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XII

DE LA PROSTITUTION A CHRISTIANIA,

RÉDIGÉ SUR DES DOCUMENTS TRANSMIS

Par M. le docteur W. BOECK,

Professeur de la Faculté de médecine

à Christiania.

Christiania, ville maritime de la Norwége dont elle est la capitale, contient une population mêlée, dont le chiffre s'élève à 38,000 âmes. Son port est le rendez-vous d'un grand nombre de navires marchands, ce qui fait que les ouvriers et les matelots y forment la grande majorité de la population. On s'explique alors le développement qu'a pris dans cette ville la prostitution. Aussi le gouvernement, qui se montre, en Norwége, soucieux de tout ce qui importe à l'hygiène publique, a-t-il compris la nécessité d'établir des règlements spéciaux sur l'exercice de la prostitution, cette plaie irrémédiable de tous les grands centres de population. Une commission a été instituée dans ce but, sous le nom de: Commission établie pour remédier à la propagation de la contagion syphilitique (1).

Des dispensaires sont établis pour la visite des prostituées. Les personnes qui sont soupçonnées d'être atteintes d'affections syphilitiques sont également visitées d'office.

La surveillance de la prostitution est réglée par des ordonnances de police, qui se sont complétées successivement. Les prostituées sont astreintes à l'observation d'un règlement sé

vère.

Toutes les prostituées (offentlige tolererede fruentimmer) doivent être inscrites sur les registres des bureaux de santé et munies d'un livret ; il contient le numéro d'ordre, les nom et prénoms, l'âge et le signalement de la prostituée à laquelle il a été délivré. Celle-ci est tenue de l'exhiber toutes les fois qu'elle se présente à la visite ou au bureau de police. Il est absolument défendu aux femmes publiques de fixer leur demeure dans certaines parties de la ville, ou à proximité d'établissements publics. Elles sont obligées en outre, toutes les fois qu'elles changent de

(1) Comissionen, angaaende Foranstaltninger mod den veneriske smittes Udbredelse.

demeure, d'en faire la déclaration à la police sanitaire. En cas de contravention, le livret, et par conséquent la tolérance, leur est retiré, et suivant les circonstances elles sont placées dans une maison de travail (forcé) ou punies conformément aux lois.

L'instruction pour les médecins des dispensaires, du 10 novembre 1840, leur impose des obligations assez étendues.

Ils sont tenus de visiter les prostituées soumises à leur surveillance, tous les huit jours; ils peuvent procéder à des visites extraordinaires s'ils le jugent convenable.

La visite terminée, ils indiquent à la prostituée le jour auquel elle a à se présenter pour être visitée de nouveau. Le médecin lui délivre, sur sa demande, gratuitement un certificat de santé.

Toute femme reconnue atteinte de maladie contagieuse est envoyée du dispensaire devant le physicien (médecin) de la ville, qui provoque son admission immédiate à l'hôpital.

Il est du devoir des médecins du dispensaire, de s'efforcer de découvrir les personnes atteintes de maladie syphilitique ou soupçonnées de l'être. Ils doivent signaler ces personnes à la police sanitaire, qui veille à ce qu'elles se rendent au bureau de santé pour y être visitées, et le cas échéant être mises en traitement.

Le médecin visitant est chargé d'inscrire la date de la visite sur le livret de la prostituée et sur un registre ouvert à cet effet. Ce registre contient le numéro d'ordre donné à la prostituée visitée, son nom, son àge, sa demeure, le résultat de la visite et le jour fixé pour la visite prochaine. Une colonne est ouverte aux remarques particulières jugées nécessaires.

Il existe en outre un registre des filles publiques admises à l'hôpital, et de celles qui ont obtenu la permission de se faire soigner chez elles; de plus, des listes donnant par ordre alphabétique et de numéro les filles inscrites. Les médecins du dispensaire rédigent, à chaque fin d'année, un compte rendu sommaire du mouvement du bureau de santé, du nombre mensuel des malades, avec l'indication des accidents syphilitiques de toute l'année et l'adressent à la commission sanitaire (1).

Le médecin attaché au dispensaire doit faire connaître à la police sanitaire les heures de sa présence pour le service. Il ne doit pas s'absenter de la ville sans la permission préalable du physicien (médecin) de la ville. Si une maladie ou une autre

(1) Le Journal hebdomadaire (Ugeskrift), t. 1, p. 183, et t. II, reproduit ces rapports.

cause légitime le mettait hors d'état de remplir ses fonctions pendant un temps prolongé, il doit en avertir par écrit la police sanitaire, afin qu'elle puisse prendre les dispositions nécessaires pour le faire remplacer à son compte.

La Syphilisation, qui a suscité tant de controverses et de polémiques dans le monde médical, qui a été repoussée à Paris (1), presque avec indignation, poursuit sa carrière, particulièrement à Christiania, où elle est appliquée sur une large échelle par M. le docteur Boeck, professeur à la Faculté de médecine.

M. Boeck n'emploie la syphilisation que pour des malades atteints de syphilis constitutionnelle, il n'introduit donc pas dans l'économie un virus nouveau, il repousse avec force la syphilisation prophylactique; il ne soutient la syphilisation que comme médication, médication selon lui préférable aux moyens thérapeutiques ordinaires, qui amène l'immunité, et qui, selon son dire, n'a pas les inconvénients du mercure quant à la génération future.

M. Boeck prend la matière d'un chancre primitif et inocule aux bras, aux cuisses ou sur les côtés de la poitrine, selon l'indication de M. Spérino, quand on doit cacher les cicatrices.

Pour plus de détails, on peut consulter les divers travaux de M. Boeck (2). D'après les résultats obtenus par lui depuis plusieurs années, il pose ces principes:

1° L'immunité absolue après des inoculations suffisamment prolongées ;

2o La disparition prompte des manifestations syphiliques qui se produisent au début de la syphilisation, en la continuant régulièrement;

3° L'amélioration très remarquable de la santé générale sous l'influence de la syphilisation.

Il est bien entendu que nous ne faisons ici que rapporter, en les abrégeant, les conclusions de M. Boeck; mais nous devons dire que tout se passe au grand jour, dans une ville importante,

(1) De la syphilisation et de la contagion des accidents secondaires de la syphilis, Rapport et Communications à l'Académie de médecine, Paris, 1853, in-8. Voyez Parent-Duchâtelet, t. II, p. 355.

(2) Particulièrement son ouvrage: Syphilisationen studeret ved Sygesengen (La syphilisation étudiée au lit du malade, Christiania, 1854). Recueil d'observations sur les maladies de la peau, ouvrage en cours de publication en collaboration avec le docteur Danielsen. Christiania, 1855, 1" livraison, in-folio français-danois, avec planches coloriées.

sous les yeux de médecins éclairés, d'élèves instruits, sous un gouvernement soucieux de la santé publique.-Il s'agit donc là d'une question importante et qui mérite grandement l'attention générale.

Parmi les faits cités par l'auteur, un des plus curieux est celui relatif à la guérison d'une malade âgée de 30 ans, atteinte de syphilis tuberculeuse, traitée inutilement par les moyens ordinaires et bien radicalement guérie par 1224 inoculations faites en deux années; sur ces 1224 inoculations, 998 produisirent des chancres et 226 restèrent sans effets.

La syphilisation est-elle appelée à rendre des services véritables au point de vue thérapeutique? Doit-elle être préférée au traitement ordinaire? ou bien doit-on y recourir alors que la thérapeutique est impuissante? C'est dans ce dernier sens que M. Nélaton, dans une de ses dernières leçons cliniques, se prononçait tout dernièrement.

XIII

DE LA PROSTITUTION DANS LA VILLE DE COPENHAGUE

ET DES MESURES PRISES EN DANEMARK POUR EMPÊCHER LA PROPAGATION DE LA SYPHILIS (1),

Par M. BRAESTRUP,

Directeur de la police à Copenhague.

La législation danoise défend la prostitution et punit les infrac tions commises à cet égard comme les autres delicta carnis. Le Code de Chrétien V, 1683, et quelques ordonnances rendues ultérieurement contiennent des pénalités contre ces délits. Ces dispositions sont restées en vigueur jusqu'à ce jour, quoique dans l'application des peines fixées elles aient subi quelques modifications dans la législation nouvelle. Comme il n'est cependant guère possible, dans l'état actuel de la société, d'empêcher la prostitution sans provoquer des désordres plus graves encore, on a jugé nécessaire de tempérer, à certains égards, dans la pratique, la rigueur des lois, et c'est ainsi que, depuis longtemps, on a toléré des femmes publiques à Copenhague et dans quelques grandes villes de province, telles que Helsingoer, Aalborg, etc.

L'administration générale n'a pas seulement toléré tacitement l'existence de la prostitution, mais elle lui a donné indirectement une sorte de sanction par une ordonnance royale rendue le 9 mars 1809 et restée en vigueur depuis lors. Cette ordonnance enjoignit aux femmes publiques habitant alors la banlieue de la capitale, de se présenter, lorsqu'elles étaient affectées de syphilis, aux bureaux de police, dans les quinze jours. On leur fit connaître que celles qui se conformeraient à cette injonction seraient traitées gratuitement et que leur nom ne serait pas revélé. De plus on leur assura l'impunité alors même que par leur conduite elles se seraient rendues coupables, tandis qu'en cas de désobéissance à l'injonction, on les menaça de l'application de la loi dans toute sa rigueur. Toutefois la prostitution n'est que tolérée, et peut être interdite en tout temps lorsque les circonstances l'exigent. Aussi l'on évite autant que possible tout ce qui pourrait imprimer à la

(1) Note communiquée au Congrès général d'hygiène de Bruxelles. — Extrait du Compte rendu du Congrès général d'hygiène, Bruxelles, 1852, in-8.

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