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Loin de moi cependant le projet de nous avilirli Le satirique ou le libelliste, qui ont intérêt à ne peindre qu'un côté de leurs modèles, ferment les yeux pour ne pas voir l'autre. Moi, j'ouvre les miens à ce que je crois la lumière, et je dis ce que je juge la vérité.

Nos passions, allumées par l'incendie de l'Europe, ont donné au monde le spectacle des entreprises des plus héroïques et des plus énormes attentats. Tout était colossal dans les objets; dans les plans tout fut gigantesque. Nos-vices, nos crimes ont paru soufflés pår l'enfer : il n'y a qu'un génie divin qui ait pu inspirer nos vertus.

Au milieu des scènes orageuses, les caractères ont reçu l'inaltérable trempe de la patience, de l'expérience et de l'adversité. Parmi les Français aimables on a remarqué de durs Spartiates, des Romains belliqueux. L'antique vertu de Lacédémone a brillé près de la corruption de Paris; et la loyauté des preux a illustré plús d'un nom moderne. Les siècles de Phocion, de Thraséas, de Bayard sont beaux; celui de Malesherbes, de Loiserolle, de Macdonald n'a rien à leur envier.

Un génie brut, et quelquefois sauvage, a gouverné les arts et la littérature. Dans leurs écarts, on a pu admirer une verve, dont l'abondance ne demandait qu'une plus sage direction. La ma

lice qui relève nos ridicules, se garde bien de remarquer qu'ils sont couverts par le sublime.

De ces généralités, si nous pénétrons dans nos intérieurs, nous y trouverons le double effet des mêmes qualités. L'éducation, assortie à un système insensé, a pris une attitude militaire; mais les muses coiffées d'un casque, sont plus fières et non moins pudiques. Toutefois, je les aime mieux timides et rougissantes: l'idiôme des doit souiller Camps ne pas ces bouches virginales qu'embellissent encore les vers de Virgile. Qui ne désirerait aussi que la religion ressaisit son sceptre divin? Qu'il est honteux de se sentir entraîné à l'athéisme par l'abus de l'analyse, à la superstition par l'excès de la crédulité! Rétablissons cette chaîne auguste qui suspend la terre au ciel; et sans rapetisser Dieu, en le faisant à notre image, osons le voir présidant aux empires et ne dédaignant pas dédaignant pas les familles.

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Les sophistes ont ébranlé l'autel, mais ce sont les prêtres qui l'ont avili. Me seront-elles vénérables, ces mains épicospales qui portent mes prières à Dieu, quand, à travers l'encens qu'elles font fumer, je vois des témoignages de leur rapacité? Et ces apostats qui ont menti au ciel par leurs sermens et à la terre par leur parjure! quelle confiance puis-je avoir dans ces bouches qui exhalent l'imposture, et dont les factieux

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font les organes de leurs projets désorganisateurs ?

Il n'en est pas de même de tous les travers qui déforment la société, et dont la révolution a augmenté le volume et étendu l'influence. Quelques-uns sont horribles, quelques autres ridicules : tous peuvent devenir plus ou moins dangereux; mais de tous, une main habile pourrait extraire des talens utiles ou des qualités louables.

Un malaise général a été le principe de la révolution politique; un vif désir de changement, bientôt suivi de la tentative, dut être la conséquence de cette situation gênée. L'habitude du mouvement en a produit le besoin de là des troubles sans cesse renaissans. La révolution domestique a montré les mêmes symptômes et offre des accidens analogues.

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Un tambour est devenu maréchal, un lieutenant s'est fait empereur : pourquoi un recors ne deviendrait-il pas chancelier? pourquoi la tête rase d'un enfant de chœur serait-elle inapte à recevoir le chapeau rouge de cardinal?

Jadis l'ambition était le travers des grandes ames, l'occupation des grands seigneurs, le délassement ruineux de quelques fléaux couronnés que le ciel, à leur insu, chargeait de punir la terre. Aujourd'hui l'ambition est la maladie com

mune, et cette maladie est un ridicule, au moins par quelques côtés. Ce ridicule et cette maladie sont compliqués de cupidité et d'orgueil. Il y a eu tant de mutations, que chacun veut changer d'état; on voit tant de parvenus, que chacun cherche le moyen de parvenir. De là des licence's dans la pensée, des révoltes dans la conscience, et l'indépendance dans l'action.

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La société, classée par l'éducation, le mérite,

rang, la fortune, est confondue par les empiétemens. L'inégalité naturelle disparaît devant l'égalité conquise; et plus d'une fois, assis au même spectacle, entre mon tailleur et un Montmorency, je n'aurais pu saisir de différence entre eux, s'ils n'avaient parlé. Notez que je ne blâme point cette singularité, je la remarque.

Je remarque aussi que, dans la même famille, le fils pédagogue donne des leçons de morale au père qui, à soixante ans, en donne de coquetterie à sa fille. Plus loin, une scène moins comique me présente les infamies de l'adultère et les déchiremens du divorce. On a soif du bonheur, ou plutôt du plaisir : puisque la vertu ne le donne pas, ou l'assaisonne mal, pourquoi në pas le rendre piquant par les raffinemens du crime et les bizarreries du ridicule?

Ce besoin des jouissances, manifesté à la ville par une agitation qui paraît sans objet, se dé

clare dans les campagnes par un mouvement motivé sur le travail. Les grandes propriétés divisées appellent celui du paysan, jadis mendiant, ignare et humilié, maintenant possesseur tranquille, fier et presque insolent. Cette dernière touche appartient à son caractère actuel par le souvenir de ses déboires passés et par le désir de s'en venger par des compensations. C'est peut-être même à ce désir qu'il faut attribuer ses études ébauchées qui ont produit de demi-lueurs, commencement de la lumière, il est vrai, et terme des ténèbres, mais plus dangereuses que celles-ci. Ces clartés vacillantes ont rendu raisonneur le laboureur et le vigneron. Pendant que la cupidité pince la fibre intéressée de leur coeur, le sophisme fait jouer sa lueur équivoque sur le faible tissu de leur cerveau. Ces affections nouvelles éveillent le doute, provoquent la discussion, concentrent l'égoïsme. S'il est constant que la terre, mieux et plus sollicitée, se couvre de plus riches moissons, il l'est aussi que les vertus domestiques sont plus rares. Un libertinage grossier souille plus d'une couche conjugale, et n'a ni l'attrait de la volupté, ni l'excuse de l'amour. Les cheveux blancs du vieillard rappellent vainément une image patriarchale: comment respecter Noé, quand l'ivresse fait chanceler sa raison? Celle

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