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égards, inférieure même à la Chine, qui n'avance guère depuis longtemps, mais qui du moins ne rétrograde pas. Le progrès n'est-il pas de poursuivre la recherche du mieux, tout en conservant ce qui est bien? N'est-ce pas ainsi que le passé peut assurer le présent et préparer l'avenir? Qu'on nous laisse présenter ces réflexions. Nous ne les croyons pas déplacées à la fin de ce travail, et peut-être pensera-t-on comme nous, si l'on songe que la question qui nous occupe est une de celles qui intéressent de plus près la morale et l'hygiène, c'est-à-dire la vie même et le perfectionnement des peuples.

NOTA. L'ouvrage estimable de M. Rabuteaux (De la prostitution en Europe depuis l'antiquité jusqu'à la fin du XVI siècle, Paris, 1851), les recherches intéressantes de M. Ramon de la Sagra (Notes pour servir à l'histoire de la prostitution en Espagne, dans Congrès général d'hygiène de Bruxelles, 1852, in-8) et le Traité d'hygiène du docteur Monlau (Barcelona, 1847, 2 vol. in-12), nous ont fourni pour la rédaction de ce mémoire des détails précieux et d'utiles indications.

I.

DE LA PROSTITUTION A HAMBOURG,

Par le docteur H. LIPPERT (1).

Hambourg, célèbre parmi les anciennes villes hanséatiques par ses richesses et l'énergie de ses marchands, est, par sa population, qui s'élève à 180,000 habitants, une des grandes villes de l'Allemagne ; son commerce, étendu et florissant, en a fait une des rivales de Paris, de Londres et de Liverpool; et, comme elle est la plus importante des quatre villes libres allemandes, elle est le vrai type des mœurs et des institutions municipales si caractéristiques dans les races germaniques.

Tous les jours, un nombre immense de vaisseaux, arrivant de tous les coins du globe ou partant pour tous les pays, déposent au milieu de cette fournaise ardente les éléments les plus étranges et les plus disparates, des voyageurs de tout rang, de toute fortune, des nationalités les plus diverses, avides de se dédommager, à l'aide de leurs économies forcées, des ennuis et des privations d'une longue traversée.

Cette situation particulière de Hambourg, ce caractère qu'on chercherait vainement ailleurs en Allemagne, nous ont décidés à consacrer un chapitre spécial à l'histoire et à l'état actuel de la prostitution dans cette importante cité.

II. Le moyen âge, surtout au XIII et au XIVe siècle, nous fournit les premiers documents relatifs à la police des filles publiques.

Pour la ville de Hambourg, c'est dans son Code municipal (1292) que nous rencontrons les plus anciens règlements de cette

nature.

Les paragraphes 17, 18, 19 et 30 de ce Code si important règlent d'une manière détaillée le costume des filles mal famées et les quartiers qui leur sont assignés. Leur nombre n'est pas indiqué, mais il paraît avoir été fort considérable.

Nous ne saurions dire si réellement les sept cents femmes perdues dont parlent les chroniqueurs à l'occasion du concile général tenu à Constance, une des plus petites villes de l'Allemagne, ont été, comme ils le disent, logées dans les écuries

(1) Extrait de son ouvrage Die Prostitution in Hamburg. Hamburg, 1848, in-8.

aux frais de la ville; mais nous possédons encore des pièces historiques où sont contenues les conditions du marché conclu entre le conseil municipal de Hambourg et deux entrepreneurs de (?) Boda meretricum, boutiques de femmes, fondées et louées par la municipalité de Hambourg. Une des conditions du traité portait que, pour chaque fille, les entrepreneurs percevraient une éértaine taxe qui, en somme, ne rapportait, de 1460 à 1537, que 5 à 9 talent, 14 sols par an, soit environ de 20 à 50 francs de notre monnaie. En 1540, cette somme fut élevée à 75 talents, et, par extraordinaire, en 1562, à 569 talents; mais, cette même année, une pareille augmentation se remarque sur tous les autres impôts, et s'explique par un besoin urgent de la caisse municipale. Les mesures de l'ancien Code furent maintenues jusqu'en 1603, où des rigueurs particulières remplacèrent la tolérance observée jusqu'alors. Les maisons publiques furent fermées; les filles et leurs complices furent exposées publiquement, et « autant que possible bannies,» ajoute le paragraphe 170 du règlement.

Pour caractériser l'état de la prostitution au commencement du xix siècle, nous mettrons sous les yeux des lecteurs le règlement de l'année 1807, que l'on doit au préteur Abendroth, et qui contient les premières instructions un peu complètes sur la police des maisons et des filles publiques. Cette ordonnance, imprimée sans date, et qui ne porte aucune signature, est ainsi

conçue :

4. Toute personne qui loge des filles est tenue de remettre à la prétare la liste des noms des personnes habitant chez elle, avec indication de leur âge, lieu de naissance, et de l'époque de leur entrée dans l'établissement.

2. Lorsqu'une nouvelle fille arrive dans une maison, elle doit être présentée à la préture.

3. Quand une fille quitte une maison, la préture doit en être instruite, et par écrit ; la nouvelle demeure doit être indiquée également.

4. L'hôte ou l'hôtesse est obligée de recommander aux filles logées chez eux de ne pas avoir de rapports avec les hommes infectés d'une maladie contagieuse.

5. La fille est tenue d'indiquer à son hôte tous les symptômes d'une maladie vénérienne qu'elle remarquerait sur elle, quelque peu graves que lui parussent ces symptômes, et de s'abstenir, dès ce moment, de tout rapport avec les hommes, sous peine de punition sévère.

6. L'hôte ou l'hôtesse qui forcerait une fille malade à continuer son métier serait condamné à être exposé au pilori, et à être détenu dans une maison de correction.

7. L'hôte ou l'hôtesse qui aurait eu connaissance de la maladie vénérienne d'une des filles qu'ils logent, est tenu d'en faire la déclaration à la préture, afin que celle-ci puisse ordonner le traitement de la maladie dans la maison qu'elle habite ou dans l'hôpital général. Il est expressément défendu aux hôtes de se charger du traitement des filles malades.

8. Afin que personne ne puisse prétexter ignorance de ce règlement, lės hôtes seront instruits des symptômes des maladies vénériennes indiqués par les médecins nommés ad hoc.

9. L'hôte ou l'hôtesse informera de ces symptômes les filles qu'ils logent, pour les mettre à même d'éviter des rapports avec les hommes malades, et de suspendre leur métier, si elles se reconnaissaient malades.

10. Dans le cas où un homme malade demanderait à avoir des rapports avec une femme, et emploierait même la force, l'hôte et l'hôtesse sont tenus, sous peine de punition la plus sévère, de prêter tout leur secours aux filles.

44. Quoique le devoir des hôtes soit d'examiner ou de faire examiner soigneusement l'état de santé des filles qu'ils logent, le chirurgien délégué par l'administration est cependant obligé, pour prévenir toute propagation des maladies vénériennes, d'examiner tous les quinze jours toute fille publique; les filles inscrites doivent se soumettre sans opposition à cet examen et suivre rigoureusement les conseils du chirurgien. 42. Dans le cas où il serait constaté, à cet examen, que la personne infectée ou l'hôte ont pu avoir connaissance de la maladie, mais qu'ils ont négligé de faire la déclaration prescrite par le présent règlement, l'hôte et la fille seront condamnés à l'exposition au pilori, à la prison et au bannissement de la ville.

13. Comme le public de la ville ne peut pas être tenu de supporter les frais nécessités par ces mesures, l'hôte est obligé de payer, le 1er du mois, à la caisse du prétoire, une taxe mensuelle, pour chaque fille qu'il loge, s'élevant à 2 marcs banco ou 3 fr. 80 c. (1). Les frais de la préture une fois couverts, l'excédant sera versé à la caisse de l'hôpital général.

44. En même temps que la loi punit sévèrement l'hôte et la fille qui auraient dissimulé une maladie vénérienne, elle accorde aux personnes qui feront en temps utile cette déclaration, la dispense de tous frais de traitement et d'entretien pendant la maladie.

15. L'autorisation d'exercer ce métier devra être révoquée à la moindre infraction à ce présent règlement. Les filles trouvées en contravention sur la voie publique seront condamnées au pilori et à là détention dans une maison de correction.

16. Les personnes qui se soumettront aux prescriptions du présent

(1) Le marc-banco équivaut à 1 fr. 88 c. de la monnaie de France.

règlement, et qui se conduiront convenablement et tranquillement, ne seront pas inquiétées dans le libre exercice de leur métier. Mais il est expressément défendu d'appeler ou d'aborder les passants dans la rue, et particulièrement d'exercer le métier de filles errantes.

17. Il est défendu aux hôtes, sous peine sévère, d'attirer dans leur maison, par de fausses promesses, des filles étrangères, qui n'ont point encore été débauchées, et, en général, d'y attirer, par n'importe quel moyen, des jeunes personnes des deux sexes.

18. Les mêmes peines sévères seront encourues par l'hôte qui aurait empêché une fille repentante d'abandonner cette vie de débauche; toute contestation sur des comptes d'argent sera immédiatement réglée par la préture.

19. Bien qu'il soit laissé aux hôtes et aux filles le droit de fixer leur tarif, il est sévèrement défendu de dépouiller les hommes qui viendraient en état d'ivresse.

20. En dehors de la taxe indiquée plus haut, personne, sous aucun prétexte, n'a le droit de réclamer ou d'accepter aucun don de l'hôte et des filles.

24. Le présent règlement a été donné provisoirement, pour un an, à titre d'essai.

Suivent les symptômes des maladies vénériennes.

III. Peu d'années après survint l'occupation française, qui nous a laissé, sur la matière un règlement très étendu, daté de l'an 1811. Le commissaire général français y rappelle son ordonnance du 10 février 1810, qui ne paraît pas avoir reçu la publicité nécessaire; toutefois, il ne veut pas qu'on donne à ses nouvelles mesures l'honneur des journaux ni des affiches.

Les articles suivants nous ont paru les plus caractéristiques de cette pièce.

1. Les propriétaires doivent déclarer au commissaire de police les noms des filles publiques et des femmes, en général, qu'ils logent chez eux. Elles reçoivent un numéro en échange de cette déclaration, qui porte leur nom, leur âge, le lieu de leur naissance, leur condition antérieure, l'époque de leur arrivée à Hambourg, si elles sont étrangères.

2. Les maîtres de maisons publiques qui voudraient envoyer à toute heure du jour leurs pensionnaires en ville sont tenus d'en faire la déclaration. Ces mesures s'appliquent également aux propriétaires qui louent des chambres à des filles publiques ou à des femmes en général. 3. Les mêmes personnes sont tenues de se faire présenter tous les quinze jours le certificat de visite.

4. Si on ne leur montrait pas le certificat de visite, les particuliers, les maîtres de maison et autres ont droit de se plaindre devant le commissaire de police.

5. Tout changement de domicile de ces personnes doit être déclaré dans les vingt-quatre heures.

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