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gent encore dans la médiocrité qui nous submerge, datent de la Restauration. Certes, l'admiration est légitime pour une époque qui a pu, dans un si petit nombre d'années, produire tant de travaux remarquables, et cependant, au point de vue littéraire, cette époque vaut moins encore par ses œuvres que par l'esprit dont elle était animée. Jamais l'art ne fut cultivé avec plus d'enthousiasme et de désintéressement; jamais peut-être l'intelligence ne fut plus respectée dans ses manifestations diverses; jamais elle ne fut plus honorée. Ce n'est pas seulement la royauté qui encourageait et récompensait les écrivains, les savants, les artistes. L'opinion libérale ne leur était pas moins favorable, et jalouse de conserver les traditions du dix-septième et du dix-huitième siècle, l'aristocratie ne voulait rester étrangère à aucune des grandes idées qu'agitait cette époque passionnée. Les femmes mêmes secondaient ce mouvement, et par leur grâce élégante rehaussaient le charme de ces fêtes de l'intelligence qu'elles présidaient avec dignité. Tous les soirs, dans des salons hospitaliers, les hommes d'Etat venaient raconter les événements de la journée, préparer ou prévoir ceux du lendemain; les poëtes y lisaient leurs vers, les artistes y recevaient pour leurs travaux des conseils et des encouragements. Les salons étaient alors une puissance, et chaque parti avait les siens. « Il y avait des salons purement libéraux et fort démocratiques, sauf l'élégance qu'ils ne se refusaient pas, des salons ultra-royalistes et même congréganistes, des salons monarchiques, des salons doctrinaires enfin, qui, malgré la forme un peu disgracieuse du nom, n'étaient pas les plus mal partagés en orateurs, en publicistes, et même en belles et spirituelles personnes »

(1) Villemain, Souvenirs contemporains.

(1).

Le salon de Mme de Staël, trop tôt fermé par sa mort, et généreusement ouvert aux blessés de tous les partis, était un salon européen. M. de Montmorency s'y rencontrait avec MM. de Talleyrand, Benjamin Constant et le général Lafayette. Tous les étrangers de distinction tenaient à honneur d'y être admis, et Mme de Staël en profita quelquefois pour plaider la cause de la France auprès des représentants des puissances étrangères. Mme Récamier hérita du salon de Mme de Staël, et y maintint le même mélange de visiteurs avec une préférence plus marquée pour l'opinion religieuse et monarchique. La princesse de la Trémouille recevait les chefs de l'extrême droite; Mme de Montcalm réunissait les hommes restés fidèles à la fortune de son frère, le duc de Richelieu. M. de Châteaubriand était le dominateur du salon de Mme Duras, où se rencontraient les orateurs du parti constitutionnel, et les hommes d'Etat étrangers, sir Charles Stuart, Pozzo di Borgo, Capo d'Istria. Savants, écrivains et poëtes y trouvaient le plus gracieux accueil; MM. de Humboldt, Abel Rémusat, Villemain, de Feletz l'animaient de leur brillante conversation, et se taisaient pour écouterles vers de Lamartine, ou d'une jeune fille alors saluée du nom de Dixième Muse, Delphine Gay. La chaussée d'Antin avait ses salons comme le faubourg Saint-Germain; chez M. Casimir Périer et M. Laffitte se réunissaient les députés de l'opposition.

L'imagination se reporte avec plaisir vers ce brillant spectacle, qu'elle embellit peut-être sans le vouloir de tous les charmes de l'éloignement. On ne peut se défendre de la séduction qu'exerce sur les hommes les moins prévenus la vue de tant de talents réunis, l'alliance de toutes les aristocraties, la noblesse, la fortune et l'intelligence se rencontrant au moins sur un terrain commun: le culte du

beau, l'enthousiasme pour les idées généreuses. La société était alors plus éclairée que le gouvernement; à Paris, dans les salons, s'étaient effacées les dissidences profondes qui séparaient la nation en deux partis. Partout, en effet, le talent était honoré, l'intelligence respectée, et la liberté qui avait produit ce mouvement en profitait à son tour. A peine tolérée en 1814, elle était peu à peu devenue pour tous les partis une habitude et un besoin. Seuls les hommes alors au pouvoir ne comprenaient pas cette situation; ils allaient, contre une société animée d'un esprit aussi indépendant, recourir à la force, et détruire en quelques jours le brillant édifice qui avait coûté tant d'années de soins et d'efforts. Avec les luttes de la politique vont reparaître les dissentiments un moment oubliés, et au sortir des fêtes brillantes que nous avons essayé de retracer, nous nous trouvons en face d'une révolution.

CHAPITRE III.

MINISTÈRE POLIGNAC.

<< Le peuple paie un milliard à la loi, il ne paierait pas deux millions aux ordonnances d'un ministre. Avec les taxes illégales, naîtrait un Hampden pour les briser. » Ces lignes avaient paru dans les Débats du 10 août, et le 12 septembre était publié dans tous les journaux le manifeste d'une association formée en Bretagne pour organiser le refus de l'impôt ; quelques jours après, cet exemple était suivi par des associations lorraines, normandes, parisiennes et bourguignonnes. Déférées au tribunaux, ces tentatives de résistance légale furent condamnées seulement par ce motif «< que supposer aux ministres la pensée de vouloir violer la charte, c'était les outrager. » Plusieurs cours cassèrent même ces sentences, et si la cour de Paris les confirma, elle irrita bien plus le parti dévot et la cour, en acquittant le Courrier français accusé d'outrage à la religion, et le Journal des Débats poursuivi pour l'article que nous avons déjà rappelé. Aussi reçut-elle de Charles X au jour de l'an un accueil presque menaçant, tandis que la duchesse d'Angoulême refusa même de recevoir ses hommages. Cependant l'agitation grandissait tous les jours; provoquée par la menace d'un coup d'Etat, la pensée d'une révolution se présentait à tous les esprits. Le 1er janvier 1830, trois jeunes gens pleins de talent et d'audace, MM. Mignet, Thiers

et Carrel fondaient un nouveau journal, le National, avec la pensée avouée d'enfermer le gouvernement dans la charte, et de le faire sauter par la fenêtre. Seul M. de Polignac était tranquille. Devenu président du conseil par la retraite de M. de Labourdonnais, dont l'impuissance et la mauvaise humeur fatiguaient également ses collègues, il comptait sur la majorité dans la chambre des députés, et préparait pour cette session des lois importantes en même temps qu'une expédition destinée à flatter l'orgueil national, une guerre contre Alger. Depuis le commencement de la Restauration, le dey d'Alger, Hussein, ne cessait de mécontenter la France. Des droits de pêche vendus à des prix exorbitants, augmentés tous les ans, et enfin livrés également aux autres puissances de l'Europe, des réclamations exagérées pour des créances algériennes, le pillage de navires romains placés sous notre protection, enfin une insulte faite publiquement à notre consul général réclamaient depuis longtemps une réparation. La fregate la Provence, envoyée à Alger l'année précédente, avait, malgré un sauf-conduit, essuyé en se retirant le feu de toutes les batteries de la ville. Le prince de Polignac, dans un conseil tenu le 27 février, fit décider la guerre. Charles X l'annonça dans le discours du trône aux chambres, régulièrement convoquées pour le 2 mars, et son discours eût sans doute été vivement applaudi, s'il n'eût été terminé par une menace attendue de tous, et qui n'en causa pas moins un grand trouble : « Députés des départements, disait le roi en finissant, je ne doute pas de votre concours pour opérer le bien que je veux faire. Vous repousserez avec mépris les perfides insinuations que la malveillance cherche à propager. Si de coupables manœuvres suscitaient à mon gouvernement des obstacles que je ne peux prévoir

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