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en 1829, aux frais des ministères de la guerre et de la marine, qui lui paient, depuis cette époque et par moitié, une subvention annuelle de six mille francs. Les hommes appartenant à la population normale de la ville ne sont point admis à l'hôpital civil, lorsqu'ils sont atteints de maladies vénériennes; c'est donc à l'hôpital de la marine seulement qu'on peut apprécier d'une manière exacte l'influence qu'elles exercent sur la santé de la population.

Un service de 238 lits leur est consacré et renferme en moyenne 200 malades. Le nombre des vénériens traités pendant l'année varie entre 1,100 et 1,500, et représente à peu près le cinquième de l'effectif de l'établissement, ainsi que le prouve le tableau suivant :

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L'examen du compte général des hôpitaux prouve qu'en 1852, sur un total de 138,444 journées, les vénériens seuls en ont fourni 38,543, et qu'en 1853 ils y sont entrés pour 43,086, sur un total de 142,901.

Ces chiffres, quelque élevés qu'ils soient, ne représentent guère que la moitié des maladies vénériennes contractées par les hommes des départements de la marine et de la guerre. On ne reçoit à l'hôpital que celles qui présentent un certain caractère de gravité. Les autres sont traitées aux ambulances des différents corps, et dans les infirmeries régimentaires. Le nombre s'en est élevé à 859 en 1852, et à 1,334 en 1853.

Pour arriver à un chiffre exact, il faudrait encore y comprendre les matelots traités à bord des navires mouillés en rade et sur le compte desquels il est impossible d'obtenir des renseignements précis, en raison de l'extrême mobilité de cette partie du personnel. En ne tenant pas compte de ces derniers, et en comparant, pour les deux années précédentes, l'effectif des différents corps au nombre de leurs malades, on trouve qu'en 1852, la division des équipages de ligne, i'infanterie et l'artillerie de marine, l'infanterie de ligne, réunies, formaient un total de 5,947 hommes, dont 1,635 ont contracte å syphilis ;

qu'en 1853, sur un effectif de 6,294 individus, 2,144 en ont été atteints.

En résumé, plus du quart des marins et des soldats est infecté tous les ans; les vénériens entrent pour un cinquième dans le nombre des malades admis à l'hôpital et figurent pour près d'un tiers dans celui des journées. Ces données positives permettent de se faire une idée de ce que doit être la syphilis dans le reste de la population, des ravages qu'elle doit exercer parmi les prostituées de toute espèce, dont la majorité n'est soumise à aucun traitement régulier.

III

HISTOIRE STATISTIQUE ET MÉDICALE

DE LA

PROSTITUTION DANS LA VILLE DE LYON,

Par le docteur F.-F. A. POTTON,

Médecin de l'hospice de l'Antiquaille (hôpital des vénériens).
membre de la Société imperiale de médecine de Lyon,

de la Société impériale d'agriculture, sciences et arts utiles de la même ville,
du Jury medical du département du Rhône,

des Sociétés de médecine, et académiques de Marseille, d'Angers, etc., etc.

Comme tous les vastes centres de population, Lyon, la seconde ville de France, paie un large tribut au mal qui vient d'être décrit. Après les développements curieux, après les observations philosophiques et morales qui précèdent, notre tâche est simplifiée; nous n'avons plus à exposer en détail les causes générales de la prostitution, à rappeler ses conséquences. Partout, les grandes cités sont placées à cet égard dans des conditions. identiques : ce qui est vrai à Paris, l'est également à Londres, à Amsterdam, à Bruxelles, à Lyon. Si quelques différences existent, elles ne sont marquées que dans les nuances; on les rencontre moins dans le fond que dans la forme elle-même. Ce sont donc les sources spéciales, les caractères locaux, les traits distincts qu'il importe d'étudier ici.

L'agglomération lyonnaise, actuellement constituée par la ville ancienne, les faubourgs et les communes suburbaines, compte près de 295,000 habitants. Par sa position topographique, à proximité de la Suisse, de la Savoie et de l'Italie, passage naturel et incessant du midi au nord, du nord au midi de la France et de l'Europe, depuis plusieurs siècles, ville commerciale et manufacturière de premier ordre, elle a tiré, elle tire sans doute de ces avantages exceptionnels de puissants éléments de prospérité et de richesse; mais, par compensation, elle leur a dû, elle leur doit aussi une part considérable dans les désordres, les vices, qui engendrent, accompagnent ou suivent la prostitution.

Quelques notes historiques en fourniront la preuve. Dans les XV*, XVI et XVII° siècles, Lyon possédait des marchés francs, des foires très célèbres attirant des pays lointains un immense con

cours d'étrangers et de négociants. Ces institutions avaient pour résultats constants et inévitables d'accroître la débauche locale, de favoriser la dissolution des mœurs. Les prostituées, disent les annales du temps, devenaient si nombreuses à ces époques, que plus tard, lorsque la ville était rentrée dans son assiette ordinaire, elles étaient contraintes, par la misère, de s'expatrier. Dulaure, dans son Histoire de Paris, parle d'émigrations de femmes de mauvaise vie, qui s'effectuaient de Lyon sur la capitale.

D'autres fois, Brantôme rapporte le fait dans ses 'Mémoires, ces femmes s'attachaient aux armées, pour lesquelles la ville était un lieu d'étape et de séjour momentané, elles les accompagnaient, les suivaient dans leurs expéditions. Lyon était ainsi exposé à toutes les maladies qui décimaient les troupes: au retour de la campagne d'Italie, en 1496, Charles VIII y laissa le mal de Naples, dont ses soldats étaient infectés.

De quelques fragments de Rabelais, qui fut, on le sait, médecin de l'Hôtel-Dieu de Lyon, il ressort que la prostitution était très cominune, et fort dangereuse pour la santé, parce que la contagion était très fréquente.

Ce fléau, depuis lors, semble avoir conservé droit de domicile; il a résisté, il résiste à toutes les mesures prises contre lui. Il ne pouvait en être autrement, comme on en sera convaincu, si l'on considère l'origine principale du mal, et les circonstances extérieures qui aident à sa propagation.

Les causes si diverses, éloignées ou prochaines, directes ou indirectes, occasionnelles ou déterminantes, auxquelles les économistes, les philosophes, les moralistes, les médecins rapportent la prostitution, sont ici toutes accumulées; citons les plus habituelles :

Une énorme population flottante (120 à 130,000 individus de l'un ou de l'autre sexe) constitue les forces vives, agissantes, du commerce et de l'industrie; ces sujets, pour la plupart, sont dans la force de l'âge et célibataires.

L'armée entretient une garnison permanente, de 18 à 22,000 hommes; d'autres troupes viennent à chaque instant augmenter, d'une manière transitoire il est vrai, le chiffre déjà si élevé de la division militaire.

Le mode d'organisation du travail industriel est préjudiciable

aux bonnes mœurs; les hommes et les femmes réunis dans les mêmes ateliers vivent en quelque sorte en commun.

L'absence ou l'éloignement de la famille, la facilité ou l'espérance de l'impunité et du secret au milieu de l'agitation générale, l'affaiblissement ou l'oubli des principes religieux, concourent à augmenter le désordre.

La force et la faiblesse, la richesse et l'indigence, le travail et l'oisiveté, la simplicité et le luxe, le vice et l'ignorance se rencontrant, se provoquant, se heurtant à chaque pas, excitent, font germer les mauvaises passions.

Au milieu des troubles, des transformations qui ont agi sur la société, qui ont, dans quelques points, modifié son état, Lyon, loin de rester stationnaire, a joui du privilége de grandir toujours, de voir son activité commerciale croitre progressivement, malgré quelques interruptions éphémères.

Cette ville est devenue, pour les pays voisins, le rendez-vous, sinon unique, du moins principal de tous les esprits inquiets, ou mécontents de leur sort, de tous ceux qui abandonnent la campagne pour demander à la ville des moyens d'existence moins pénibles, qu'ils espèrent aussi plus certains. Dans ces recrues quotidiennes, les femmes sont plus nombreuses, d'un quart environ: la majeure partie se consacre aux travaux d'aiguille, et à l'industrie de la soie : dès le début, elles se trouvent soumises à des chances plus défavorables que dans les autres localités, ce qui tient aux bases sur lesquelles reposent les manufactures lyonnaises.

Ailleurs, les magasins, les ateliers, les machines appartiennent au chef, à la fois négociant, ingénieur, capitaliste; à Lyon, les métiers sont la propriété de l'ouvrier, qui vit chez lui, libre et indépendant. Qu'une crise suspende le mouvement des affaires, l'interruption du travail est immédiate pour lui: aucun lien, aucun engagement n'existant entre le capitaliste et le producteur, le négociant ne craint pas de laisser des milliers de bras sans ouvrage, ne s'inquiète point des résultats qui ne touchent pas à ses intérêts directs. Avec l'autre système, le propriétaire se voit obligé d'occuper ses subalternes, pour que ses usines, ses capitaux ne restent pas improductifs.

Il est facile de prévoir les conséquences de deux situations économiques si opposées, et les dangers que l'organisation lyon

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