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ciable ou non de la Cour des comptes, celui qui est chargé d'un maniement quelconque de deniers publics est nécessairement comptable dans le sens de notre loi Et cette doctrine a été récemment consacrée par la Cour de cassation, qui a vu dans un agent comptable des bâtiments civils en Algérie un comptable dans le sens des dispositions constitutives d'un privilége au profit du Trésor public, bien qu'un tel agent ne figure pas parmi les comptablés désignés dans l'art. 7 de la loi de 1807, et qu'il ne soit pas directement soumis à la Cour des comptes (1).

40. Le privilége du Trésor public a lieu sur tous les biens meubles des comptables, sur les fonds de cautionnement et sur certains immeubles. (L. 5 septembre 1807, art. 3 et 4.)- En ce qui touche le cautionnement, il conviendra de nous en occuper à l'occasion de la règle générale posée dans le no 7 de l'art. 2102. (Voy. infrà, au commentaire de cet article.) Mais nous avons à insister ici, et distinctement, sur les meubles et sur les immeubles.

41. Quant aux meubles d'abord, le privilége qui les affecte au profit du Trésor public est on ne peut plus général. Il est primé par d'autres priviléges, car la loi spéciale le place après les priviléges généraux et particuliers énoncés aux art. 2101 et 2102 Code Napoléon. (L. 5 septembre 1807, art. 2.) Mais en ce qui concerne son étendue, il est aussi complet que possible sur les meubles : la loi dit, en effet, par son art. 2, qu'il a lieu sur tous les biens meubles des comptables. Elle veut, en outre, par le même article, que le privilége ait lieu, même à l'égard des femmes séparées de biens, pour les meubles trouvés dans les maisons d'habitation du mari, à moins qu'elles ne justifient légalement que lesdits meubles leur sont échus de leur chef, ou que les deniers employés à l'acquisition leur appartenaient. Dans tout ceci, cependant, il convient d'apporter une juste mesure, et il ne faut donner ni trop ni trop peu à l'interprétation de la loi. Ainsi, d'une part, le privilége a lieu, même à l'égard de la femme séparée de biens, pour les meubles trouvés dans les maisons d'habitation du mari. Nous concluons de là que le privilége n'aurait pas lieu pour les meubles que la femme aurait achetés en son nom et qu'elle aurait déposés ailleurs que dans la maison d'habitation de son mari, sauf, dans ce cas, à l'administration à faire tomber la présomption de propriété qui milite en faveur de la femme et fait obstacle à l'exercice du privilége du Trésor. Mais nous n'en concluons pas que l'habitation du mari doive s'entendre exclusivement de la maison qu'il habite réellement. Ainsi, telle maison appartient à la femme séparée de biens ou a été louée en son nom, le mari ne l'habite pas en fait, mais il a le droit de l'habiter; cela suffit : et si des meubles sont trouvés dans cette maison, le Trésor y pourra exercer son privilége, non moins que sur ceux qui se trouveraient dans la maison réellement habitée par le comptable (2). Au fond, cela s'induit, d'ailleurs, du texte même de la loi : ce n'est pas sans raison

(1) Req.. 5 mars 1855 (Dalloz, 55, 1, 251).

(2) Conf. MM. Persil (sur l'art. 2098), Duranton (t. XIX, no 234).

qu'en statuant ainsi qu'elle l'a fait, elle a parlé au pluriel des maisons d'habitation du mari. — D'une autre part, le privilége n'a lieu, même à l'égard de la femme séparée de biens, que sous la réserve, en faveur de celle-ci, de prouver légalement que les meubles lui appartiennent. Nous n'en concluons pas qu'il faille nécessairement que la femme soit séparée de biens pour qu'elle soit admise à jouir de la réserve faite par la loi, c'est-à-dire à prouver sa propriété. Sans doute la femme non séparée parviendra bien plus difficilement que la femme séparée à faire la preuve relativement à des meubles qui se trouvent confondus avec ceux de son mari, et c'est pour cela que la loi n'a parlé que de la femme séparée. Mais enfin, elle pourra peut-être faire cette preuve, et il est clair que la loi n'a pas pu vouloir lui interdire même de le tenter (1)..

42. Par rapport aux immeubles, le privilége du Trésor n'est pas, il s'en faut de beaucoup, général comme par rapport aux meubles. Il est limité: 1° aux immeubles acquis à titre onéreux par les comptables postérieurement à leur nomination; 2° à ceux acquis au même titre, et depuis cette nomination, par leur femme même séparée de biens, à l'exception toutefois des acquisitions à titre onéreux faites par les femmes lorsqu'il sera légalement justifié que les deniers employés à l'acquisition leur appartenaient. (Art. 4.) Ainsi les immeubles qui appartenaient au comptable avant sa nomination sont affranchis du privilége; le Trésor n'a sur ces immeubles qu'une hypothèque légale dans les termes des art. 2121 et 2134. (Voy. Comm. de ces articles et l'art. 6 de la loi du 5 sept. 1807.) - D'ailleurs le privilége lui-même tel qu'il est établi par la loi se conserve par les moyens indiqués aux art. 2106-2113 (ce que nous expliquons en commentant ces articles); et, en aucun cas, il ne peut préjudicer: 1o aux créanciers désignés dans l'art. 2103 du Code Napoléon, lorsqu'ils ont rempli les conditions prescrites pour obtenir privilége; 2o aux créanciers désignés aux art. 2101, 2104 et 2105, dans le cas prévu par le dernier de ces articles; 3° aux créanciers du précédent propriétaire qui auraient, sur le bien acquis, des hypothèques légales indépendamment de l'inscription ou toute autre hypothèque valablement inscrite. (Art. 5.)

Telle est la loi : ici encore il ne faut donner ni trop ni trop peu à l'interprétation.

Ainsi, les immeubles grevés du privilége sont ceux qui ont été acquis à titre onéreux, parce que la loi suppose que l'acquisition a été ou a pu être faite avec les deniers de l'Etat. Donc, le privilége ne pèsera pas sur l'immeuble acquis à titre gratuit ou provenant d'un échange fait sans soulte ni retour à la charge du comptable; mais au contraire il pèsera sur les immeubles qui procéderaient d'une libéralité avec charges, si les charges sont telles qu'elles puissent être considérées comme constitutives d'un prix (2).

(1) Conf. MM. Persil (loc. cit.), Dalloz (v° Priv. ct hyp., chap. 1, scct. 2, art. 3, n° 6).

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(2) Req., 5 mars 1855 (Dev., 55, 1, 251; Dall., 55, 1, 127).

Ainsi encore, le privilége atteint non-seulement l'immeuble acquis par le comptable lui-même, dans les conditions déterminées, mais encore celui que sa femme, même séparée de biens, aurait pu acquérir : la femme est en ceci, aux yeux de la loi, une personne interposée; et comme la loi suppose que l'acquisition, faite en apparence par la femme, est en réalité pour son mari, elle veut, sauf la preuve contraire qu'elle réserve à la femme, que l'immeuble acquis demeure grevé du privilége. La loi ne parle que de la femme. Donc la présomption ne pourra être opposée qu'à elle; et si un immeuble était acquis par tout autre, par le fils du comptable, par exemple, par son père, par un proche parent, le bien acquis resterait entre les mains de l'acquéreur exempt du privilége. Mais pourtant si l'acquéreur n'a été que le prêtenom du comptable, si, en réalité, l'immeuble a été acquis pour celui-ci, il faudra bien que la fraude soit déjouée et que la loi ait son effet (1): seulement, comme, à l'inverse du cas précédent, la présomption ici est en faveur de l'acquéreur, ce sera au Trésor qu'incombera la charge de la preuve, et il n'aura son privilége sur l'immeuble acquis qu'autant que l'interposition de personne et la fraude seront établies.

Ainsi enfin, le privilége porte seulement sur les immeubles acquis depuis la nomination du comptable; car les acquisitions antérieures ne peuvent pas avoir été faites avec les fonds de l'Etat. Donc le privilége du Trésor ne s'étendra pas à l'immeuble que le comptable aurait payé après sa nomination, si, en fait, il l'avait acquis avant d'être nommé. Car d'une part la vente est parfaite entre les parties dès qu'on est convenu de la chose et du prix, et la propriété est acquise quoique le prix n'ait pas encore été payé (Code Nap., art. 1583); et, d'une autre part, la présomption de la loi ne saurait s'élever au même degré contre celui qui, ayant acquis avant d'être comptable, peut-être avant de savoir qu'il le deviendrait, a dù se fier à ses propres ressources pour solder le prix de son acquisition (2) Mais, au contraire, le privilége du Trésor grèverait l'immeuble acquis, si l'acquisition même se plaçait entre la nomination du comptable et son entrée en fonctions, le prix fût-il payé même avant l'entrée en fonctions. C'est l'opinion à peu près unanime (3); M. Mourlon, cependant, y voit de la difficulté, et il reprend assez vivement les auteurs pour l'avoir admise (4). A ses yeux, l'établissement du privilége est subordonné à trois conditions: l'acquisition à titre onéreux, l'acquisition postérieure à la nomination, et l'acquisition par un comptable. Or, dit-il, si les deux premières conditions se réalisent ici, la troisième fait défaut, car le titre de comptable est par essence subordonné à la perception des fonds de l'Etat, ce qui n'a pas lieu dans l'espèce supposée. M. Mourlon se trompe; et il y a quelque subtilité, ce nous semble, à séparer ainsi le titre et l'exercice de la fonction. Il

(1) Limoges, 22 juin 1808. Conf. MM. Troplong (no 92), Persil (art. 2098, no 6). (2) Voy. M. Troplong (loc. cit.). — Junge MM. Persil (sur l'art. 2098, no 9), Dalloz (loc. cit.).

(3) Voy. les auteurs cités à la note précédente.

(4) Examen crit. et prat., no 45.

faut dire, au contraire, que c'est le titre même qui constitue le fonctionnaire. Et comme, une fois nommé, on est notaire même avant d'avoir instrumenté, juge avant d'avoir jugé, avoué avant d'avoir postulé, avocat avant d'avoir donné son premier avis ou plaidé sa première cause, de même, une fois nommé, on est receveur général ou particulier, même avant d'avoir pris possession de sa recette. Il y a, d'ailleurs, si peu d'intervalle entre la nomination et l'entrée en fonctions, que la présomption de la loi peut bien militer contre celui qui est nommé et qui ne gère pas encore tout comme elle milite contre le comptable en exercice; et il y a un véritable intérêt à ce qu'elle milite contre lui, car qui assure que celui qui choisit le moment où il vient d'être nommé pour acquérir, n'a pas payé à l'aide d'un emprunt fait dans la pensée de rembourser avec ces fonds de l'Etat qu'il ne perçoit pas encore aujourd'hui, mais qu'il est assuré de percevoir demain?

VII.43. Privilége pour les frais de justice criminelle. — Unc autre loi rendue aussi le 5 septembre 1807, à la même date par conséquent que la précédente, organise le mode de recouvrement des frais de justice au profit du Trésor public, en matière criminelle, correctionnelle et de police. Aux termes de cette loi, le Trésor public a un privilége général sur les meubles et effets mobiliers du condamné, lequel privilége ne s'exerce néanmoins qu'après les priviléges désignés aux art. 2101 et 2102 du Code Napoléon, et les sommes dues pour la défense personnelle du condamné (art. 2); le privilége porte ensuite sur les immeubles; mais il n'a lieu qu'à la charge de l'inscription, dans les deux mois à dater de la condamnation, passé lequel délai les droits du Trésor ne s'exerceront qu'en conformité de l'art. 2113 du Code Napoléon; et il ne vient qu'après: 1o les priviléges des art. 2101 et 2103; 2o les hypothèques légales antérieures au mandat d'arrêt ou au jugement de condamnation; 3° les autres hypothèques en tant que les créances auront été inscrites avant le privilége du Trésor, et résulteront d'actes ayant date certaine antérieure auxdits mandat d'arrêt ou jugement; 4o enfin, les sommes dues pour la défense personnelle du condamné. (Art. 3 et 4.) Sur quoi quatre points sont à considérer : l'étendue du privilége, son objet, son rang, et sa conservation sur les immeubles.

44.-La loi affecte distinctement au privilége du Trésor les meubles et les immeubles du condamné. Mais le recours du Trésor sur les immeubles n'est que subsidiaire. Les créanciers de l'art. 2101, dont le privilége s'étend aussi aux meubles et aux immeubles (art. 2104), ne l'exercent sur les immeubles que subsidiairement (art. 2105). Il répugnerait assurément que le privilége du Trésor, moins favorable que celui de ces créanciers, fût traité cependant plus favorablement sous ce rapport. On a, d'ailleurs, fait remarquer très-justement que l'intention du législateur s'est manifestée très-nettement en ce sens dans les dis'cussions qui ont précédé l'art. 2104 du Code Napoléon (1). Cet ar

(1) Voy. MM. Persil (art. 2104, no 1), Maleville (t. IV, p. 255), Dalloz (loc. cit., n° 12), Troplong (no 94 ter).

ticle, en effet, mentionnait dans sa rédaction primitive le privilége du Trésor public, à côté de celui des créances de l'art. 2101, comme devant s'étendre aux meubles et aux immeubles; en sorte que, lorsque l'art. 2105 venait ensuite déclarer que le recours ne serait que subsidiaire sur les immeubles, il faisait une déclaration commune au privi-, lége du Trésor et à celui des créanciers de l'art. 2101. A la vérité, le privilége du Trésor a cessé de figurer dans l'art. 2104; mais la pensée des rédacteurs de la loi subsiste dans toute sa force au point de vue dont il s'agit ici, car on sait que le retranchement, absolument étranger à ce point de vue, n'a été fait que dans le but de réunir tous les droits du Trésor public dans un texte général. (Voy. suprà, no 34.) Ces idées paraissent avoir été contestées devant la Cour de Nancy, mais sans succès, car la prétention de l'administration a été repoussée tout d'une voix, selon l'expression de M. Troplong, par un arrêt du 12 juillet 1834, qui, ayant été déféré ensuite à la Cour de cassation, a été suivi d'un arrêt de rejet par lequel il est décidé que le privilége du Trésor pour le recouvrement des frais de justice s'exerce de la même manière que ceux de l'art. 2101; et, en conséquence, que le Trésor ne peut recourir sur les immeubles du débiteur qu'autant qu'il n'a pas négligé de faire valoir son privilége sur le mobilier (1).

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45. Le privilége a pour objet, d'après les termes mêmes de la loi, les frais de justice en matière criminelle, correctionnelle et de police. Ce n'est donc que pour les frais exposés que le privilége est établi; et, par suite, il ne faut pas l'étendre aux amendes prononcées contre le condamné. La créance du Trésor, pour cet objet, sera garantie par une hypothèque judiciaire, car elle est née d'un jugement, ce qui la place sous le principe posé par l'art. 2123 duCode Napoléon (2). Mais de privilége, soit sur les meubles, soit sur les immeubles, il n'en peut être question, puisque les amendes aujourd'hui constituent des peines, non des frais, et que les termes de la loi excluent l'idée que le privilége ait pour objet autre chose que les frais (3). A plus forte raison le privilége ne s'étendra-t-il pas aux indemnités qui peuvent être allouées aux parties civiles. Il en eût pu être autrement, sous la loi du 18 germ. an 7, relativement au remboursement des frais de justice en matière criminelle, parce que l'art. 5 de cette loi disposait que ces indemnités seraient prises sur les biens des condamnés, avant les frais adjugés à la République. Mais cette loi a été abrogée en ce point par celle du 5 pluviôsc an 13, qui, au contraire, met les parties civiles dans cette position d'acquitter elles-mêmes ou de rembourser les frais de poursuite, sauf leur recours contre les condamnés. Elles ne peuvent donc prétendre à être colloquées, pour les indemnités, avant les frais adjugés au Trésor

(1) Rej., 22 août 1836 (J. du P., à sa date; Dev., 36, 1, 625; Dall., 36, 1, 447). ́ (2) Voy. MM. Duranton (t. XIX, no 236) et Mourlon (Examen crit. et prat., n° 54).

(3) Req., 7 mai 1816; Paris, 3 fruct. an 12; Rouen, 13 oct. 1806. - Conf. Grenier (t. II, no 416) et MM. Persil (art. 2098, no 20), Dalloz (loc. cit., no 9) Troplong (no 95 ter).

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