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à-dire en excluait tous ceux qui pouvaient porter quelque ombrage aux ministres; en revanche, trois archevêques étaient introduits au conseil d'Etat, en même temps qu'une autre ordonnance créait un ministre des affaires ecclésiastiques, confié à M. Frayssinous.

Ces deux actes furent les derniers qui portèrent la signature de Louis XVIII. Depuis deux ans, le roi avait abandonné la direction des affaires au comte d'Artois; mais décidé à rester jusqu'au bout dans son rôle de souverain, il présidait le conseil des ministres ; il garda ainsi jusqu'au mois de septembre toutes les apparences de la royauté; le 12, un bulletin inscrit au Moniteur annonçait la maladie du roi; le 16, à quatre heures du matin, il expira. Louis XVIII a été diversement jugé ; comme la plupart des personnages historiques, il ne mérite ni les éloges ni les attaques dont il a été l'objet. C'était un prince spirituel et sceptique, qui n'eut qu'une seule vertu, le sentiment de sat dignité et de la grandeur de la France. Au moment même où les souverains alliés venaient de le replacer sur le trône, il leur parlait en roi d'une grande nation, en descendant de Louis XIV; et son attitude devant les chambres n'était pas plus haute qu'en face de l'Europe. Il avait donc cette fierté qui, chez les rois, est la première des vertus. Il possédait encore un autre mérite : il sut résister longtemps aux passions insensées qui s'agitaient autour de lui, et protégea contre ses propres partisans la charte qu'il n'avait pas faite, comme on l'a dit alors, mais qu'il accepta sans rancune et soutint franchement. Sans doute, Louis XVIII a fait des fautes; il a surtout permis que l'on en commît beaucoup autour de lui; car, par insouciance et par amour du repos, il tenait plus à l'apparence du pouvoir qu'au pouvoir luimême. Son règne fut d'abord marqué par des exécutions

sanglantes, et après la chute de M. Decazes, il devint, par l'influence de Mme du Cayla, l'instrument d'une faction aveugle, et donna le spectacle d'un prince incrédule, cynique même, comblant l'Eglise de faveurs, l'enrichissant de dons magnifiques et la soutenant jusqu'à la persécution. Mais à cette époque, vaincu par l'âge et par la maladie, il ne s'appartenait plus. Quelques années auparavant, il avait soutenu M. Decazes dans ses tentatives de gouvernement à la fois libéral et modéré. Faiblesses d'un vieillard pour un favori et un garde-malade, a-t-on dit souvent, et non sans quelque raison. Sachons lui gré au moins du choix qu'il avait fait. La sagesse d'ailleurs est souvent relative; comparons Louis XVIII aux princes de sa famille il fut celui qui comprit le mieux la situation; le comte d'Artois l'accusait de libéralisme; la duchesse d'Angoulême arrêtait sa clémence. Frère de Louis XVI et de Charles X, il eut l'avantage de mourir sur le trône; les circonstances y contribuèrent sans doute; mais ce qu'il ne doit qu'à lui-même, c'est d'avoir vécu et d'être mort en roi constitutionnel. Sagesse, indifférence, amour du repos, il eut ce bonheur que ses défauts le servirent autant que ses qualités, et il occupera dans l'histoire de notre pays une place remarquable, moins par ce qu'il a fait que par ce qu'il a laissé faire.

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CHAPITRE III.

CHARLES X.

L'avénement de Charles X causa d'abord une grande inquiétude; le comte d'Artois se vantait d'être avec Lafayette le seul homme qui n'eût pas changé depuis 89, et on le savait livré aux influences des royalistes les plus exagérés. On pouvait donc craindre qu'il n'imprimât au gouvernement une marche encore plus opposée aux principes de la Révolution. Mais avec un inébranlable attachement aux préjugés de sa jeunesse, le nouveau souverain avait l'envie et le don de plaire ; il savait trouver de ces paroles qui, dans la bouche des rois, gagnent les cœurs. Devant les chambres il protesta de son dévouement à la charte, et quelques mesures heureusement inspirées vinrent rassurer les plus défiants. L'Ecole de droit de Grenoble fut rouverte, et la veille du jour où Charles X rentra à Paris, le Moniteur annonça la suppression de la censure. La crainte fit alors place à une confiance aussi peu justifiée; l'on espéra que les ministres seraient renvoyés et que le nouveau roi inaugurerait une politique plus libérale. Mais les ministres avaient été choisis par Charles X, qui depuis deux ans était le véritable chef du gouvernement, et la mort de Louis XVIII ne devait rien changer ni aux idées ni aux personnes. M. de Villèle le savait bien, et la France ne tarda pas à le comprendre. Le 1er décembre parut une or

donnance qui mettait à la retraite 167 officiers généraux ; les termes en étaient calculés de façon à ne frapper que d'anciens serviteurs de la République et de l'Empire, tout en respectant les 400 officiers généraux improvisés en 1844 pour payer les dettes de l'émigration ou récompenser des services imaginaires. L'impression de cet arrêté n'était pas encore effacée quand Charles X se présenta à l'ouverture des chambres. Il renouvela ses témoignages d'attachement à la charte; mais il annonça en même temps des mesures que la France ne pouvait accueillir qu'avec répugnance, quand il parla des améliorations réclamées par les intérêts sacrés de la religion, des modifications à introduire dans nos lois, enfin de son désir de fermer les dernières plaies de la Révolution. Les intentions du roi furent bientôt clairement expliquées par la présentation de quatre projets de loi qui occupèrent toute la session. Organisation des communautés religieuses, peines portées contre le crime, de sacrilége, indemnité d'un milliard aux émigrés, conversion de la rente et transformation du fonds d'amortis-. sement, telles sont ces mesures religieuses et financières, qui, discutées en même temps, allaient donner tour à tour aux deux chambres l'apparence d'un concile ou d'une réunion de banquiers, et faire succéder sans transition aux calculs de la Bourse les citations des Pères de l'Eglise.

Mais avant de discuter ces projets, la chambre des députés eut à fixer la liste civile du nouveau roi. Cette mesure 9 présentée le 12 janvier, n'aurait rencontré aucune opposition, sans une circonstance que nous devons rapporter, car elle indique la position faite alors au duc d'Orléans par les divers partis. Charles X, qui venait d'accorder à ce prince le titre d'altesse royale toujours refusé à ses prières par Louis XVIII, avait voulu faire plus encore. Le duc d'Orléans

avait une immense fortune, mais sur la possession de laquelle il n'était pas très-rassuré. Lorsque la Constituante avait aboli les apanages, elle avait laissé aux princes apanagés la possession à titre viager de la plupart de ces biens. Le duc d'Orléans en avait joui dans ces conditions jusqu'à la Terreur. Rentré en France en 1814, le nouveau duc avait réclamé ces propriétés, dont plusieurs n'étaient pas encore vendues, et deux ordonnances de Louis XVIII l'avaient confirmé dans ces possessions. Mais une loi seule pouvait détruire l'effet de la loi de 1791. A la prière du prince chez lequel les affections de famille tenaient plus de place que le soin de la dignité royale, Charles X avait exigé de ses ministres qu'une disposition particulière fût insérée dans le projet de loi pour garantir les biens du duc d'Orléans. La droite se plaignit avec raison de cette tactique qu'elle déclara illégitime. On avait évidemment voulu forcer la main à la chambre, « dans l'espérance que cet article profiterait de la bonté de la compagnie, » s'écria un membre. En Angleterre, dit M. de Labourdonnais, on ne permet pas d'accrocher dans un projet de loi une disposition étrangère au principe même de la loi. La gauche, au contraire, par égard pour les principes libéraux que professait le duc d'Orléans, soutint sa cause, et alla jusqu'à défendre les apanages. Malgré ce secours inattendu, M. de Villèle eut besoin de monter plusieurs fois à la tribune pour soutenir le projet, et il n'obtint qu'une majorité douteuse.

Ces divisions étaient pourtant insignifiantes, en comparaison des querelles qu'allaient susciter les nouveaux projets de loi. La chambre des pairs fut prête la première. Elle s'occupa d'abord de régler l'existence des communautés religieuses de femmes. Le ministre avait proposé que ces communautés fussent établies par ordonnance royale avec

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