Page images
PDF
EPUB
[ocr errors]

ont une cause plus prochaine et plus immédiate, celle d'où elles découlent directement, et celle-ci est multiple. C'est ce qu'indique l'art. 2116, quand il nous dit que l'hypothèque « est ou légale, ou judiciaire, ou conventionnelle; » et l'art. 2117 complète l'indication, quand, en reprenant successivement les qualifications de l'article précédent, il ajoute :

1° Quant à l'hypothèque légale, que c'est celle qui résulte de la loi; par où il faut entendre que cette hypothèque a la loi pour principe, non pas seulement selon l'acception générale que nous venons de préciser, mais encore d'une manière principale et directe, en ce sens que l'hypothèque existe ici de plein droit au profit de certaines créances tellement favorables aux yeux du législateur qu'il a cru devoir y attacher la sûreté d'une hypothèque, indépendamment de toute manifestation de la volonté, par le créancier, d'obtenir cette sûreté, et, par l'obligé, de la consentir;

2° Quant à l'hypothèque judiciaire, que c'est celle qui résulte des jugements ou actes judiciaires; ce qui signifie qu'ici, encore indépendamment d'une manifestation de la volonté des parties et par l'autorité de la loi qui veut assurer l'exécution des décisions judiciaires, l'hypothèque résulte de tout jugement dont le dispositif condamne la partie à l'exécution d'une obligation, ou de tout aveu, de toute reconnaissance, de tout autre fait de même nature accompli devant les juges, constaté par eux, et impliquant l'existence d'une obligation;

3o Enfin, quant à l'hypothèque conventionnelle, que c'est celle qui dépend des conventions et de la forme extérieure des contrats; ce qui revient à dire que cette hypothèque, à la différence de l'hypothèque légale et de l'hypothèque judiciaire, ne peut exister que par l'accord des parties et en vertu de leurs consentements respectifs, pourvu, d'ailleurs, que cet accord et ces consentements soient constatés en la forme établie par la loi.

323. Du reste, l'hypothèque légale, l'hypothèque judiciaire, l'hypothèque conventionnelle, ont chacune leur section distincte dans le présent chapitre. C'est pourquoi, en suivant la marche tracée par la loi elle-même, nous nous en tenons ici à l'explication des termes par lesquels la loi à qualifié les causes diverses de l'hypothèque, réservant pour le commentaire des articles contenus aux trois sections qui vont suivre les développements que comporte chacune d'elles.

Notons seulement un point important qui tient encore à la cause des hypothèques, et sur lequel nous aurons des occasions fréquentes de revenir au cours de notre commentaire : nous voulons parler de la différence qui existe entre les diverses hypothèques sous le rapport de leur étendue, de leur portée, de la mesure dans laquelle elles affectent les biens de l'obligé.

L'hypothèque dont la cause est dans la convention des parties sera nécessairement spéciale. La loi n'admet d'hypothèque conventionnelle valable que celle qui, soit dans le titre constitutif de la créance, soit dans un acte authentique postérieur, déclare spécialement la nature et

la situation de chacun des immeubles appartenant actuellement au débiteur, sur lesquels il consent l'hypothèque de la créance. C'est en ces termes que l'art. 2129 (dont nous présentons plus loin le commen-taire) pose le principe de la spécialité, principe fondamental dans le régime hypothécaire, principe éminemment salutaire, d'une part, en ce qu'il ménage le crédit du débiteur et éloigne le concours, sur, un immeuble, de créances diverses, et dont le nombre même serait une cause de conflits entre les créanciers; d'une autre part, en ce qu'il permet de donner toute son efficacité à cet autre principe, également fondamental, de la publicité.

Mais quelque avantage que présente la spécialité, quelque désirable qu'il pût être d'en faire la règle absolue du régime hypothécaire, elle n'a été posée en principe que pour les hypothèques conventionnelles. Quant à l'hypothèque légale, elle n'a rien de spécial; la loi nous dit, au contraire, que le créancier qui a une hypothèque légale peut exercer son droit sur tous les ǹnmeubles appartenant à son débiteur, et sur ceux qui pourront lui appartenir dans la suite. (Art. 2122.) Et quant à l'hypothèque judiciaire, il en est de même; car la loi nous dit également que cette hypothèque peut s'exercer sur les immeubles actuels du débiteur et sur ceux qu'il pourra acquérir. (Art. 2123.)

Il y a donc, dans le système de la loi, des hypothèques générales et des hypothèques spéciales. Nous verrons ultérieurement les conséquences pratiques de cette division (voy. no 336 et suiv.); quant à présent, nous nous bornons à la constater, en ajoutant seulement, pour compléter nos indications touchant les causes de l'hypothèque, que la spécialité est propre à l'hypothèque procédant de la convention, du consentement exprès, de l'accord des parties, tandis que la généralité est le partage des hypothèques qui existent indépendamment de toute manifestation de la volonté des parties, soit que le législateur los fasso résulter directement de la loi, ce qui donne l'hypothèque qualifiée légale, soit qu'il les consacre comme résultant d'un acte judiciaire ou d'un jugement, ce qui donne l'hypothèque qualifiće judiciaire.

Ceci dit, il nous reste à déterminer la nature, le caractère et les effets de l'hypothèque; c'est en ceci particulièrement que nos articles donnent lieu à des observations importantes.

IV. 324. A cet égard, l'hypothèque doit être envisagée successivement en elle-même et au point de vue du droit qu'elle engendre.

Sous le premier rapport, les développements qui précèdent ont fait voir que l'hypothèque n'est pas une obligation principale. Elle est, en effet, selon l'expression de Loyseau (1), une obligation accessoire ou subsidiaire de la chose pour confirmer et assurer la promesse et obligation de la personne qui est débitrice. C'est là la nature de l'hypothèque ; et, soit qu'elle ait été donnée par le débiteur lui-même sur ses propres immeubles, soit qu'elle ait été donnée par un tiers sur des immeubles à lui appartenant pour garantir la dette du débiteur personnel, elle reste

(1) Voy. Loyseau (Du Déguerpissement, liv. 1, chap. 3, no 11).

[ocr errors]

toujours obligation accessoire. On aperçoit, sur ces scules observations, que cette première appréciation est particulièrement importante au point de vue de l'hypothèque conventionnelle. C'est, en effet, au sujet de l'hypothèqué qui a sa cause dans la convention des parties que s'élèvent les questions auxquelles donne lieu le caractère d'obligation purement accessoire appartenant à l'hypothèque; là qu'il y a à fixer la mesure dans laquelle l'accessoire suit le sort du principal, soit que l'hypothèque ait été donnée par le débiteur lui-même, soit qu'elle ait été consentie par un tiers; là qu'il y a à déterminer l'influence que peuvent avoir sur l'hypothèque les modalités dont l'obligation principale serait affectée, et, à cette occasion, quels sont la portée et le rang d'une hypothèque accédant à une créance conditionnelle, spécialement à un prêt à effectuer ou à un crédit ouvert. Nous réservons donc pour la troisième section de ce chapitre, et notamment pour notre commentaire des art. 2125 et 2132, les discussions auxquelles donne lieu le caractère ou la nature de l'hypothèque envisagée en elle-même.

325. Envisagée dans ses effets, l'hypothèque est un droit réel et indivisible. Ceci ressort des termes mêmes de la loi, du texte de l'art. 2114, qui, d'une part, exprime, au paragraphe premier, que l'hypothèque est un droit réel sur les immeubles affectés à l'acquittement d'une obligation, et qui, d'une autre part, traduisant, dans son paragraphe second, cette formule de Dumoulin, si souvent reproduite: « Est tota in toto, el in qualibet parte (1), » dit que l'hypothèque subsiste en entier sur tous les immeubles affectés, sur chacun et sur chaque portion de ces immeubles.

Mais il convient d'insister sur l'un et sur l'autre point: ils ont dans la matière une importance capitale, et l'un des deux, le second, a donné lieu à l'une des difficultés les plus ardues du régime hypothécaire.

V.326. L'hypothèque, disons-nous avec notre art. 2114, est un droit réel. Le privilége aussi, nous l'avons vu plus haut (no 25), est constitutif d'un droit réel et c'est ici l'un des points auxquels nous avons fait allusion tout à l'heure (no 319), quand nous avons dit que notre chapitre, bien que disposant en vue des hypothèques seulement, contient pourtant certaines énumérations qui conviennent aux priviléges grevant les immeubles, non moins qu'aux hypothèques.

327. Quoi qu'il en soit, notre article nous dit que l'hypothèque est un droit réel. Et, dès l'abord, nous rencontrons une question qui, bien qu'elle soit considérée comme de pure théorie, et comme ne présentant pas un intérêt pratique appréciable, a soulevé, cependant, une controverse des plus animées. Il s'agit de savoir dans quel sens doivent être entendues les expressions dont se sert le législateur. On a dit, d'un côté, que ces mots droit réel sont synonymes de ceux-ci, démembrement de propriété, et qu'ainsi, dans la pensée de la loi, l'hypothèque constitue un démembrement de la propriété, aussi bien que l'usufruit, l'usage, l'habitation et les services fonciers. La propriété complète d'une chose, dit-on dans ce sens, est le droit réel le plus complet, le droit de disposer

(1) Voy. Dumoulin (Extricat, labyrinthi divid, et individ., pars secunda, no 91). `

de cette chose de la manière la plus absolue, par conséquent d'en user, d'en jouir, de la détruire même, ou d'acquérir d'autres objets en l'aliénant; en un mot, d'en retirer toute l'utilité qu'elle peut procurer. Or, ši un droit réel particulier, quelle qu'en soit d'ailleurs la nature ou l'importance, s'établit sur le même objet au profit d'un autre que le propriétaire, il est évident que le droit de celui-ci ne subsiste plus dans toute sa plénitude, qu'une partie en a été détachée à son détriment, et, par suite, que la propriété a été réellement démembrée lorsque ce droit récl particulier en a été retiré. Ainsi raisonne M. Valette, dont l'opinion est admise par la majorité des auteurs (1).

D'un autre côté, Marcadé a soutenu que l'hypothèque n'est pas un jus in re, un droit dans la chose; que, par cela même, elle n'est pas un démembrement de la propriété, jus in re et démembrement de propriété étant, à ses yeux, deux expressions synonymes. Et, seul contre tous les auteurs, tant anciens que modernes, il s'est attaché, dans une de ces dissertations si vives qu'il avait coutume d'écrire, à établir ce système, que l'hypothèque serait simplement un jus ad rem immobilem, et qu'elle constituerait uniquement, pour le créancier, le droit d'agir contre l'immeuble, ad rem ou in rem immobilem, comme il agit contre le débiteur personnel, in personam, afin d'obtenir son payement (2).

Enfin, dans un système intermédiaire, on dit que si l'hypothèque est un droit réel, aussi bien que l'usufruit, l'usage, l'habitation et les services fonciers, elle n'est pas, cependant, comme l'usufruit, l'usage, l'habitation et les services fonciers, un véritable démembrement de la propriété. Tel est l'avis de M. Demolombe, qui, divisant les droits réels en principaux et accessoires, place l'hypothèque, avec les priviléges et le nantissement, dans la seconde catégorie, parce que, dit l'éminent jurisconsulte, ces sortes de droits ne morcellent ou ne fractionnent pas le droit de propriété, que sans doute ils l'enveloppent et l'étreignent, si l'on peut ainsi dire, mais que par là ils entravent l'exercice du droit bien plutôt qu'ils ne le divisent entre le propriétaire de l'immeuble et le créancier (3).

Quand même ce point de droit ne présenterait, au fond, que peu d'importance; quand même la question qu'il soulève serait dans les mots plus que dans les idées, il y aurait intérêt à s'y arrêter. Car, on l'a dit avec raison, ce ne sont pas choses indifférentes que la justesse et l'exactitude du langage juridique; dans une certaine mesure, elles concourent à la rectitude de l'idée; et peut-être que bien des diflicultés seraient aplanies, ou même ne se seraient pas produites en droit, si ceux qui en parlent la langue, et les maîtres eux-mêmes, avaient mis quelque sévérité à ne pas laisser s'y introduire des formes ambiguës ou des expressions im

(1) Voy. MM. Valette (n° 124), Duranton (no 241), Zachariæ (t. II, p. 98), Martou (no 690). Voy. encore Dumoulin (loc. cit.). Pothier, et MM. Delvincourt, Battur, Tarrible, Persil et Troplong, sans s'expliquer précisément sur la question, qualifient tous cependant l'hypothèque de jus in re, de droit dans la chose.

(2) Voy. Marcadé (t. II, no 360 ct 361).

(3) Voy. M. Demolombe (Cours de Code Napoléon, t. IX, no 471 et 472)."

propres qui y entretiennent le vague et parfois y répandent l'obscurité. D'abord il nous est impossible d'admettre la théorie de notre si regrettable antécesseur. Quelque effort qu'il ait pu faire, il n'a pas effacé ces expressions, droit réel, dont se sert la loi pour qualifier l'hypothèque, ni ce droit de suite qu'engendre l'hypothèque, et qui est si nettement indicatif de l'action réelle. Cos expressions, qui conviennent à tous les démembrements de la propriété, ne répondent donc en aucune manière à l'idée qui s'attache à ce jus in rem ou ad rem dont le législateur n'a parlé nulle part et auquel, cependant, Marcadé ramène toute sa théoric.

D'un autre côté, si avant que nous allions dans la pensée de la loi, nous n'y pouvons trouver la trace de la distinction des droits réels on principaux et accessoires, proposée par M. Demolombe. Sans doute, nous admettons bien que le droit réel qualifié hypothèque affecte la propriété autrement que les droits réels rangés par notre auteur dans la catégorie des droits réels principaux. Mais ces droits principaux eux-mêmes, qui tous constituent bien, aux yeux de M. Demolombe, de véritables démembrements du droit de propriété, n'agissent pas tous, cependant, sur la propriété, et ne la restreignent pas de la même manière. Par exemple, il est de toute évidence que lorsque l'usufruit, qui consiste à retirer de la chose, sans en altérer la substance, tout le bénéfice, toute l'utilité et tout l'agrément qu'elle peut procurer, est séparé de la propriété, le droit du propriétaire s'en trouve affecté et restreint tout autrement qu'il ne le serait par l'établissement, sur son fonds, de servitudes dont l'effet serait de lui enlever seulement le droit de disposer de sa chose, sinon d'une manière absolue, au moins partiellement et quant à certains actes. La servitude, cependant, est un démembrement du droit de propriété, aussi bien et au même titre que l'usufruit. Par où l'on voit qu'il ne suflit pas que l'hypothèque agisse sur le droit de propriété autrement que l'usufruit et les servitudes pour qu'on en doive conclure qu'elle ne constitue pas elle-même un démembrement de ce droit tout comme les servitudes et l'usufruit, La question est toujours de savoir si elle affecte la propriété et la restreint en une manière quelconque. Or, sur ce point, la loi fournit des données tellement précises que le doute ne nous semble pas possible.

Qu'est-ce, en effet, que la propriété? C'est, d'après l'idée qu'en donne l'art. 544 du Code Napoléon, la faculté de jouir et de disposer des choses d'une manière absolue et exclusive. Elle se résumo ainsi dans la triple. faculté de jouir, de disposer et d'aliéner, et, par cela même, elle implique le droit, pour le propriétaire, d'exclure tout acte ou toute entreprise qui pourrait faire obstacle à l'exercice de l'une ou de l'autre de ces facultés. Est-ce là la situation du propriétaire dont les immeubles sont grevés d'hypothèque? Evidemment non; car, ainsi que M. Valette en a fait la très-justo remarque, ce propriétaire est empêché de faire subir des modifications aux immeubles, en tant que ces modifications seraient nuisibles à l'hypothèque; car ce n'est pas à lui, mais plus particulièrement au créancier, qu'appartient désormais, du moins jusqu'à concur

« PreviousContinue »