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nations vicieuses, se manifestent parfois jusque dans les salles des hôpitaux et les désignent suffisamment aux courtières de prostitution. La liberté de leur langage, le cynisme de leurs conversations scandalisent jusqu'aux internes eux-mêmes, bien qu'en dehors des hôpitaux leurs oreilles soient faites à de pareils discours et s'en effarouchent difficilement. L'un de ces jeunes gens m'a rapporté que, faisant un jour le pansement d'une malade, il avait pu saisir une discussion qui s'était élevée entre deux jeunes filles placées dans les lits voisins. Chacune prétendait que c'était elle que l'un des internes recherchait de préférence et viendrait voir à sa sortie, et qu'il lui en avait fait la promesse. Promesse assurément de pure invention; mais ce fait peut donner une idée de la moralité des deux interlocutrices, et des facilités qu'aurait pu trouver auprès d'elles l'interne, s'il eût voulu se prévaloir de ce qu'il avait entendu.

Il est même de ces créatures qui oublient toute pudeur et toute retenue au point d'oser faire des avances aux élèves, et de leur adresser par lettres des déclarations, qui, loin de flatter leur amour-propre, ne font le plus souvent qu'exciter leur mépris et soulever leur dégoût. Car c'est ici le lieu de le faire remarquer, à l'honneur de la génération actuelle, et la vérité nous fait une loi de le proclamer: à la différence de ce qui avait lieu jadis, les internes des hôpitaux comprennent parfaitement la dignité de leur profession. Appelés souvent à suppléer le médecin, ils savent respecter tous les malades, pour en être eux-mêmes respectés. Plus de ces regrettables légèretés, de ces déplorables écarts comme on n'avait que trop souvent à en réprimer

autrefois. Les malades ne sont plus aujourd'hui en présence que de jeunes internes studieux, instruits, et qui savent tout ce qu'on doit s'imposer de circonspection et de retenue dans des établissements consacrés à la souffrance et au malheur.

L'hôpital Saint-Louis compte toujours un assez bon nombre de vénériens parmi ses malades; mais ce sont en général des affections anciennes, devenues constitutionnelles, et qui se compliquent, pour la plupart, de maladies de la peau.

En dehors des deux hôpitaux spéciaux et de l'hôpital Saint-Louis, c'est dans la maison municipale de santé, de la rue du faubourg Saint-Denis, que se trouve le plus grand nombre relatif de malades atteints d'affections vénériennes. Cet établissement, qui relève aussi de l'administration de l'assistance, et qui est généralement plus connu sous le nom de Maison Dubois, parce que le célèbre praticien Antoine Dubois en a été le chirurgien en chef pendant plusieurs années; cet établissement, dis-je, où l'on n'est admis qu'en payant, ouvre ses salles communes, ou ses chambres particulières, aux syphilitiques des deux sexes, lorsqu'il s'en présente. Leur nombre y est en moyenne de 15 à 18, sur une population de 150 individus; mais, dans cette catégorie, les femmes forment la minorité.

Les hommes qu'on y traite pour cette affection sont le plus souvent des habitants de la province, célibataires ou mariés, qui prétextent des affaires ou le désir de faire un voyage à Paris, et qui ne s'y rendent réellement que pour pouvoir cacher à leur famille la nature de leur maladie ;

De jeunes commis marchands, qui ne pourraient se

faire soigner convenablement chez les patrons qui les emploient;

Ou bien encore des fils de famille, que leurs parents ne peuvent se dispenser d'éloigner en pareille circonstance, par un juste sentiment de convenance et par respect aussi pour d'autres enfants et pour leurs

entours.

Les femmes syphilitiques sont, pour la plupart, de la catégorie des entretenues, ou de celles qu'on qualifie habituellement de Lorettes, et quelquefois aussi des filles publiques.

La police ne s'oppose pas à ce que ces dernières soient traitées à la maison municipale de santé, mais elle vient s'assurer de leur présence et a l'œil sur elles au moment de la sortie.

Pendant leur séjour dans l'établissement, la conduite de ces filles est ordinairement à l'abri de tout reproche. Elles redoutent par dessus tout d'être reconnues pour ce qu'elles sont, et la crainte de trahir leur profession par leur attitude ou leurs discours les maintient dans la retenue et dans le devoir.

Il n'en est pas de même des Lorettes et des femmes entretenues. Elles se montrent souvent exigeantes, impatientes de la règle, et sont plus difficiles à gouverner. Leurs manières, leur langage et les visites qu'elles reçoivent, les font aisément reconnaître, même à l'œil le moins exercé. Un ancien directeur de l'établissement m'a assuré qu'il avait vu des jeunes gens, des commis marchands surtout, n'ayant qu'une indisposition légère, se faire admettre tout exprès pour former une liaison avec ces femmes entretenues, qui la plupart, comme on le sait, se font un jeu de tromper les pau

vres dupes aux dépens desquelles elles vivent, pour dissiper en plaisirs et en orgies leurs libéralités avec des amants de leur choix.

Ces liaisons sont faciles à contracter dans la maison municipale de santé. Par une disposition vicieuse, qui n'est pas du fait de l'administration, et qui tient à la nature des localités, le jardin ou promenoir est commun aux deux sexes. Il en résulte que les malades ont toute liberté de communiquer entre eux, et que rien, par conséquent, ne met obstacle à des relations immorales, qu'il est regrettable de voir nouer dans un établissement public.

Au surplus, cet état de choses ne tardera pas à disparaître. La maison de santé va être incessamment démolie et reportée dans le haut du faubourg SaintDenis. Le plan, que j'ai eu sous les yeux, démontre que l'administration s'est préoccupée des inconvénients que je viens de signaler; car dans la maison nouvelle, il y aura un promenoir séparé pour chaque sexe.

En terminant ce paragraphe, je reconnais qu'il eût été désirable d'indiquer le nombre de vénériens traités dans les hôpitaux non spéciaux, pour donner un chiffre général qui présentât l'ensemble des malades pour la ville de Paris, mais malheureusement c'est un renseignement qu'il est impossible d'obtenir, par la raison la raison que les registres des hôpitaux ordinaires ne désignent pas la maladie sous son véritable nom, ainsi que je l'ai indiqué page 87. D'après mes évaluations, qui ne sont qu'approximatives, je crois cependant pouvoir affirmer qu'il y a environ un cinquième de ces malades qui reçoivent des soins dans les hôpitaux autres que Lourcine et le Midi.

3 ÉDIT., T. II.

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CHAPITRE XVIII

DES PRISONS CONSACRÉES A LA RÉPRESSION DES DÉLITS COMMIS PAR LES PROSTITUÉES.

§ 1. Quelques généralités sur ces prisons.

L'emprisonnement étant chez nous, et à l'époque actuelle, le seul moyen que l'on puisse mettre en usage pour maintenir les prostituées dans la ligne du devoir, et réprimer les désordres dont elles se rendent coupables, la question des prisons n'est pas sans importance pour une histoire générale de la prostitution.

Dans les temps anciens, les ordonnances sur la prostitution prononçaient également la détention contre les prostituées; mais nous ne savons pas ce qu'étaient les prisons, où elles se trouvaient placées, et si l'une d'elles était plus particulièrement qu'une autre consacrée aux prostituées. Tout me semble prouver qu'on les jetait pêlemêle avec les autres femmes dans ces horribles réduits, véritables tombeaux, où la mort était presque inévitable, et dont, à l'époque actuelle, nous pouvons avec peine nous faire quelque idée.

Ce fut Louis XIV qui fit bâtir à la Salpêtrière la première prison destinée à la correction des prostituées. Cette prison subsiste encore, et bien qu'elle ait changé de destination, on continue à la désigner dans la maison sous le nom de Force. Voici ce que j'ai pu recueillir sur le régime intérieur de cette

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