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tandis que le nord et l'est, plus maltraités par l'invasion, ruinés dans leur industrie et froissés dans leur patriotisme, restaient fidèles aux glorieux souvenirs de la Révolution et de l'Empire. Les passions, surexcitées par les querelles politiques, étaient encore exaspérées par l'imprudence du clergé. Impatients de rentrer dans leurs anciens priviléges, des prêtres, bien humbles naguère devant Napoléon, poussaient l'intolérance jusqu'au délire. La liberté de conscience, l'égalité des cultes étaient l'objet constant de leurs attaques ; mais ils s'emportaient surtout contre le Concordat et contre les acquéreurs des biens nationaux. Prières, menaces, tout était mis en œuvre, dans le confessionnal comme dans la chaire, pour obtenir la restitution des biens du clergé, et anéantir la constitution civile de l'Eglise. Les prêtres non assermentés, les évêques démis de leur siége rentraient dans leurs anciens diocèses avec la prétention d'en chasser les usurpateurs; La Rochelle, Besançon, d'autres villes encore étaient témoins de scènes scandaleuses qui réclamaient l'intervention de l'autorité; partout la révolution et la contre-révolution, près d'en venir aux mains, jetaient la colère dans les esprits et le trouble dans les consciences.

Au lieu de chercher à calmer ces agitations, le gouvernement vint bientôt l'augmenter par une série de mesures également dangereuses. Le 16 mai fut célébré dans tout le royaume un service funèbre pour la mémoire de Louis XVI; on lut dans toutes les églises le testament de ce malheureux monarque, et l'on prêcha le pardon des injures, mais trop souvent de manière à exciter le désir de la vengeance. Bientôt à Louis XVI succédèrent Marie-Antoinette, la princesse Elisabeth, enfin Moreau, Pichegru, et même George Cadoudal. Ces cérémonies, où les autorités rivalisaient de

zèle et d'attendrissement, n'étaient pas faites pour rassurer ceux qui avaient servi la cause de la Révolution; leur crainte augmenta encore quand on apprit que la famille de George Cadoudal allait être anoblie. Cette récompense, élevant un assassinat à la hauteur d'un service public, compromettait à la fois la noblesse et la royauté. En même temps qu'il réveillait ainsi les plus fàcheux souvenirs de nos discordes, Louis XVIII demandait à la cour de Rome l'abolition du Concordat; mais cette fois il devait rencontrer des prétentions encore plus étranges que les siennes ; le pape lui répondit en réclamant Avignon. Cette leçon de modération ne fut pas comprise; dans cette politique à outrance, rien ne paraissait plus impossible, ni à Rome ni à Paris.

Les chambres, par leur sagesse, arrêtèrent un moment la royauté. Convoquées le 4 juin, elles consacrèrent leurs premières séances à se reconnaître. La chambre des pairs était composée de membres inconnus les uns aux autres, et divisés par leur passé comme par leurs sentiments; la chambre des députés était l'ancien Corps législatif, mais animé d'un esprit nouveau et jaloux d'établir son autorité. Louis XVIII et l'abbé de Montesquiou prétendaient en vain renfermer les deux chambres dans d'étroites limites; les corps délibérants prennent toujours, dans les gouvernements libres, la part qu'ils veulent se faire; on s'en aperçut bientôt. Le roi aurait sagement fait de suivre cette impulsion; dans cette première Restauration, s'il fut fait un peu de bien, si l'on évita de grandes fautes, c'est surtout aux deux chambres que le mérite doit en revenir.

Par complaisance pour le duc et la duchesse d'Angoulême, le directeur de la police, M. Beugnot, avait rendu le 7 juin une ordonnance prescrivant, sous des peines sévè

res, la célébration des dimanches et des jours de fêtes. Le préambule, qui annonçait l'intention de ramener les Français à la pratique de la vertu, était ridicule, et l'ordonnance contraire non-seulement aux habitudes de l'esprit français, mais à la liberté des cultes inscrite dans la charte. Louis XVIII lui-même en exprima son mécontentement. Un député de l'Alsace, M. Durbach, la dénonça au Corps législatif, et se plaignit en même temps que la presse fût soumise aux règlements de librairie de l'Empire. La chambre fut effrayée de la vivacité du langage de M. Durbach, mais adopta à l'unanimité la proposition de M. Faure, tendant à supplier le roi de régler par une loi le droit d'écrire. Le gouvernement comprit qu'il fallait céder; mais, dans sa défiance de la liberté, il crut pouvoir se contenter de changer en loi les décrets déjà existants. M. de Montesquiou présenta à la chambre un projet de loi préparé par M. Guizot, et dont nous devons reproduire le préambule :

<< Voulant assurer à mes sujets le bienfait de la charte constitutionnelle, qui leur garantit le droit de publier et de faire imprimer leurs opinions en se conformant aux lois qui doivent réprimer les abus de cette liberté,

>> Nous avons pensé que notre premier devoir était de leur donner sans retard les lois que la constitution ne sépare pas de la liberté même, et à défaut desquelles le droit accordé par la charte constitutionnelle resterait sans effet. »

Au nom de la charte, qui garantit la liberté de la presse, l'on demandait de supprimer cette liberté. Grâce à ce système d'interprétation, qui a fait depuis une si belle fortune, on proposait de soumettre à la censure tout écrit de moins de 30 feuilles d'impression (480 pages). Aucun journal ou écrit périodique ne pouvait paraître sans l'autorisation du roi; enfin, les imprimeurs devaient obtenir du gouverne

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ment un brevet qu'il pouvait retirer à volonté. La liberté de la presse était alors populaire; on voyait quels malheurs avait produits sous l'empire l'absence de toute publicité, et cette leçon n'était pas encore effacée. C'est à ce point de vue que se plaça Benjamin Constant pour combattre le projet de loi, et il entraîna l'opinion. L'émotion fut vive au Corps législatif, et le jour où le rapporteur du projet de loi, M. Raynouard, déposa son travail, les tribunes de la chambre, les bancs mêmes des députés étaient envahis. Le président, M. Lainé, fit remettre au lendemain la discussion, qui se prolongea pendant plusieurs jours, et finit par une transaction. Les ouvrages affranchis de la censure seraient de 20 feuilles, au lieu de 30; les opinions des membres de la chambre étaient à l'abri de toute mesure préventive; enfin, la loi n'était faite que pour deux ans. Ce dernier amendement, qui changeait le caractère de la loi, pour n'en faire qu'un de ces sacrifices dont croient avoir besoin tous les gouvernements nouveaux, était une importante concession. Le projet ainsi amendé fut voté par 137 voix contre 80. Cette loi devait être plus maltraitée encore par la chambre des pairs, qui exigea la suppression du préambule. L'ordonnance de M. Beugnot fut renvoyée à une commission qui décida qu'une loi seule pouvait régler la matière, et indiqua en même temps la nécessité de ménager toutes les convictions; enfin, sur la menace d'interpellations au ministre de l'intérieur, deux avocats, qui avaient attaqué les acquéreurs des biens nationaux, furent arrêtés et poursuivis.

La présentation du budget vint donner un nouveau gage à la confiance publique. Le baron Louis était un financier habile et honnête. Défenseur énergique des intérêts de l'Etat contre les promesses imprudentes des princes, et des créan– ciers de l'Etat contre les royalistes qui refusaient de recon

:

naître les engagements des régimes précédents, il ne cherchait de remède à nos désastres que dans une stricte économie et l'affermissement du crédit. Or, pour fortifier le crédit public, il fallait commencer par payer exactement toutes les dettes. Aussi apporta-t-il une égale ardeur à la diminution des dépenses et au maintien de tous les impôts. Le travail qu'il soumit aux chambres était divisé en trois parties 40 le budget des dépenses pour 1814, porté à 827,415,500 fr., tandis que les recettes n'étaient évaluées qu'à 520 millions; il y avait donc un déficit de 307,415,000 fr.; 2o le budget de 1815 donnait en recettes 618 millions, en dépense, 542,700,000 fr., et se soldait par un excédant de 70,300,000 fr. (1); 3o un arriéré contenant tous les excédants de dépense des budgets précédents, l'excédant prévu pour 1814, enfin, le capital des cautionnements et des dépôts versés au Trésor. Par une faiblesse indigne de sa loyauté, le baron Louis avait porté cet arriéré à la somme énorme de 1,308,156,500 fr., qu'il fallait réduire à 759 millions exigibles dans deux ou trois années. Certes, quand on songe à toutes les guerres soutenues par l'Empire, on ne peut

(1) Le budget de 1815 se décomposait de la manière suivante :

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