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odieux, je me garderais bien d'affliger, d'exposer la patrie, en les dénonçant. S'il est des têtes coupables pár leur importance, qu'elles soient frappées! Mais grâce à l'erreur, pardon, oubli même à la multitude, et clémence pour le repentir! Cette morale, qui n'est point à l'usage des libelles réactionnaires, donne aux rois qui la pratiquent une sorte de caractère divin; c'est l'évangile qui la leur conseille, c'est leur intérêt qui la leur prescrit. Malheur à ceux qui voudraient substituer le code des vengeances à ce code de saine politique et de charité!

Les six mille hommes de la garnison de Grenoble ayant demandé la cocarde tricolore, on remarqua qu'elle fut arborée en un clin-d'œil. Celles dont ils décorèrent leurs bonnets étaient vieilles, usées et avaient été cachées par eux au fond de leurs shakos. Voilà ce que les ministres ignoraient, ou ce qu'ils ont laissé ignorer au Roi. C'est la même, disaient ces soldats fanatisés, c'est la même que nous portions à Austerlitz, à Marengo!

A Bourgoin, où l'empereur coucha le 9, la multitude toujours croissante, lui dit : il y a long-tems que nous vous désirions. Vous voilà enfin arrivé pour nous délivrer de l'insolence de la noblesse, des prétentions des prêtres et de la honte du joug étranger! Tels étaient en effet

les monstres réels ou prétendus, contre lesquels on soulevait les esprits depuis quelques mois.

CHAPITRE VI.

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DEUX proclamations et quelques actes accom

pagnèrent ces premiers événemens. Avant d'examiner ces pièces, la première question que peut se faire le lecteur concerne moins l'esprit de leur rédaction, que la qualité de leur auteur. Quel titre avait-il pour le devenir? Son abdication l'ayant fait descendre au rang de simple citoyen, pouvait-il parler à ses égaux comme leur prince, aux soldats, comme leur général? Mais cette abdication, valable à l'égard des puissances, qui l'avaient exigée, par leur résolution de ne jamais traiter avec lui, n'avait pas annulé le contrat qui existait entre lui et la nation : jamais la nation n'eût ratifié l'abdication. C'est un problême, auquel on répond par ce fait : onze mois d'un gouvernement qui, avec des titres anciens, remplissait, pour le bonheur de tons, les fonctions d'une administration nouvelle, ont prouvé, par la satisfaction de la majorité des Français, qu'ils approuvaient également l'exercice du régime nouveau et la dispa

rution de l'ancien. On réplique que l'assentiment de la France établi comme un fait, doit être, sinon révoqué, mais mis en doute. La question est de savoir si le vœu de la minorité et le silence de la majorité suffisent pour exprimer la volonté générale. Mais les droits de l'antique monarchie, continuent d'objecter les uns, mais les pouvoirs héréditaires dont elle avait investi la maison de Bourbon? Ces droits, répondent les autres, ont été anéantis, ces pouvoirs ont été retirés, tant par le fait même d'une révolution, que par le droit des actes que cette révolution a permis de produire; actes que la volonté nationale, nominalement exprimée, a consacrés, et qui ont été consentis ont été consentis par les souverains de l'Europe. Politiquement, diplomatiquement, de droit, comme de fait, la révolution et ses suites sont passées en force de chose jugée. L'insurrection a renversé le trône, la victoire l'a relevé; la volonté légale de la nation et l'adhé– sion authentique des nations voisines ont sanc tionné et la chute de l'ancien trône et l'élévation du nouveau, et l'élimination de la dynastie ancienne, et la substitution de la dynastie nouvelle. Ces objections, qui agitent les questions de la légitimité héréditaire et des prétentions électives, rentrant dans le domaine de la haute politique, et ne pouvant être débattues sans de graves

inconvéniens, il semble que leur solution dépende plutôt d'un fait que d'un principe. Ce dernier, selon l'intérêt qui l'envisage, peut exciter des controverses si disparates, que la lutte des bayonnettes résulte de la contrariété des points de vue, de la contradiction des esprits. Des prétentions si élevées, ou des droits si saints, quand ils sont en opposition, ne se peuvent décider que par la guerre; c'est pourquoi le fait

qui la prévient est préférable à la querelle sanglante qui les discute. Et c'est une querelle semblable que soulevaient nécessairement parmi nous l'entreprise et les actes de Bonaparte. En ce sens au moins (et certes celui-là ne saurait être douteux, puisqu'il est compris par tous les esprits et senti par tous les intérêts); en ce sens, il n'avait aucune qualité pour parler, comme il n'avait aucun titre pour reparaître.

Je ne dois pas dissimuler toutefois que, malgré son silence sur des intérêts personnels, il y a beaucoup d'apparence que ces intérêts ont été les motifs réels de l'entreprise, dont les droits généraux du peuple français n'auraient alors été que les prétextes. Ces intérêts personnels concernaient l'exécution du traité de Fontainebleau, dont la violation entraînait la nullité de l'abdication. Ce grief particulier sera éclairci, quand nous examinerons la déclaration du conseil d'état

relative à la restauration de l'autorité impériale.

Voici donc les premiers actes, par lesquels Napoléon signala son retour en France. Il y motive, sur la liberté du peuple et sur la gloire de l'armée, la nécessité de ce retour et la reprise de son autorité. Les décrets de Lyon, que nous rapporterons par la suite, manifestent l'exercice de cette autorité même. Les uns établissent sa légitimité originaire, autant que son urgence circonstancielle; les autres donnent à son déve loppement un caractère constitutionnel, ou du moins une apparence légale.

<< Soldats, dit-il, dans sa proclamation à l'ar«mée, datée du golfe Juan, le 1er. mars, nous « n'avons pas été vaincus. Deux hommes sortis << de nos rangs ont trahi nos lauriers, leur pays, << leur prince, leur bienfaiteur. >>

« Nous n'avons pas été vaincus ». Qu'entend par-là Napoléon? Parle-t-il dans un sens général, ou dans une acception plus étroite. Si c'est en général, il ne saurait nier les désastres d'Espagne, de Moskow, de Leipsick : tous ne furent pas dus à la difficulté des circonstances, à l'impossibilité d'enchaîner les événemens. Tandis que, d'une part, l'humanité condamne le motif de certaines campagnes, que sa politique a tou jours cherchées à justifier,de l'autre, les tacticiens

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