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CONCLUSION.

Telle fut l'issue d'une révolution juste, au moins dans ce qu'elle renversait, car elle n'était que la confirmation naturelle et légitime de la révolution de 1789, la revendication éclatante des principes proclamés à cette époque, et reconnus par la Restauration elle-même. Egaré par des conseillers imprudents, cédant à des passions aveugles, le gouvernement, qui reposait sur la charte, avait voulu en sortir par un coup d'Etat; cet appel à la force avait provoqué une insurrection, et, comme il arrive le plus souvent, dans des situations pareilles, la victoire s'était trouvée du côté de la justice. C'est que la désaffection était unanime dans les classes moyennes, et qu'un gouvernement, si fort qu'il paraisse, est toujours faible, quand il n'a contre la nation que l'appui de ses soldats. L'armée elle-même était détachée des Bourbons, et ne les défendit qu'avec mollesse. Humiliée depuis 1815 dans son amour-propre, elle faisait retomber sur ces princes la honte de nos deux invasions, et parce qu'ils en avaient profité, ne voyait en eux que les fauteurs et les complices de l'étranger. Cette accusation habilement exploitée pendant quinze ans n'était pourtant pas complétement fondée, et il faut reconnaître que Louis XVIII et Charles X eurent en général un profond sentiment de la dignité de la France, qu'ils confondaient, non sans raison,

avec la majesté même de leur couronne. Il était plus juste de reprocher à la dynastie renversée une antipathie profonde pour l'armée, telle que la Révolution l'avait faite, avec ses habitudes d'égalité dans l'avancement, comme dans les périls et les fatigues.

C'est par là, en effet, c'est par leurs tentatives de retour à l'ancien régime et de restauration aristocratique, que les Bourbons avaient blessé non-seulement l'armée, mais la nation entière. « La France, disait M. Royer-Collard en 1822, est une démocratie. Il est vrai que dès longtemps l'industrie et la propriété ne cessant de féconder, d'accroître et d'élever les classes moyennes, elles se sont si fort approchées des classes supérieures, que, pour apercevoir encore celles-ci au-dessus de leur tête, il leur faudrait beaucoup descendre. >> Quelle était cependant la part faite dans le gouvernement à cette démocratie? « Je vois d'abord, ajoutait le même orateur, que des deux pouvoirs qui concourent à l'exercice de la souveraineté, l'un a été donné aux intérêts aristocratiques; je vois ensuite que, dans le pouvoir qui représente exclusivement les intérêts démocratiques, et qui, pour cette raison, est électif, la moitié des élections est encore adjugée sans débats à l'aristocratie, ou du moins à ce qu'on appelle ainsi. La démocratie dispute l'autre moitié au ministère. C'est toute sa part dans le gouvernement. Ainsi le gouvernement est constitué en sens inverse de la société; on dirait qu'il existe contre elle, et pour la démentir et la braver. » On ne peut mieux dire; mais M. RoyerCollard aurait dû s'apercevoir qu'en parlant ainsi, il faisait le procès, non-seulement au ministère, mais à la charte elle-même. Le gouvernement représentatif, tel qu'il était alors établi, supposait en effet l'existence d'une aristocratie fortement constituée, exerçant sans contestation une auto

rité reconnue de tous, telle que l'aristocratie anglaise. En France, malgré l'éclat dont jouissent encore quelques familles consacrées par l'histoire, une aristocratie pareille n'existe pas; les Bourbons travaillaient à la refaire, sans songer qu'ils essayaient une entreprise impossible; les aristocraties ne se font pas par décret, et ils tournaient contre eux la nation entière, dont ils blessaient le sentiment le plus cher, l'amour de l'égalité.

Malheureusement pour ces princes, rien ne pouvait leur être plus funeste que l'attitude de leurs alliés naturels, de la noblesse et du haut clergé. Les nobles, ceux-là surtout qui avaient besoin de légitimer, à force de dévouement, une usurpation trop récente, se montraient intolérants, dédaigneux, affectaient de partager la nation en deux classes bien distinctes qui n'auraient été ni du même sang, ni de la même nature. Dans le clergé s'était formée, sous l'impulsion des congrégations religieuses, une école qui ne se lassait pas d'exalter le pouvoir absolu, de maudire la révolution française et les droits qu'elle a consacrés. Sur les débris de l'Eglise gallicane, dont elle condamnait l'indépendance à l'égard du saint-siége, cette école hautaine et emportée tendait à établir, avec les doctrines ultramontaines, une puissante théocratie jalouse de dominer dans le temporel comme dans le spirituel, et rêvait pour la royauté soumise à l'Eglise, un pouvoir absolu. `Aujourd'hui, presque tous les partis, successivement vaincus, ont appris dans la défaite à apprécier les avantages de la liberté, et se sont habitués à respecter chez leurs adversaires des droits dont ils ont reconnu la nécessité. Mais sous la Restauration, tant de sagesse n'existait pas encore, et si quelques hommes plus modérés essayaient de désavouer ces doctrines menaçantes, leur voix était étouffée par les cris d'un parti aussi bruyant qu'insensé.

Les ennemis de la Restauration, c'est là ce qui la perdit, n'ont jamais cru à sa sincérité, à cause des prétentions qu'étalaient ses plus zélés partisans, comme le souvenir et la persistance de ces prétentions suffiraient encore aujourd'hui pour rendre le retour des Bourbons impossible.

Ainsi s'évanouit la chimère de ceux qui peuvent songer à confier à ces princes les destinées de la France, en leur demandant des garanties sérieuses pour l'établissement de la liberté. Nous savons tout ce qu'il y a de sincère dans ces illusions que nous honorons sans pouvoir les partager; nous ne sommes pas insensibles au prestige que peut exercer une dynastie qui a régné pendant tant de siècles avec un éclat incomparable. Sans doute il semble naturel que des princes occupant le trône au nom d'une autorité consacrée par de nombreuses générations, rassurés sur leur existence, et confondant la prospérité du pays avec celle de leur maison, fussent les plus propres à respecter et à augmenter l'indépendance de la nation. La sécurité du prince est la garantie la plus naturelle de la liberté du peuple. Mais cette sécurité existerait-elle encore après deux révolutions pour les Bourbons deux fois détrônés? On ne refait ni la majesté d'un trône abattu ni la confiance des souverains en des sujets révoltés. Les Bourbons d'ailleurs ne pourraient, malgré tous leurs efforts, ni satisfaire ni dompter les passions que réveillerait leur retour, qu'entretient leur souvenir. Autour d'eux se formerait sans cesse la conspiration de tous les intérêts qui se rattachent à l'ancien régime, à un ordre de choses dont la France ne veut plus.

Est-ce à dire que la Restauration n'ait pas quelques droits à notre reconnaissance? Ce ne serait pas honorer un grand pays comme la France que de supposer qu'elle aurait pu supporter quinze ans un gouvernement déplorable, lors

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