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DE LA PROSTITUTION EN HOLLANDE,

PAR MM.

Le docteur G.-E.-V. SCHNEEVOOGT,
Premier médecin de l'hôpital à Amsterdam (dit Buiten Gasthuis),

Le docteur A -C. Van TRIGT,

Médecin adjoint du même hôpital et du dispensaire pour

ET

H. Van OORDT,

Élève des hôpitaux de Paris (1).

les syphilitiques,

On s'étonnera tout d'abord que dans un pays dont la législation répond aux exigences modernes, chez un peuple signalé par son génie pratique, une administration éclairée n'ait adopté que bien tard les seules mesures propres à atténuer le fléau de la prostitution. Depuis peu d'années seulement, la Hollande a, sous ce rapport, renoncé à la désastreuse théorie du laisser-faire.

Mais l'exagération des scrupules religieux, qui maintient encore ce régime en d'autres contrées, a dû céder en Hollande devant des considérations d'un ordre supérieur. Le gouvernement néerlandais s'est enfin décidé à laisser aux communes la faculté de prévenir par la réglementation les funestes conséquences de la prostitution libre. La surveillance, indépendamment des services qu'elle rend à la santé publique, aide encore aux efforts de la charité chrétienne pour prévenir le mal que nous décrivons. La philanthropie privée seconde la vigilance de l'autorité à combattre la misère et l'ignorance, ces deux sources principales de l'immoralité populaire. Comme chez toutes les nations protestantes, l'initiative individuelle et laïque est active dans les œuvres de la charité en Hollande. Tout en cherchant à restreindre à l'avance par les bienfaits du travail et de l'instruction le tribut payé à la prostitution par les classes laborieuses, le zèle des particuliers s'attache à arracher à leur dégradation les malheureuses victimes du vice.

Parmi les tentatives faites dans ce sens et couronnées de succès, nous signalerons l'asile Steenbeek. Situé dans les campagnes de la Gueldre, dans toutes les conditions désirables de salubrité et d'isolement, cette institution donne déjà les plus heureux ré

(1) Les pages 829 à 838 sont de M. Van Oordt, et les pages 838 à 847 sont de MM. Schneevoogt et Van Trigt.

sultats. Dès 1851, cet asile, établi sur les bases les plus larges, puisqu'il reçoit les repenties de tout culte, et dont l'idée première appartient à l'honorable pasteur 0.-G. Heldring, ne suffisait plus à sa destination. Il a fallu l'agrandir. Ces résultats sont dus à une direction à la fois sévère et bienveillante.

La directrice de Steenbeek, mademoiselle P. Voute, diaconesse, est une personne aussi distinguée par sa piété tolérante que par sa position sociale et ses lumières. La liberté, le respect des convictions religieuses, tels sont les principes qui l'inspirent. Toute idée de claustration est bien loin de la pensée des fondateurs de l'œuvre; ils ont rendu facile la sortie de leurs pensionnaires, au cas où celles-ci voudraient quitter la maison avant l'expiration du délai de deux ans fixé pour leur séjour normal. Dans ce cas même, elles reçoivent un secours en argent (1). Pareille disposition existe, du reste, dans le règlement antérieurement adopté par l'abbé Coural de Montpellier, pour sa Solitude de Nazareth. Malgré ses louables efforts, la communauté catholique hollandaise n'a pu encore établir de couvents de repenties.

Il semble, au premier abord, que le fléau qui nous occupe doit exercer parmi les populations hollandaises des ravages modérés. Dans un pays où l'aisance est générale, où prévaut la vie de famille, la sévérité habituelle des mœurs paraît un obstacle à la propagation du désordre. L'influence climatérique porte plutôt à l'ivrognerie qu'au libertinage. Qu'on me passe l'expression, l'offre, en cette matière, semble devoir être peu considérable, parce que la demande paraît moins abondante qu'ailleurs.

Mais, devant les causes d'excitation factice que développent les grandes cités, il faut aussi peu tenir compte de l'action du climat que de la pureté souvent tout extérieure des mœurs. Sous ce dernier rapport, on découvre trop fréquemment ce qu'il y a de désordre caché dans la vie, en apparence si régulière, des hommes appartenant à la classe aisée. N'osant commettre leur réputation dans des relations trop difficiles à cacher avec les femmes galantes, ils fréquentent les maisons de tolérance.

Ce que nous disons ici des classes supérieures s'applique aux hommes du peuple. En Hollande, le respect du foyer commande au pauvre comme au riche; on peut le dire, ici l'hypocrisie est un hommage que l'un et l'autre croient devoir, dans leur désordre, à la vertu de leurs femmes et de leurs filles.

(1) Les repenties apprennent un état qui leur permet, à leur sortie, de pourvoir honnêtement à leur subsistance.

Les kermesses, si populaires en Hollande, ont pour les gens des campagnes des séductions dangereuses qui souillent parfois la pureté patriarcale de leur vie. On sait qu'une kermesse est à la fois un marché et une fête, où le paysan, en écoulant ses denrées, vient jouir des plaisirs des villes. L'autorité tolère alors l'établissement de débits de boissons et de pâtisseries, qui sont aussi des lieux de débauche à bon marché, construits en bois pour la eir. constance.

Les provinces manufacturières d'Over-Yssel, Noord-Bra band, etc., fournissent à la prostitution de nombreuses victimes. Un grand nombre de filles sont d'anciennes domestiques. A La Haye, résidence de la cour, centre d'une société élégante, on trouve un assez grand nombre de femmes entretenues. Dans les ports d'Amsterdam et de Rotterdam, les prostituées n'ont pas à redouter la concurrence de ces courtisanes de haut parage; cette classe de femmes existe à peine. Leur absence, dont nous avons dit la cause, jointe à la présence d'une population passagère de marins et de voyageurs, augmente le nombre des filles entièrement publiques. Nous donnons à chaque article spécial le nombre des filles publiques de chaque ville par rapport à sa population. Nous indiquons aussi la proportion dans laquelle les diverses provinces néerlandaises et les pays étrangers contribuent à recruter la prostitution.

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Résidence royale et ville de garnison, La Haye est, bien plus que nos cités commerçantes, un centre de plaisir et de luxe élégant. La population oisive y est plus considérable. Les mœurs et les habitudes des classes élevées s'y rapprochent de celles des riches habitants des autres capitales. Nous n'avons pas à nous occuper d'une catégorie de femmes qu'en Hollande on ne rencontre guère qu'à La Haye. Nous ne mentionnons la présence de ces filles plus ou moins richement entretenues que pour rappeler que partout, même chez notre nation puritaine et bourgeoise, l'opulence oisive a pour la moralité publique les mêmes conséquences.

Quant à la prostitution proprement dite, nous ne donnons pas dans leur entier les règlements actuellement en vigueur. Ce n'est que depuis l'année dernière qu'ils diffèrent en quelques points de la législation établie à Rotterdam, Arnheim, etc.

Par un arrêté du 12 septembre 1856, l'autorité municipale a régularisé et rendu plus sévère une surveillance jusqu'alors imparfaite. Nous reproduisons seulement les dispositions nouvelles qui dérogent à l'état de choses antérieur et distinguent de tout autre le dernier règlement.

Nous devons les renseignements qui suivent à l'obligeance de M. le docteur Champfleury van Ysselstein.

Sur une population de 75,000 âmes (y compris le bourg de Scheveningen pour 6,000 habitants), le nombre des femmes inscrites est de 100. Mais cette statistique est incomplète. Jusqu'à la mise en vigueur du nouveau règlement, les recensements ont été faits avec négligence. On peut élever à 300 le chiffre des filles publiques.

Les maladies vénériennes et les affections de la peau sont traitées dans un hôpital particulier. Les militaires atteints de syphilis sont reçus dans un hospice spécial.

La moyenne des malades civils est de 50, dont les deux tiers au moins sont affectés de syphilis.

Le traitement dure, en moyenne, deux mois, ce qui donne environ 200 à 250 vénériens par an. On en comptait beaucoup moins autrefois. Mais le savant praticien à qui nous devons nos renseignements donne la raison de cette augmentation du nombre des malades. « Depuis onze ans que je suis chargé de ce service, » nous écrit M. le docteur Van Ysselstein, j'ai vu continuelle>> ment s'accroître le chiffre des vénériens. Il n'était, la première » année, que de 150. On ne peut attribuer qu'à une surveillance >> incomplète l'infériorité que présente ce chiffre sur le nombre >> des malades actuellement traités. >>

Les établissements de tolérance, parmi lesquels il ne faut pas compter les maisons clandestines, sont au nombre de 10. Mais ce nombre s'accroîtra par l'action d'une police plus sévère, qui soumettra à la surveillance la prostitution secrète.

Reglement sur LA POLICE SANITAIRE DES MAISONS PUBLIQUES DE DÉBAUCHE ET DES FILLES PUBLIQUES.

Titre I.

Des femmes publiques, de leur inscription et radiation au registre.

Art. 2. Toute fille publique doit se faire inscrire au registre ouvert à cet effet et déposé au bureau de la police. La femme qui, sans être inscrite, sera reconnue s'être livrée à la débauche dans une maison pu

blique, est en contravention. En cas de récidive, elle sera inscrite d'office.

Art. 4. La femme qui se livre à la débauche et, en vertu de l'article précédent, ne se présente pas à l'inscription, est tenue, sur l'ordre du bourgmestre, de comparaître devant le commissaire de police, qui établit une enquête et ordonne, s'il y a lieu, l'inscription d'office. Dans ce cas, il sera dans les vingt-quatre heures donné connaissance à la femme de cette décision par les soins du commissaire de police. L'ordre de se présenter sera donné à la femme par une lettre close, remise à son domicile par un agent de police. L'inscription d'office sera signifiée dans les mênies formes. La femme qui ne se rend pas à l'ordre de l'autorité est passible d'une amende qui peut s'élever jusqu'à 25 florins, ou d'un emprisonnement qui peut s'élever jusqu'à trois jours.

Art. 8. Les femmes publiques sont tenues d'exhiber leur livret aux tenants de maison et aux hommes qu'elles reçoivent et qui l'exigeraient. Elles doivent à cet effet le porter toujours sur elles; en cas de perte, elles sont tenues d'en demander un nouveau.

Art. 40. Il est toujours permis aux femmes qui habitent les maisons de prostitution de quitter ces maisons en en faisant la demande au bureau de la police.

Les tenants de maisons qui voudraient s'y opposer seront punis d'une amende de 7 à 25 florins, ou même d'un emprisonnement de un à trois jours.

Art. 11. Les femmes demeurant isolément sont divisées en trois classes:

4° Celles qui désirent se faire visiter à domicile;

2o Celles qui désirent subir la visite dans une maison de tolérance; 3o Celles qui se rendent au lieu destiné à cette visite.

La première catégorie est tenue d'acquitter les frais de la visite.

Pour la deuxième et troisième, la visite a lieu gratuitement.

Les femmes qui, au moment de l'inscription, ne se rangent pas dans une de ces trois catégories sont regardées comme appartenant à la troisième.

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Art. 29. Toute femme publique est soumise au moins deux fois par semaine à une visite sanitaire et, de plus, à une contre-visite faite par le médecin contrôleur.

Art. 36. Sont aussi soumises à cette visite les maitresses et toutes les autres femmes habitant ces maisons, excepté les filles des maîtresses de maisons qui ne se livrent pas à la débauche.

Art. 43. Le service sanitaire est fait par deux médecins chargés, l'un des visites, l'autre du contrôle. S'il y a lieu et sur la proposition du médecin controleur, le bourgmestre nommera un second médecin visi

tant.

Art. 46. Les médecins chargés de la visite des femmes publiques ne pourront en aucun cas et pour une affection quelconque les traiter à domicile.

3 EDIT., T. II.

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