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fixés sur cet immortel ouvrage, c'est, pénétré des sentiments qui le dictèrent, c'est, guidé par l'expérience et secondé par les conseils de plusieurs d'entre vous, que j'ai rédigé la charte constitutionnelle dont vous allez entendre la lecture et qui asseoit, sur des bases solides, la prospérité de l'Etat. >>

Ce discours, qui annonçait la paix et la liberté, obtint le plus grand succès. C'est avec un égal enthousiasme qu'on entendit proclamer les noms de la nouvelle chambre des. pairs, où les antiques souvenirs de la monarchie et les gloires récentes de l'Empire se prêtaient un mutuel éclat. Le roi fut salué à son départ par les plus vifs applaudissements, et rentra aux Tuileries au milieu des félicitations universelles; la joie était partout; la nation aspirait avec confiance à des destinées nouvelles; les Bourbons croyaient n'avoir rien à craindre de l'avenir. Des deux côtés on était sincère. Tout n'avait pourtant pas été également heureux, même dans cette journée où tous les cœurs se flattaient des mêmes espérances. M. Dambray et M. Ferrand avaient fait précéder la lecture de la charte de considérations qui portaient jusque dans leur style l'empreinte d'une autre époque. Ils appelaient la charte un édit de réformation, et la chambre l'élite légale des notables du royaume. C'étaient des parlementaires du dix-huitième siècle pour lesquels la révolution de 1789 n'avait pas été faite. Mais ces maladresses de langage disparurent dans l'enthousiasme général; ceux mêmes qui auraient pu les remarquer ne le voulurent pas.

Ainsi fut inaugurée cette charte constitutionnelle qui, pendant plus de trente ans, a servi de fondement à notre droit public; peut-être trouvera-t-on que nous avons trop insisté sur le pénible enfantement d'une constitution déjà si loin de nous; mais nous tenions à montrer la part qui

revient à chacun dans cette œuvre si souvent attribuée à Louis XVIII, due, en réalité, aux prévoyances égoïstes du Sénat et surtout à l'intervention des puissances étrangères. Nous ne nous sommes pas étendu sur ces détails pour rabaisser la mémoire de Louis XVIII. S'il fut étranger à la confection de la charte, ce prince l'accepta, et eut le mérite de lui rester fidèle, mérite d'autant plus honorable peut-être, qu'il avait moins de goût pour les théories constitutionnelles, et qu'il était sans cesse poussé à les fouler aux pieds. Ce que nous avons voulu surtout, c'est indiquer la force et la grandeur de la liberté. Jamais elle n'eut de plus humbles origines, et pourtant peu d'années lui suffirent pour devenir redoutable, non pas seulement aux Bourbons, mais à l'Europe entière, pour affranchir des nations esclaves depuis des siècles, et léguer à l'admiration de la postérité des exemples qui ne seront jamais oubliés.

CHAPITRE III.

LOUIS XVIII.

Le nouveau gouvernement se trouvait en présence de grands besoins et de passions vivement excitées. Réparer les maux d'une invasion et les désastres causés par nos discordes civiles, satisfaire aux exigences de l'étranger et aux réclamations plus pressantes encore des hommes associés à leurs infortunes, telle était la tâche imposée aux Bourbons. Comment accomplir cette œuvre difficile sans accabler la France épuisée, mais surtout sans exciter ses défiances et ses colères ? Un gouvernement habile et populaire, une nation confiante et résignée auraient peut-être réussi; la Restauration ne le pouvait pas. Les passions, longtemps contenues sous l'Empire, se donnaient de nouveau carrière; les partisans de la Révolution et ses irréconciliables ennemis se retrouvaient en présence. La cour elle-même était partagée. Louis XVIII prétendait se tenir au-dessus de tous les partis ; mais invisible pour les ministres, accessible seulement à M. de Blacas, il préférait à l'embarras des affaires des détails scandaleux sur les personnes, et par son scepticisme railleur déplaisait aux émigrés, qui le traitaient de jacobin. Ceux-ci, rebutés par l'indifférence royale, trouvaient l'accueil le plus empressé chez le comte d'Artois. Revenu de Saint-Cloud, où il était d'abord allé cacher sa mauvaise humeur, ce prince était

entouré des hommes les plus hostiles à la Révolution. Ces zélés partisans de la monarchie absolue, plus royalistes que le roi, remplissaient le pavillon Marsan de leurs plaintes et de leurs défiances, toujours prêts à mettre au service de leurs passions ces dévouements aveugles qui perdent les trônes et leurs défenseurs. Le duc d'Angoulême, réservé jusqu'à la timidité, cachait une âme honnête sous des dehors trop froids pour gagner l'affection de la foule. Brusque et emporté, le duc de Berry, qui s'était fait le champion de l'armée, croyait flatter le cœur des soldats par un mélange de hauteur et de familiarité, une affecta tion d'allures militaires et de plaisirs bruyants; il prétendait ainsi imiter à la fois Henri IV et Napoléon; mais il ne savait pas se contenir, et si parfois il trouvait quelques paroles heureuses, il les compromettait bientôt par des violences irréparables. La race des Condé s'éteignait; le plus jeune ne vivait que pour chasser, tandis que le vieux général de l'émigration signait des certificats à ses anciens soldats, dont le nombre, multiplié par le retour des Bourbons, l'étonnait quelquefois. De tous les princes, un seul avait conquis la popularité en paraissant l'éviter. Retiré au Palais-Royal et affectant de se consacrer uniquement à l'éducation de ses enfants, le duc d'Orléans se rattachait à

la

Révolution par les souvenirs de sa jeunesse, par la conduite de son père, et surtout par ce vote fatal qui, l'écartant de la cour, le rapprochait malgré lui de ceux qui avaient servi la même cause, épousé les mêmes passions. Paris présentait le même spectacle que la cour. En dehors du parti royaliste se tenaient les anciens sénateurs, exclus de la chambre des pairs pour avoir servi la Révoluavec trop d'ardeur; les votants, comme on les appeen mémoire de la condamnation de Louis XVI ;

tion

lait alors,

les hauts dignitaires de l'Empire, qui sentaient avec peine la défiance du gouvernement jusque dans les égards dictés par le désir de les ménager. Enfin, il s'était formé un parti sincèrement attaché à la liberté, plein de confiance dans l'avenir des institutions nouvelles, et prenant pour chefs Benjamin Constant, revenu de l'exil, et La Fayette, sorti de sa retraite de Lagrange. Ce parti s'appuyait sur la majorité de la bourgeoisie et du commerce parisien, depuis longtemps détachée de l'Empire et acceptant sans peine les Bourbons, mais voulant sincèrement la paix et la liberté. Mais le plus grand danger pour la tranquillité publique était dans la présence simultanée à Paris de soldats ou officiers en demi-solde, et de députations royalistes accourues de toutes les provinces pour témoigner de leur dévouement et solliciter l'occasion de le prouver. Le péril devint plus grave encore quand la maison du roi eut été organisée. Ces jeunes nobles, improvisés officiers sans avoir jamais servi, insultaient par leur allure dédaigneuse et le luxe de leurs uniformes à la misère de braves soldats, qui se voyaient réduits, après vingt-cinq ans de glorieux services, à solliciter des arriérés de solde dus quelquefois depuis dix-huit mois. Tous les jours éclataient des querelles particulières, qui pouvaient dégénérer en collisions générales.

En province, la situation était encore plus difficile, s'il est possible; car aux divisions politiques s'ajoutaient les haines personnelles, qui avaient à exploiter un passé de vingt-cinq ans. Dans l'ouest, les blancs et les bleus avaient repris les armes; les grandes villes du Midi, Nîmes, Toulouse, étaient aux mains d'un parti violent qui réclamait la royauté absolue; Marseille, pour devenir port franc voulait supprimer tout ce qui avait été fait depuis 1789;

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