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mince n'est pas au-dessous des quantités suivantes, qu'il faut apprécier, ainsi que celles que nous indiquerons plus bas, en se plaçant au point de vue de la sobriété naturelle des Romaines : un léger déjeuner; à dîner, soupe, viande bouillie, un plat de légumes; à souper, une salade et un plat quelconque; pain à discrétion toute la journée, et une foglietta de vin (1). Les pénitentes n'ont point d'uniforme, mais la simplicité doit présider à leur costume.

Parent-Duchâtelet blâme (2), non sans raison, le régime troprigoureux, trop monastique, trop monotone, auquel on soumet sans transition, à Paris, des filles habituées à une vie libre, irrógulière, pleine d'imprévu, d'agitation et d'émotions. Ces reproches incombent aussi au régime du Bon-Pasteur de Rome, et l'objection que la vie monastique a plus d'attraits pour la population de la ville éternelle, ne nous paraît pas légitimer cette rigoureuse répartition du temps: lever à cinq heures du matin en été, à cinq heures et demie en hiver; prière du matin; entendre la messe; travail en commun, dont tout le bénéfice revient aux femmes; on travaille en chantant des cantiques; les a parte sont défendus, mais on peut converser à voix haute en évitant les légèretés; avant le diner, examen de conscience; dîner en silence, en écoutant une lecture spirituelle; le benedicite précède, les grâces suivent le repas; récréation d'une heure après le dîner; prière et lecture; le travail recommence et se prolonge jusqu'aux litanies et au rosaire; souper de six heures et demie à sept heures et demie; une seconde heure de récréation; à neuf heures du soir la journée se termine par la prière, puis on se rend dans les chambres à coucher. Les pénitentes se confessent tous les huit jours et communient chaque mois.

Les maisons de Sainte-Croix et de Lorette reçoivent les vénériennes qui sortent guéries de Saint-Jacques; elles ont la liberté de quitter l'établissement quand elles veulent. Sainte-Croix contient en moyenne 20 et Lorette 15 filles. Vêtues d'un habit presque monastique et uniforme, elles vont promener de grand matin dans les rues écartées ou sur les chemins déserts. Le travail et la prière se partagent le temps, comme au Bon-Pasteur. Quoique libres de quitter l'asile que leur ont ouvert la charité et la piété, pour recommencer leur vie débauchée, ces filles re(1) La foglietta vaut un peu moins d'un demi-litre.

(2) Tome II, page 377 et suivantes.

prennent rarement cette route de perdition: beaucoup revétent l'habit monastique, on en place un certain nombre dans des conditions honnêtes, on parvient à doter et à marier quelques filles, et à réconcilier quelques femmes avec leurs maris.

Au point de vue philosophique, nous devons insister sur la métamorphose que la retraite opère dans la moralité de ces filles. Elles ont à se relever de moins bas que les prostituées que la mesure nécessaire de l'enregistrement à la police sitgmatise, pour ainsi dire, officiellement et publiquement, et elles ne trouvent point d'entraves dans les obligations, souvent si difficiles à remplir, imposées aux filles publiques qui veulent se faire rayer.

Parent-Duchâtelet, qui a consacré de remarquables pages de son ouvrage à l'étude de la moralisation des filles publiques dans ces asiles, dit, avec raison, que l'influence et les conseils des femmes mariées qui connaissent le monde, seraient plus utiles à ces créatures dégradées que la direction des religieuses dont la piété n'est pas assez éclairée par l'expérience. Cette opinion semble se vérifier à Rome où certaines de ces maisons ont été instituées par de nobles dames qui en ont été les premières directrices; exemple encore suivi aujourd'hui dans cette ville, où, pour ces âmes d'élite, l'exercice de la charité n'est pas une ostentation, mais un besoin et une véritable jouissance que l'on satisfait dans le silence. S. E. le cardinal Morichini pense qu'il serait utile de substituer des religieuses aux dames qui dirigent ou surveillent Sainte-Marie au Transtévère; mais nous sommes obligé de nous ranger contre l'avis de ce prélat éminent et éclairé, avec Parent-Duchâtelet qui a creusé si profondément les questions relatives à la réhabilitation des prostituées.

Nous avons terminé notre tâche, qui n'était pas sans dangers. Puisque nous avions à opérer dans un gouvernement où la fusion du spirituel au temporel ne permet pas d'aborder l'un sans toucher l'autre, et qu'en second lieu, ne pouvant remplir les pages qui nous sont ouvertes en relatant les arrêtés de police, nous avons dû faire excursion dans le domaine de la morale, de la philosophie et même de la religion. Il fallait d'abord nous dépouiller de cet esprit français, qui, partant de ce qui se passe chez nous comme d'un critérium dont rien ne peut s'éloigner sans être vicieux, juge moins les choses dans leur essence que d'après des principes, souvent faux, arrêtés d'avance. En second lieu, il importait de suivre une ligne impartiale entre admira

tion trop absolue et la trop complaisante absolution qui signalent les écrits de certains écrivains purement catholiques, et l'esprit systématique de dénigrement et même de calomnie qui caractérise trop d'auteurs. Nous n'avons pas oublié qu'on n'est instructif et utile, qu'à la condition de demeurer toujours indépendant et juste.

XVIII

DE LA PROSTITUTION DANS LA VILLE DE TURIN.

Turin, capitale du Piémont, est une des villes les plus importantes de l'Italie; depuis quelques années, elle a pris une activité remarquable. Des circonstances particulières out amené dans son sein beaucoup d'étrangers, population flottante assez considérable qui augmente encore la population ordinaire qui est de 140 à 150,000 habitants.

Les causes et les effets de la prostitution sont à peu près les mêmes dans toutes les villes importantes; il est donc inutile d'ajouter ici de nouvelles considérations à cet égard.

Jusque dans ces derniers temps, la surveillance de la prostitution en Piémont ne s'exerçait que fort imparfaitement, et par conséquent la propagation de la syphilis était fort grande. M. Rattazzi, ministre de l'intérieur, désireux d'établir une organisation meilleure, demanda à M. le docteur Sperino (1), bien connu du monde savant pour ses travaux sur la syphilis et la syphilisation, un projet sur cette partie importante de l'hygiène publique; et c'est d'après les indications du médecin dont nous parlons que furent rédigées les Instructions sur la prostitution, promulguées le 20 juillet 1855 (voy. p. 873), qui ont pour base le Règlement de la ville de Bruxelles.

De nouvelles ordonnances complèteront la réforme qui s'établit non-seulement à Turin, mais dans tout le royaume, et qui très certainement arrêtera en partie la propagation de la syphilis.

Nous donnons plus loin la traduction d'un Règlement spécial, relatif à la prostitution dans la ville de Turin, qui vient d'être publié.

Les filles publiques ou femmes soumises à la visite s'élevaient avant 1856 à 180 environ à Turin; depuis qu'une surveillance attentive est établie, ce nombre s'est élevé à 750. Ces deux

(1) Médecin et chirurgien en chef du syphilocome de Turin, auteur de l'ouvrage La syphilisation étudiée comme méthode curative et comme moyen thérapeutique des maladies vénériennes, Turia, 1853; et de communications à l'Académie de médecine de Turin, insérées dans l'ouvrage : De la syphilisation et de la contagion des accidents secondaires de la syphilis, Communication à l'Académie de médecine de Paris. Paris, 1853, pag. 205 à 240.

chiffres comparés font voir combien cette branche de l'organisation de la police sanitaire était négligée, et combien les mesures indiquées par M. le docteur Sperino étaient nécessaires et sont efficaces. Ce qui le prouve mieux encore, c'est la diminution notable des maladies syphilitiques dans la garnison. Lorsque la surveillance de la prostitution est mal faite, les désastreux résultats de cette négligence peuvent échapper à l'attention du gouvernement; mais le registre d'entrée des hôpitaux militaires est un moyen de vérification facile et toujours probant.

Depuis longtemps déjà, un hôpital spécial est destiné au traitement des affections syphilitiques; il a reçu le nom de syphilocome. Les femmes infectées y sont admises et traitées gratuitement. On y admet également les filles publiques envoyées des provinces. Les femmes mariées non prostituées et les nourrices avec leurs enfants y sont reçues de même gratuitement et traitées dans des chambres à part. Le nombre d'admissions annuelles, qui était en moyenne de 800 à 1000, s'élevait déjà à 1661 en 1856. Gênes, cette ville si importante, sera prochainement dotée d'un établissement de même nature. L'impulsion est maintenant donnée. Le gouvernement sarde a compris combien cette partie de l'hygiène publique était importante, non-seulement pour la santé des individus, mais plus encore pour les générations futures, et nul doute qu'avant peu, le royaume ne bénéficie des mesures indiquées par M. Sperino.

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1° INSTRUCTIONS RELATIVES A LA PROSTITUTION.

Section I. Bureaux de surveillance.

Art. 1. La surveillance des prostituées, tant de celles habitant les maisons de tolérance que de celles qui vivent éparses (en chambre), est commise pour les villes de Turin et de Gênes aux questeurs de salubrité publique, pour les chefs-lieux des provinces aux intendants, et pour les communes aux syndics.

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Art. 2. Les femmes qui se livrent notoirement à la prostitution se divisent en deux catégories :

Celles qui se tiennent dans les maisons de tolérance, et celles qui vivent isolées dans leur propre demeure.

La police délivrera difficilement, avec beaucoup de réserve, l'autorisation aux prostituées de demeurer en chambre dans les localités où il existera des maisons de tolérance.

Art. 3. Les prostituées des deux classes devront se faire inscrire au bureau de police où un registre spécial à chaque catégorie sera ouvert à cet effet.

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