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pas ajouté de preuves à l'appui; enfin, qu'on avait fini par adopter, à Saint-Louis, l'habitude de traiter indistinctement les malades, soit par les frictions, soit par la méthode qu'on reprochait à Cullerier, et cela, suivant que le hasard dirigeait un malade sur une salle ou sur une autre. Deux propositions terminaient ce mémoire remarquable.

Par la première, l'administration demandait que les expériences fussent continuées, mais seulement sur douze malades, six à l'hôpital du Midi et six à Saint-Louis, et que le traitement en fùt surveillé et dirigé par une commission nommée ad hoc par la Faculté de médecine.

Par la seconde, que si les prostituées sortaient de Saint-Louis, elle s'engageait à augmenter de 60 le nombre des lits qui leur étaient affectés dans l'autre hôpital; mais elle y mettait cette condition qu'elle entendait n'être pas responsable de l'évasion des filles envoyées par la police, en supposant que cette évasion pût avoir lieu.

Ces propositions pleines de sagesse furent prises en considération par le directeur général de la police; des pour parlers eurent licu entre la commission, qui remplaçait alors le préfet de police, et l'administration des hôpitaux. Mais, pendant que l'on traitait cette affaire, l'invasion de 1815, et les malheurs qui la suivirent, vinrent rompre tous ces projets, et donnèrent lieu à de nouveaux embarras qui font époque dans l'histoire des prostituées de Paris.

Les armées de l'Europe entière s'étant précipitées sur la France, une partie vint à Paris, tandis que l'autre ravageait nos provinces; la première amena à sa suite une foule de femmes tant françaises qu'étrangères; la

seconde infecta de la manière la plus horrible les courtisanes qu'elle rencontra dans tous les lieux où elle fit quelque séjour. La première classe de ces filles resta dans Paris et dans ses environs après le départ des étrangers; la seconde, ne pouvant pas être reçue dans les hôpitaux des provinces, se dirigea sur la capitale, dans l'espoir d'y trouver quelques secours.

De la réunion de ces deux causes, il résulta que Paris se trouva encombré d'un nombre effroyable de prostituées, presque toutes malades à un très haut degré; pour comble de malheur, on manquait de moyens de traitement; car les hôpitaux, remplis de malades étrangers, restèrent occupés par eux pendant un temps fort long; les Prussiens, entre autres, occupaient, à l'hospice du Midi, les salles des prostituées.

Que faire en pareille circonstance? Les secours manquaient, et cependant le ministre de la guerre pressait le préfet de police de prendre quelques mesures avant l'arrivée des troupes que l'on se proposait de diriger sur Paris, pour la formation de la garde royale et de la légion de la Seine.

Pendant les pourparlers qui eurent lieu à ce sujet entre la préfecture de police et l'administration des hôpitaux d'une part, et le ministre de l'intérieur d'une autre, le préfet de police prit le parti de convertir en hôpital la prison de la petite Force, destinée à la correction des prostituées. En un instant, cette prison fut encombrée au point de n'avoir qu'un lit pour quatre malades, ce qui renouvela, pendant quelque temps, les horreurs de Bicêtre ; il fallut pour cela renoncer à toute répression, abandonner à elles-mêmes les filles restées libres et à peu près saines, et tolérer des désordres

d'autant plus choquants pour les habitants, qu'ils ne frappaient plus leurs yeux depuis quelques années.

Des clameurs ne tardèrent pas à s'élever; on accusa la police de négligence et presque d'immoralité; il fallut rouvrir la prison, faire revivre les moyens répressifs, et pour cela renoncer au traitement des femmes malades qu'on saisissait; mais le bien était fait, les mesures tout exceptionnelles auxquelles des circonstances extraordinaires avaient forcé de recourir venaient de fournir les résultats les plus avantageux : le chiffre des malades s'était abaissé d'une manière notable; on ne trouvait plus de ces affections graves et véritablement effrayantes par leur intensité; tout, enfin, annonçait un retour marqué vers un meilleur ordre de choses.

Ce traitement dans la prison et le désordre inévitable qui en fut la suite, expliquent les lacunes que nous ont présentées, pour l'année 1815, plusieurs tableaux qui se trouvent dans quelques-uns des chapitres précédents.

En rendant à la prison sa destination primitive, un hôpital devenait indispensable; mais l'administration de la préfecture de police n'en avait pas; il fallut donc rouvrir de nouvelles négociations avec l'administration des hôpitaux et le ministère de l'intérieur, repasser par la filière interminable des bureaux, et perdre beaucoup de temps avant de rien obtenir.

Les hôpitaux, épuisés par les dépenses excessives que venait de leur occasionner l'invasion étrangère, et connaissant par expérience les inconvénients graves que présentait, dans un hôpital, une réunion considérable de prostituées, tâchèrent d'éluder la demande du préfet; ils firent observer qu'ayant dépensé près de 500,000 fr.

leurs provinces, venaient chercher dans la capitale quelques soulagements à leurs maux.

Ce nouveau mémoire n'eut pas plus de succès que le premier; les secours demandés furent refusés, et la ville de Paris se vit obligée d'organiser du mieux qu'elle put, dans l'hospice de la Pitié, un nouveau service pour le traitement des prostituées; ces femmes y restèrent jusqu'en 1822.

Pendant les six années que dura ce service, organisé dans les bâtiments de l'hôpital de la Pitié, on eut souvent occasion de vérifier les inconvénients graves que présentait la présence d'un grand nombre de prostituées dans un hôpital recevant d'autres malades. Les désordres qu'elles occasionnaient dans celui où elles étaient, fatiguèrent l'administration qui revint souvent à la charge auprès du préfet de police pour en être débarrassée; les premières plaintes arrivèrent en 1818; elles se succédèrent presque sans interruption, et prirent en 1821 un degré d'énergie qu'elles n'avaient pas eu jusqu'alors.

L'administration des hôpitaux, se fondant sur les raisons que j'exposerai bientôt, demandait à toute force à être débarrassée du traitement et de la surveillance des femmes de la police; elle exprimait de nouveau le désir de les voir toutes dirigées sur la petite Force, et que le préfet se chargeât de leur traitement, en le faisant faire où il voudrait et par les personnes qui lui conviendraient.

Le préfet, en répondant à toutes ces demandes, retombait toujours dans les raisonnements suivants :

Que l'obligation de traiter les malades qui n'ont pas le moyen de se faire soigner chez eux est de l'essence de l'ins

titution des hôpitaux, et que, sous ce rapport, rien ne pouvait dépasser le dénùment absolu des prostituées; que ces hôpitaux n'ont pas à s'enquérir de la nature de la maladie et de la culpabilité de celui qui réclame des soins; qu'ils ne doivent voir qu'un individu malade et qui manque des ressources nécessaires à sa guérison; que, pour ce qui regarde les prostituées, les devoirs du préfet se bornent à diriger sur une prison celles qui causent du scandale, et sur un hôpital celles qui sont dangereuses pour la santé publique; qu'il n'entrait pas dans les attributions de la direction des prisons de faire recevoir et traiter les indigents atteints de maladies; que ce serait aller contre toutes les règles d'une bonne administration de mettre sous le même toit et d'assujettir au même régime deux établissements aussi différents qu'un hôpital et une prison; que ce serait assimiler une maladie indépendante de la personne, due à l'exercice de son métier, et contractée contre sa volonté, aux infractions des règlements et aux actions les plus coupables, et qui méritent les plus graves châtiments; qu'il est dans l'intérêt des mœurs et de la santé générale que les prostituées redoutent la prison, seule manière de les punir, et qu'elles entrent à l'hôpital sans répugnonce et même avec plaisir, si cela était possible; qu'on obtiendrait évidemment un résultat tout contraire en confondant les deux établissements; qu'on ne pouvait pas perdre de vue que, lorsque des malades sont envoyés et traités gratuitement dans un hospice, vu leur état d'indigence, et, ce qui est plus impérieux encore, vu la nature contagieuse de leur maladie, le lieu où on les enferme doit conserver le caractère d'un hospice, sans pouvoir être rangé sur la ligne des prisons; que

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