Page images
PDF
EPUB

Pour arriver à ce résultat, il a fallu vaincre bien des difficultés, faire de prodigieux efforts, dénoncer de nombreux abus, froisser des opinions préconçues, et harceler les autorités de pressantes et énergiques réclamations.

L'initiative de cette généreuse et philanthropique démarche près des administrations compétentes, nous devons le reconnaître, est due à M. Seutin, chirurgien en chef de l'hôpital SaintPierre. A même d'apprécier dans son service les ravages qu'exerçait la maladie vénérienne, il ne cessa, depuis 1852, de réclamer et de proposer des mesures de police médicale sur la prostitution, source de propagation de ce mal hideux. Rien ne put le décourager dans la mission qu'il poursuivait avec une ténacité digne d'éloges. Il fut l'auteur de la question suivante proposée par le Congrès médical de Belgique, assemblé à Bruxelles en 1835:

<< Exposer et déterminer les moyens médicaux et les mesures administratives et règlementaires propres à arrêter ou à modérer la propagation de la syphilis (1). »

Deux mémoires furent couronnés un prix de 1,000 francs fut décerné au travail de M. le docteur Dugniolle, et une récompense de 500 francs fut accordée au mémoire de l'auteur de cette notice.

La Commission qui avait été appelée à juger les travaux des concurrents, entreprit ensuite, avec les matériaux qu'elle avait en sa possession et ceux qu'elle parvint à se procurer, d'étudier la question, et publia un règlement longuement développé qu'elle adressa aux autorités.

Le Conseil central de salubrité reprit et continua l'œuvre commencée par la commission du congrès médical, et publia à son tour, en 1838, un projet de règlement sur la prostitution, remarquable par les considérations qui servent à appuyer les mesures proposées, tant sous le rapport hygiénique et administratif que sous celui de la législation.

C'était là un progrès, et l'administration en profita en organisant sur de meilleures bases le service sanitaire de la prostitu

(1) En 1834, la Société des sciences médicales et naturelles de Bruxelles avait déjà, sur les instances de M. Seutin, posé une question semblable. Ce fut le mémoire de M. le docteur F. S. Ratier, de Paris, qui obtint le prix. (Annales d'hygiène publique et de médecine légale. Paris, 1836, t. XVI, p. 262.) M. le docteur Lagneau fils vient de traiter de nouveau ce sujet dans un mémoire très intéressant intitulé: Mesures hygiéniques propres à prévenir la propagation des maladies vénériennes (Annales d'hygiène publique, 1854, t. IV, p. 298; t. V, p. 21, 241).

tion, qui fut composé, en 1840, de trois médecins, dont l'un était, comme aujourd'hui, chef de service et chargé de contrôler les visites.

Les choses en était là, lorsqu'en 1842 M. Seutin fit à l'Académie de médecine (séance du 26 décembre), la proposition de s'adresser à M. le Ministre de l'Intérieur, à l'effet d'obtenir des dispositions législatives propres à restreindre les maladies syphilitiques. La Commission chargée d'examiner la question fit un rapport, par l'organe de M. Vleminckx, dans lequel elle proposait d'adopter les mesures suivantes :

« 1o Faire en sorte que les filles mineures et les femmes mariées se livrant notoirement à la débauche soient assujetties aux règlements sur la matière ;

2° Interdire entièrement le stationnement et la promenade des prostituées;

>> 3° Nommer dans toutes les communes populeuses un ou plusieurs médecins et un commissaire spécialement chargés de la surveillance des prostituées;

» 4° Donner aux autorités communales plus de latitude pour sévir contre les prostituées en général;

[ocr errors]

» 5° Enfin, admettre gratuitement les personnes atteintes de maladies syphilitiques dans les hôpitaux, et leur en faciliter l'accès. »>

Ces propositions tranchaient plus d'une question délicate; elles armaient les administrations communales d'une loi dont elles ont encore à déplorer l'absence, bien que la loi communale confère à l'autorité municipale le droit de faire les règlements qu'elle juge nécessaires et utiles pour tout ce qui concerne la prostitution. Aussi l'Académie, après discussion, adopta-t-elle les conclusions de sa Commission. Sa voix ne fut pas entendue; la loi demandée se fait encore attendre.

Pendant ce temps, l'administration communale de Bruxelles s'occupait activement d'élaborer un réglement, et le 21 octobre 1843 elle soumit à l'Académie les mesures sauitaires et hygiéniques qu'elle avait adoptées. Elle tint compte des indications. fournies par la savante compagnie, et le 18 avril 1844 elle promulgua son nouveau règlement, dont nous donnons plus loin le texte. Ce règlement a subi, depuis, plusieurs modifications et additions que nous ferons également connaître.

Enfin, pour compléter l'historique de la prostitution à Bruxelles, nous ajouterons que le Congrès général d'hygiène tenu en cette

ville, au mois de septembre 1852, s'est aussi occupé de la question, qui était rédigée en ces termes :

[ocr errors]

« Quelles sont les mesures à prendre pour arrêter les progrès et diminuer les inconvénients et les dangers de la prostitution et de la débauche. >>

Cette question, examinée par des hommes spéciaux formant la troisième section du Congrès, dont nous eûmes l'honneur d'être le rapporteur, fut résolue de la manière suivante :

1° Mesures législatives.

« 4° Interdiction des maisons de prostitution ou de débauche, si ce n'est en vertu d'une tolérance expresse de l'autorité communale et moyennant les conditions de police et de salubrité posées par celle-ci ;

2. Interdiction du stationnement et de la divagation des prostituées; » 3° Action simultanée et uniforme des villes et communes limitrophes pour les mesures relatives à la prostitution;

» 4° Extension et définition de la responsabilité des tenants-maison de prostitution et de débauche;

» 5° Interdiction de la prostitution des jeunes filles mineures jusqu'à un âge déterminé.

» 6° Envoi des prostituées mineures dans des établissements de réforme jusqu'à un âge déterminé ;

» 7° Extension, dans certains cas, aux prostituées âgées et indigentes des dispositions relatives à la mendicité et au vagabondage;

» 8° Renforcement des pénalités en ce qui concerne la police de la prostitution;

» 9° Pénalités sévères contre les personnes coupables d'exciter, de faciliter ou de favoriser habituellement la débauche et la corruption des mineurs jusqu'à un âge déterminé, et contre les parents, tuteurs et gardiens qui, même non habituellement, se rendraient coupables des mêmes offenses;

>> 10° Tutelle spéciale instituée en faveur des enfants dont les pères, mères, tuteurs ou gardiens seraient reconnus coupables d'avoir favorisé la débauche ou la corruption;

» 14° Interdiction des annonces des remèdes secrets et de traitements appelés radicaux.

» 12 Interdiction de loger les militaires dans les maisons de prostitution. »

2o Mesures administratives.

» 4° Surveillance médicale de la prostitution; organisation du service des visites sanitaires ;

» 2o Inscription des femmes qui se livrent à la prostitution;

» 3 Enquête avant l'inscription;

» 4° Interdiction des maisons de débauche dans certains quartiers et à proximité de certains établissements publics;

» 5° Prohibition de toute provocation extérieure ;

>> 6° Conditions ayant pour but de substituer les filles en maison aux prostituées éparses;

>>7° Interdiction aux tenants-maisons d'admettre des jeunes gens au-dessous d'un âge déterminé ;

>> 8. Séquestration de toute femme atteinte ou suspecte de maladie vénérienne;

» 9° Fréquence et gratuité des visites sanitaires; encouragements à ces visites;

» 10° Interdiction du traitement des prostituées à domicile;

» 11° Admission des vénériens indigents et des prostituées dans les hôpitaux civils ou dans des dispensaires établis spécialement à cet effet; » 42° Règlement disciplinaire sévère des salles des prostituées dans les hôpitaux et dispensaires;

» 13° Encouragement aux institutions pour favoriser la rentrée des prostituées dans la société ;

» 14° Visites isolées et périodiques des militaires et des marins ; » 45° Avertissement immédiat donné aux autorités compétentes de la source de l'infection. >>

Comme on le voit, les propositions admises par le Congrès d'hygiène embrassaient tous les points de la question et étaient autant de jalons posés pour l'élaboration d'une loi dont la nécessité se fait sentir et est jugée nécessaire pour la santé publique. Malheureusement ces indications sont restées jusqu'ici à l'état de

vœu.

Néanmoins, l'administration de la ville de Bruxelles ne s'est pas découragée poursuivant l'oeuvre qu'elle avait commencée en 1844, elle a successivement introduit dans son règlement, auquel le Congrès d'Hygiène avait rendu une éclatante justice, les améliorations que l'expérience a rendues nécessaires, tout en se maintenant dans les limites du pouvoir que la loi communale accorde à l'autorité municipale. Avant d'aller plus loin, et pour donner une juste idée des mesures qu'elle a mises en usage, nous croyons devoir donner ci-après le règlement et les ordonnances de police qui ont suivi.

II. REGLEMENTS SUR LA PROSTITUTION.

« LE CONSEIL COMMUNAL,

>> Considérant que le règlement sur la prostitution actuellement en vigueur ne contient pas toutes les dispositions dont l'expérience a fait connaître la nécessité, et qu'il n'est pas en harmonie avec les lois qui lui sont postérieures;

>> Voulant pourvoir par des mesures plus complètes à tout ce qui concerne cette partie importante de la police administrative;

» Vu les articles 78 et 96 de la loi du 30 mars 1836;

>>> ARRÊTE :

SECTION Ire. Des filles publiques, de leur inscription et de leur radiation.

« Art. 4r. Sont réputées filles publiques, toutes filles ou femmes qui se livrent habituellement à la prostitution.

» Elles sont divisées en deux catégories :

» 1o Les filles de maison, c'est-à-dire celles qui sont à demeure fixe dans des maisons de débauche tolérées par l'Administration;

» 2° Les filles éparses, c'est-à-dire celles qui ont un domicile particulier.

» Art. 2. Les unes et les autres sont tenues de se faire inscrire au dispensaire qui sera établi à cet effet, et où il y aura, pour chaque catégorie, un registre distinct.

» L'employé du dispensaire en dressera des listes séparées pour la division de police et pour chacune des sections.

» Art. 3. L'inscription d'une fille publique aura lieu, soit sur sa demande, soit d'office, par le collége des bourgmestre et échevins.

» Art. 4. Toute fille publique non inscrite sera mandée au bureau de police pour y être entendue; elle sera inscrite, s'il y a lieu, conformément aux articles 2 et 3.

» Celle qui n'aura pas obtempéré au premier appel pourra être punie des peines établies par l'article 49 ci-après.

D

Art. 5. L'enregistrement de toute fille publique indiquera son numéro d'inscription, son nom, ses prénoms, son âge, le lieu de sa naissance et sa demeure, son dernier domicile, sa profession antérieure, et les causes qui l'ont entraînée à se livrer à la prostitution,

» Les passe-ports, actes de naissance et autres pièces constatant l'état civil des filles enregistrées, seront déposés à la division de police. » Chaque fille aura son dossier particulier qui contiendra toutes les pièces qui la concernent

» Art. 6. Après son inscription, chaque fille recevra un carnet dont le collége déterminera la forme, contenant les principales indications mentionnées aux registres d'inscription, et de plus son signalement et sa signature si elle sait écrire.

» Un extrait du règlement en ce qui concerne les filles éparses sera imprimé en tête du carnet; lecture en sera donnée aux filles de cette catégorie au moment de leur inscription.

» Art. 7. Il est strictement défendu aux filles inscrites de se prêter leurs carnets; elles doivent toujours en être nanties, et l'exhiber à toute réquisition des agents de police.

» Quand elles le perdent, elles doivent en demander un autre,

» Art. 8. Toute fille publique en maison ou éparse, qui voudra

[ocr errors]
« PreviousContinue »