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que la cicatrice des chancres soit tout à fait solide. Ces filles doivent recommencer immédiatement leur métier; alors les surfaces non entièrement guéries restent stationnaires ou empirent, et les cicatrices trop molles se déchirent. Ces filles sont alors renvoyées à l'hôpital à la prochaine visite ou à l'une des sui vantes, et augmentent ainsi indûment la proportion des filles malades. L'administration de l'hôpital a promis l'ouverture d'une salle de convalescentes où les femmes resteraient jusqu'à leur entière guérison.

VII. Des radiations et des refuges.

Nous manquons tout à fait des données nécessaires pour pouvoir dire ce que deviennent nos prostituées, surtout celles qui sont du pays même. Ce que nous en savons nous montre qu'elles ne présentent à Strasbourg aucune différence avec celles d'autres localités.

Les radiations étaient très faciles anciennement; il suffisait d'en faire la demande et de se faire réclamer par un homme, comme femme entretenue. Peu à peu on est devenu un peu plus sévère; on exigeait, en outre, que pendant quelque temps, la femme n'eût plus fréquenté les maisons de débauche et ne fût plus descendue dans la rue. Ces garanties étaient insuffisantes; car les liaisons que l'on prétextait, étaient le plus souvent éphémères et contractées avec des hommes n'ayant pas ies moyens pécuniaires convenables. Après la rupture, la femme était libre de toute surveillance et se livrait à la prostitution clandestine.

Il faut faciliter le retour à la moralité autant que l'on peut, mais en demandant des garanties sérieuses quant à la volonté et à la possibilité. La dernière organisation qui régit cette matière nous semble prescrire ce que l'on peut exiger; pour ce qui regarde la volonté, il faut renoncer pendant un temps d'épreuve à l'ancienne vie; quant à la possibilité, il faut prouver que par un moyen quelconque on peut pourvoir à ses besoins. C'est tout ce que l'on peut indiquer dans une instruction générale. La radiation en est une application individuelle à chaque cas spécial, et exige beaucoup de tact de la part de celui qui la prononce. Elles ne seront pas fréquentes.

Les filles qui veulent renoncer tout à fait à leur vie désordonnée peuvent entrer dans des établissements spéciaux, des

refuges. Il en existe 2 à Strasbourg, un catholique, le Bon-Pasteur, et un protestant, le Refuge protestant. Le premier est desservi par une congrégation de religieuses, et le second par les diaconesses. Les filles repentantes y restent plus ou moins longtemps, y sont instruites et mises en condition ou placées d'une autre manière, quand on croit être sûr de leur solidité. Ces belles institutions rendent de véritables services, mais en Fendraient encore de bien plus grands, si leur organisation était un peu modifiée. Les filles y sont très sévèrement, même durement tenues, surtout dans l'établissement catholique; leur nourriture est mauvaise; elles ne peuvent guère sortir, sont obligées de travailler constamment et n'ont pour toute distraction que des exhortations religieuses. Que l'on fasse la comparaison entre cette nouvelle vie et l'ancienne, changement amené sans transition, et l'on se convaincra qu'il faut une force de volonté rare pour persévérer dans une résolution d'autant plus faible que la moralité avait déjà reçu de profondes atteintes antérieurement. Aussi bon nombre de filles quittent l'établissement après un séjour plus ou moins prolongé. Ces désertions sont plus fréquentes au Bon-Pasteur, parce que les sœurs qui font le service de l'hôpital tâchent de recruter autant de filles que possible, et parviennent souvent, à force d'exhortations et de promesses, à obtenir un consentement superficiel. Comme personne ne recherche activement les filles protestantes, celles qui entrent au Refuge ont généralement une volonté plus forte de changer de vie,

Nous terminons avec le regret que le manque de temps nous ait empêché de traiter encore quelques points que nous nous étions proposé d'élucider, et d'apporter à la rédaction les soins nécessaires; nous trouvons notre excuse dans les lenteurs inévitables de nombreuses recherches statistiques.

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DE LA PROSTITUTION EN ALGÉRIE,

Par le docteur A. BERTHERAND,

Médecin principal de l'armée.

ART. ler.-COUP D'OEIL RÉTROSPECTIF.

LES INDIGÈNES.

DE LA PROSTITUTION CHEZ

La pluralité des femmes, érigée en dogme par le Coran; l'infériorité sociale, suite de l'ignorance à laquelle la loi religieuse condamne le sexe féminin, parqué dans un cercle étroit d'habitudes oisives ou serviles; la commune facilité des divorces, la promiscuité des esclaves et des épouses légitimes au sanctuaire de la famille, toutes ces tristes conditions de la vie intérieure ne pouvaient manquer, sous la climature chaude et excitante du ciel algérien, d'ouvrir un large essor au relâchement des mœurs et à la prostitution.

La femme de l'Orient, plus dépravée que lascive, fait volontiers commerce de son corps : c'est qu'aussi, mariée dès l'âge de douze, quelquefois huit ou neuf ans, livrée innocente et sans aucune expérience de la vie à la brutalité d'un maître pour lequel elle n'est le plus souvent qu'un instrument de plaisirs, la jeune Arabe glisse fatalement sur la pente où l'entraînent, soit la première satisfaction de mauvais instincts, soit le besoin de se dédommager, de s'affranchir, même par des écarts de conduite, de la chaîne qui ne lui offre en perspective que séquestration, labeurs et mauvais traitements.

Telle est l'influence dissolvante du mariage et de la polygamie sur les mœurs musulmanes, que, dans les villes notamment, le divorce assure presque à lui seul le recrutement de la prostitution.

Parmi 37 malheureuses inscrites en 1842 au dispensaire de Blidah, le docteur Finot trouvait 32 femmes légitimes; 12 arguaient des sévices de leurs maris, et la plupart en effet portaient des stigmates de violences graves. Sur ce nombre, 21, c'est-àdire près des deux tiers, ne dépassaient pas vingt ans : un hymen prématuré avait ainsi déjà flétri leur jeunesse, le divorce ou la séparation brisé chez elles le lien de la famille et de la maternité; déçues, isolées, elles comptaient avec l'abandon, le vice et la

misère, à cet âge où, pour la femme chrétienne, la vie laisse à peine entrevoir les espérances, les illusions de l'avenir.

Ne nous étonnons donc pas de la triste réputation d'immoralité dont la régence d'Alger jouissait dès le commencement du XVIIe siècle. « Au dire des Maures eux-mêmes, rapporte en 1612 >> l'historien espagnol don Diego de Haedo, il n'y a pas de femmes » dans cette ville qui ne se prostituent, non-seulement aux Turcs >> et aux Maures, mais encore aux Européens, qu'elles assiégent >> d'importunités et qu'elles poursuivent jusque dans leurs pro» pres demeures... >>

« Les Algériennes, écrivait soixante ans plus tard l'esclave >> Emmanuel Daranda, s'abandonnent, quand l'occasion se pré>> sente, au premier venu, fût-ce un coquin, un belître, un sodo>> miste... >>

Pour mieux faire apprécier les conséquences néfastes de l'organisation arabe sociale et religieuse, il ne sera peut-être pas hors de propos d'indiquer quelques-unes des pratiques qui en découlent au profit du dévergondage. Ainsi, durant l'intervalle imposé aux femmes divorcées entre la répudiation et un second mariage, ces pauvres créatures, réfugiées chez leur père, leur frère ou un proche parent, jouissent, faute de protecteur intéressé et responsable, d'une liberté d'allures illimitée. Pendant cette période d'attente, elles se prêtent sans retenue, par intérêt, peut-être par besoin, à des relations illicites, sans prendre même souci de les dissimuler. Cette licencieuse latitude existe encore aujourd'hui, à un point extrême, chez certaines tribus de la Kabylie fort voisines de nos postes avancés, ainsi que nous avons pu nous en convaincre, par exemple, entre Sétif et Bougie. Mal interprétée par quelques touristes, observateurs plus pressés que scrupuleux, elle a fait attribuer faussement aux Arabes de ces contrées la coutume d'offrir leurs épouses ou leurs filles à des hôtes de distinction, dans le but d'augmenter le trésor enfoui, de parer à des nécessités pécuniaires ou de se concilier des appuis.

Quoi qu'il en soit, toujours est-il que l'obligation de recevoir dans la famille des femmes auxquelles la séparation conjugale ménage de si commodes loisirs, maintient à la courtisane, chez les musulmans, un niveau de position dont notre civilisation, tout indulgente qu'elle soit, ne saurait de beaucoup s'accommoder. Là, en effet, même les filles publiques ne sont point,

comme chez les peuples chrétiens, traitées en êtres dégradés: les meilleures maisons leur restent accessibles; elles y font visite, devisent en commun, prennent leurs repas, assises à la même table que l'épouse légitime et ses filles, sortent avec elles pour aller au bain, etc.

Avec une aussi grande tolérance dans les relations intimes, cette fréquentation même des bains publics, recommandée par le prophète « comme une des pratiques les plus utiles à la santé du corps et les plus agréables à Dien, » ajoute encore à des éléments de débauche déjà trop nombreux. Ouverts aux femmes exclusi vement pendant de longues heures du jour, les bains offrent à la débauche autant de conciliabules où les instincts pervers; les conseils pernicieux, se propagent par voie d'insinuation et de mauvais exemple. Dans ce pêle-mêle de femmes mariées ou de jeunes filles, de concubines et de prostituées juives, mauresques, négresses, qui pourrait dire ce qui se trame d'intrigues, ce qui s'élabore de tromperies, de vengeances à l'encontre de maris jaloux !

Sans doute, il faut se refuser à croire que les masseurs et les servantes de ces établissements aient jamais fait ouvertement métier d'y introduire des jeunes garçons déguisés en jeunes filles pour desservir les passions de leurs habituées, ainsi que le prétend Laugier de Tassy; mais, si mes renseignements sont exacts, sous l'inviolabilité de ces sombres étuves s'abrite, de nos jours encore, le plus scandaleux commerce d'entremise et de galanterie.

Avant 1830, d'après le capitaine Rozet, on comptait à Alger plus de 3000 filles publiques, divisées, à peu près comme dans nos grandes villes européennes, en femmes libres entretenues (msanat) et filles publiques proprement dites (dourria).

L'émigration de la partie la plus riche de la population musulmane, et surtout la suppression de la licencieuse soldatesqué des janissaires, durent avoir pour premier effet de faire tomber ce nombre de plus des deux tiers, puisque, au rapport de M. A. Duchesne (1), le premier recensement des prostituées après la conquête fournit seulement 500 noms à l'inscription.

Pour changer un peu d'aspect, en s'éloignant des villes vers les tribus du centre et jusque dans le Sahara, la prostitution

(1) De la prostitution dans la ville d'Alger depuis la conquête, Paris, 1853, in-8.

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