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des jeunes gens, celle des hommes mûrs est troublée par des philtres plus venimeux, les rais sonnemens vides ou faux, la manie des projets ; la censure et l'impatience de l'autorité : autant de combustibles préparés pour les séditions.

En rentrant dans la ville, nous retrouverons partout ces matériaux funestes dans les spectacles, dont le bruyant appareil en indique l'emploi, et dont l'éloquence passionnée le justifie; dans les libelles, dans les journaux qui les multiplient par la publicité dans les cercles, où la calomnie les enflamme, en les éparpillant.

De graves auteurs ont cherché, dans les diners du soir la cause du 20 mars; ils ont cru là trou→ ver dans l'élégante solidité de nos meubles d'acájou, dáns les raffinemens de la cuisine moderne, dont ils accusent la chimie de Lavoisier. Nous serons moins subtils et tâcherons d'être plus justes.

Osons dire deux vérités : l'empire, ayant succédé à la république qui avait éveillé tous les orgueils, avertit toutes les cupidités; il lés amorça et ne les assouvit point. Il conquit la gloire et la misère: Murat fut roi, et mille des compagnons de son indigente jeunesse continuèrent à mendier. Un certain nombre, en cherchant du pain, trouvèrent des aventures; mais

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en général, à quelques gourmands près, pour qui l'empereur arrangeait des banquets royaux, tout souffrit, tout s'inquiéta et fut prêt à re

muer.

Ces mécontens cessèrent de l'être au retour des Bourbons. Dans l'effusion d'une tendre et imprudente générosité, ces princes avaient promis de réaliser les engagemens de l'empire. Ils firent beaucoup; mais omettre un seul point, ce n'était pas faire assez. Les mécontens reprirent leurs chagrins, recommencèrent à murmurer et commencèrent à appeler les mouve

mens.

Qui recruta cette insurgente armée? Des fonctionnaires qui, depuis vingt années, s'étant endormis dans leurs places, se réveillèrent avec humeur pour les avoir perdues; des soldats qui fumaient leur ennui dans la caserne, des officiers qui exhalaient le leur au café; des comédiens à qui leur conscience reprochait d'avoir été prêtres, des prêtres auxquels le public imputait d'être comédiens; des femmes, dont trois divorces n'avaient pu fixer l'inconstance, et qui cherchaient dans un quatrième le sacrement d'un nouvel adultère ; des vierges, qu'Atala instruisit à parcourir les camps, pour y trouver les protecteurs de leur ingénuité; des idéologues, qui, depuis trente ans, épient les révolutions, pour

à trente ans,

essayer sur la France les constitutions de Genêve ou des Ligues achéennes ; des écoliers, que la même année vit couronner sur les bancs du Lycée et au tapis vert de l'Académie; des marchands sans commerce, des avocats sans cause, des ouvriers sans travail et peut-être sans courage, des parleurs sans raisonnement, des raisonneurs sans logique, des orateurs sans éloquence; des vieillards, dont les souvenirs amers appelaient un avenir tumultueux; de jeunes hommes, caducs et qui cherchent dans les secousses politiques des sensations nouvelles ; des prêteurs auxquels une révolution élargit les ressources de l'usure; des débiteurs auxquels elle ouvre celles de la mauvaise foi; des joueurs ruinés, des escrocs de bon ton, des scélérats de bonne compagnie. La foule inquiète suivit ces chefs de file, parmi lesquels cependant on remarquait nombre de gens de bien et d'intrépides soldats. Une liberté, peut-être mal entendue, égarait les uns; l'intempestif amour de la gloire entraînait les autres. Est-ce la première fois que la vertu, marchant à la voix du sophisme et sous les bannières de la séduction, devient complice d'un acte qu'elle aurait détesté, si on l'eût qualifié d'attentat?

CHAPITRE III.

LA campagne de 1814, terminée par la capi→ tulation de Paris, amena l'abdication de l'empereur. L'histoire, qui racontera cès grands événemens, én développera les motifs réels et les prétextes spécieux. En commençant ce récit par l'abdication, nous nous bornerons à remarquer que, selon l'opinion des uns ou selon les conjecț tures des autres, elle fut l'élan d'un caractère magnanime ou le honteux ouvrage de la néces sité. Ceux qui soutiennent ce dernier sentiment présentent, pour le justifier, l'image de Napo léon sous les pieds de la quadruple alliance, et contraint à échanger, contre une vie abjecte, la première couronne de l'univers. Ceux qui pensent d'une manière opposée prétendent qu'avec quatre-vingt mille hommes aguerris, et la belle position de la Loire, l'empereur, vaincu et non défait, aurait pu rappeler la fortune sous ses drapeaux, ou du moins compromettre les lauriers qui décoraient ceux des alliés. Un troisième avis pourrait voir dans ce dernier acte du souverain qui se détrône ainsi, un calcul profondément coordonné à un plan éventuel. L'époque actuelle

multipliera ces controverses; mais la variété des partis doit faire ajourner leur solution.

Quoi qu'il en soit de celle-ci, Napoléon, descendu du trône de France, se retira sur un trône moins brillant et plus paisible. L'île d'Elbe, érigée pour lui en principauté indépendante, fut dotée de six millions de pension viagère. Ce prince en prit possession au mois de mai 1814; et, dans le gouvernement de cette petite souveraineté, il conserva le titre et les honneurs impériaux. Ces stipulations, consacrées dans un traité, qui en renferme d'autres analogues et que nous examinerons, furent garanties par souverains alliés.

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les

Il y a deux aspects dans le séjour de Napoléon à l'île d'Elbe : l'administration du princé et la conspiration de Bonaparte. Examinons si, comme on l'a avancé, l'une a servi de voile à l'autre.

Si j'en crois les journaux du tems, le chroniqueur qui les a compilés, et plus encore les correspondances authentiques, confidentielles ou interceptées, à peine l'empereur eut-il touché ses nouveaux domaines que, se circonscrivant à l'exiguité de leur gestion, il parut oublier qu'il eût régné sur l'Europe. Mais des soins subalternes pouvaient-ils remplir cette ame active? Il l'occupa par des améliorations intérieures. Des palais furent bâtis, de grandes routes commen

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