouillé beaucoup de préjugés chers au parti qui l'avait porté au pouvoir. Esprit avisé, pénétrant, financier plein de ressources, c'était un habile politique; il lui manquait, pour arriver à être un homme d'Etat, l'élévation du caractère et la fixité des idées; il subit les passions de son parti au lieu de le diriger, et se laissa imposer, par ambition, des fautes qui, chez d'autres, auraient eu au moins l'excuse d'une convic

tion sincère. Il ne garda si longtemps le pouvoir qu'en consentant à se mettre au service d'une faction qui finit par le perdre, et, à force de concessions, un des plus habiles ministres de la Restauration prépara tout pour sa ruine.

La droite recueillait avec bonheur la succession du ministère Richelieu. La loi électorale du double vote lui avait donné une majorité qu'augmenterait encore chaque renouvellement de la chambre; les projets de loi sur la presse et sur la police des journaux allaient imposer de nouvelles entraves aux ennemis qu'elle se proposait d'accabler. Ces lois nouvelles rétablissaient les mesures de rigueur supprimées en 1820. Dans les outrages à la morale et à la religion, elles établissaient une catégorie spéciale pour les attaques à la religion catholique, reconnue religion d'Etat. Pour les insultes à l'autorité du roi, elles supprimaient le mot «< constitutionnelle,» accepté par la chambre de 1819; elles établissaient de nouveaux délits, celui, par exemple, d'excitation à la haine d'une classe de citoyens; enfin, elles enlevaient les procès de presse au jury pour les transporter aux tribunaux correctionnels. Quant aux journaux, n'avaient le droit de paraître qu'avec l'autorisation royale. La direction même du journal, l'esprit de sa rédaction, sans aucun délit spécial, pouvait devenir l'objet d'une poursuite, et les tribunaux étaient maîtres de le suspendre pour plusieurs mois, ou même de le supprimer tout à fait. Une dernière disposition autorisait les ministres, en l'absence des chambres, à rétablir la censure par une simple ordonnance. Ces lois, présentées par M. de Serre avant sa chute, n'avaient pu le sauver; elles devaient être accordées à ses successeurs. Par une de ces révolutions fréquentes en politique, le ministère Richelieu avait obtenu de la chambre un pouvoir dictatorial qu'elle refusait à

M. Decazes. M. de Villèle, à son tour, allait profiter d'une autorité que la chambre ne voulait plus laisser entre les mains de MM. Pasquier et de Serre. Ces deux lois furent en effet adoptées dans la session de 1822. En vain la gauche s'éleva-t-elle avec force contre la protection spéciale faite par la loi à la religion catholique; en vain essaya-telle de faire rétablir le mot «< constitutionnelle » pour caractériser l'autorité royale; en vain protesta-t-elle contre ces classes, reconnues par la loi, contrairement à l'esprit de la révolution française et de la charte, qui avaient aboli toute distinction entre les citoyens : la droite ne voulut rien entendre, et adopta les deux lois à une grande majorité. La chambre des pairs rétablit seulement le mot «< constitutionnelle,» supprimé par les députés.

Mais si le ministère était armé de pouvoirs extraordinai

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res, il se trouvait en face de graves difficultés à l'intérieur, il avait à se défendre contre de nombreux complots; à l'extérieur, il se trouvait obligé de prendre un parti dans une question grosse d'embarras, la révolution d'Espagne.

Nous avons déjà expliqué comment l'opposition désarmée par la loi du double vote avait été rejetée de la lutte légale dans les conspirations. Au mois d'août 1820, un complot militaire était découvert à Paris la veille même du jour où il devait éclater. L'année 1822 fut remplie de tentatives du même genre. Béfort, Saumur, Marseille, La Rochelle fournirent de nombreuses victimes à ces complots toujours déjoués et rigoureusement punis, et dans lesquels on regrette de trouver souvent la main de la police. Le sang coula plusieurs fois sur l'échafaud; à côté de généraux, de colonels ou de riches propriétaires, mouraient de simples ouvriers et de pauvres paysans; tous marchaient au sup

plice avec la même fermeté, témoignant de leur haine pour les Bourbons, de leur amour pour la liberté. Un seul, pourtant, Saugé, exécuté à Thouars, fit entendre sur l'échafaud un cri oublié depuis bien longtemps, celui de : vive la république! De tous ces condamnés les plus célèbres, ceux auquel l'intérêt de la foule a fait une véritable légende, sont les quatre sergents de La Rochelle; leur nom est resté populaire, et le souvenir de leur exécution a été fatal aux Bourbons. Il serait pourtant injuste de ne pas établir une grande différence entre les exécutions de 1822 et celles qui suivirent les fureurs de 1815. Cette fois la Restauration, sérieusement menacée, ne faisait que se défendre peut-être un gouvernement plus clément ou plus habile se fût-il montré moins sévère, mais les ministres ne commirent d'autre faute que d'appliquer avec rigueur des lois qu'ils trouvaient inscrites dans nos codes. Ils croyaient d'ailleurs utile d'effrayer ainsi des coupables qu'ils soupçonnaient sans pouvoir les atteindre. Ces complots, en effet, étaient tous formés par deux vastes associations dont le gouvernement ne connut jamais qu'imparfaitement la puissance et les relations. Les conspirations de l'Ouest furent toutes tramées par les Chevaliers de la liberté ; les Carbonari n'y eurent que peu de part. Ils avaient seuls, au contraire, fomenté les complots de Béfort, de Metz et de Marseille; c'est aux Carbonari qu'étaient affiliés les sergents de La Rochelle. Au moment où la conjuration de Béfort était découverte, le général Lafayette était déjà parti de Paris, pour aller se mettre à la tête du nouveau gouvernement qui devait être installé à Colmar. Manuel avait aussi quitté Paris. Mais les ministres ne savaient pas à quel point les députés étaient engagés dans ces projets ; ils le laissaient trop voir surtout, en poursuivant des mêmes accusations

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