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débiteur et qui était sur le point d'être prescrit, ceux de la défense à la demande en rescision d'une vente d'immeubles (1), tous ces frais et tous autres déboursés dans des cas analogues constituent des créances privilégiées dans le sens de notre article. La cause de préférence s'y montre en effet de la manière la plus nette: le créancier qui a fait l'avance des frais a fait évidemment l'affaire de tous, en conservant ou en utilisant le,gage commun, et en procurant ainsi aux autres créanciers le moyen d'exercer leurs droits à la réalisation desquels ils ne pouvaient atteindre sans subir la nécessité de poursuites, et par conséquent de dépenses qu'ils auraient dû faire eux-mêmes, sans l'intervention de celui qui les a faites dans l'intérêt d'eux tous.

Mais, on le comprend, autant il est juste que celui qui a fait l'avance des frais soit payé avant les créanciers dont il a fait l'affaire, autant il serait inique que celui qui a agi exclusivement dans son propre intérêt, par exemple, pour faire reconnaître sa créance ou la rendre exécutoire, vînt prélever sur le gage commun de quoi se payer des frais qu'il a dû faire. Que ces frais lui soient alloués comme accessoires de sa créance, et qu'à ce titre ils suivent le sort de la créance elle-même ct soient privilégiés au même rang que la créance si la créance est privilégiée, rien de mieux! Mais qu'ils soient privilégiés au premier rang, dans les termes de notre article, voilà ce qui n'est pas possible. Ces frais sont nés d'un intérêt particulier, individuel : la cause de préférence manque absolument (2).

Il y a mieux: des frais avancés par un créancier pourraient profiter à d'autres créanciers encore que lui, sans que pour cela le privilége établi par notre article s'y rattachât d'une manière absolue. Il faut, pour que le privilége se produise sans réserve, que les frais aient profité a tous les créanciers. S'ils n'avaient eu qu'une utilité relative, s'ils avaient profité à quelques-uns et non à d'autres, ils seraient privilégiés d'une manière relative aussi, c'est-à-dire que le privilége existerait vis-à-vis des créanciers qui auraient profité des frais, et n'existerait pas vis-à-vis des autres (3). L'art. 662 du Code de procédure nous présente une application de cette règle lorsqu'il dit que les frais faits pour opérer la distribution du prix de vente des meubles saisis sur un locataire à la requête de ses créanciers ne viennent qu'après la créance du locateur. Si le locateur prime, dans ce cas, la créance des frais faits pour opérer la distribution du prix de vente (par conséquent la créance de frais de justice), c'est que le locateur pouvant, d'après l'art. 661 du Code de procédure, faire appeler la partie saisie et l'avoué plus ancien en référé devant le juge-commissaire, pour faire sta

(1) Riom, 5 fév. 1821; Aix, 12 janv. 1838. — Voy. encore Bourges, 9 juin 1846 (Dalloz, 46, 4, 423).

(2) Limoges, 9 janv. 1841; Bordeaux, 6 juill. 1841; Rouen, 2 déc. 1841; Paris, 27 nov. 1845 (Dall., 46, 4, 423); Orléans, 26 juill. 1849 (Dev., 50, 2, 50; Dall., 50, 2, 29).

(3) Voy. l'arrêt déjà cité d'Orléans, 26 juill. 1849. (Dalloz, 48, 5, 304).

Junge Rej., 8 mars 1848

tuer préliminairement sur son privilége, il est vrai de dire que les frais faits pour opérer la distribution ne tournent pas à son profit. - L'article 768 fournit un autre exemple, lorsque, à propos des contestations à l'ordre, il dit que « les frais de l'avoué qui aura représenté les créanciers contestants seront colloqués, par préférence à toutes autres créances, sur ce qui restera de deniers à distribuer, déduction faite de ceux qui auront été employés à acquitter les créances antérieures à celles contestées. » C'est parce que les créanciers antérieurs sont absolument étrangers au conflit qui s'élève entre celui dont la collocation est contestée et tous les créanciers qui viennent après et demandent la réformation de l'ordre en ce qui touche cette collocation, que les frais ne sont pas privilégiés à leur égard.

68. Sous le second rapport, c'est-à-dire en ce qui concerne l'étendue du privilége, la limitation qui doit être faite aux termes généraux de la loi s'induit de la nature même des choses. La loi dit que le privilége pour frais de justice frappe sur la généralité des biens du débiteur; et le privilége aura ce caractère de généralité toutes les fois que les frais auront été exposés en vue de protéger la généralité du patrimoine, et l'auront protégée dans l'intérêt commun des créanciers. Mais il va de soi que, s'ils ont protégé seulement une fraction du patrimoine, le privilége ne devra pas s'étendre au delà de cette fraction. Par exemple, des frais sont faits pour établir un séquestre, et ensuite, par le séquestre établi pour son administration, le privilége embrassera la généralité des biens. Mais si un mobilier est saisi et vendu, comment serait-il possible de déclarer les frais de saisie et de vente, privilégiés sur un autre mobilier appartenant au même propriétaire et existant ailleurs? Si des frais de justice sont exposés à raison d'un mobilier, comment pourrait-on supposer raisonnablement que ces frais deviendront une cause de préférence sur des immeubles auxquels ils sont absolument étrangers? Il est donc clair que, quelles que soient les expressions de la loi, ce n'est pas dans un sens absolu que doit être admise l'idée que les frais de justice constituent un privilége général. Tout ici dépendra des circonstances, et le privilége sera général si les frais ont procuré un avantage général; dans le cas inverse, et si l'avantage procuré est partiel, le privilége ne sera que spécial (1).

69. Du reste, des frais peuvent être considérés comme frais de justice, et par conséquent comme privilégiés dans les termes de notre article, bien qu'ils n'aient pas été exposés devant un tribunal. Par exemple, les frais d'apposition et de levée de scellés, les frais d'inventaire, les frais d'administration et de compte, soit de bénéfice d'inventaire (2), soit de faillite (3), soit des biens d'un condamné (4),

(1) Bordeaux, 28 mai 1832; Cass., 28 juill. 1848 (Dalloz, 49, 1, 328). — Voy. aussi MM. Zachariæ (t. II, p. 101), Troplong (no 131), Valette (no 23), Taulier (t. VII, p. 121).

(2) Rej., 11 août 1824.

(3) Paris, 28 janv. 1812; Rouen, 2 déc. 1841.

(4) Poitiers, 1er juill. 1842.

la maladie dont le débiteur était mort. Mais la loi actuelle ne dit rien d'assez précis pour que la même solution doive être admise aujourd'hui; et bien que cette solution ait des partisans nombreux (1), nous adoptons de préférence l'opinion contraire, non-seulement parce que, jusqu'à un certain point, les termes de la loi s'y prêtent, les mots frais de la dernière maladie ayant un sens moins restreint que ces autres expressions, frais de dernière maladie, employés dans l'art. 385 du Code Napoléon, mais encore parce qu'il nous paraîtrait souverainement injuste de traiter plus rigoureusement le médecin qui aurait sauvé son malade que celui qui n'aurait pas pu triompher de la maladie; et encore parce qu'en définitive le médecin qui a compté sur une rémunération péniblement et légitimement acquise, ne peut pas être privé de sa créance par l'événement d'une faillite ou d'une déconfiture (2). M. Troplong (t. I, no 137) n'admet cette solution que dans le cas où il est constant que la maladie dont le débiteur est guéri était encore dans toute sa gravité au moment de la faillite ou de la déconfiture. Mais on ne voit pas de motif à cette distinction: ou la loi n'accorde le privilége que pour la maladie dont le débiteur est mort, et dans ce cas il est évident que la faillite ou la déconfiture déclarée pendant la maladie ne saurait donner lieu au privilége dès qu'on suppose la guérison du débiteur; tout au plus pourrait-on dire alors que l'issue de la maladie étant incertaine au moment de la faillite ou de la déconfiture, le privilége doit être colloqué conditionnellement pour se réaliser, mais seulement dans le cas où le débiteur viendrait à succomber, et c'est ce qu'enseigne M. Valette (3); ou la loi doit s'entendre d'une manière générale et comme accordant le privilége pour la maladie précédant tout événement qui donne lieu à la distribution de deniers, et, dans ce cas, la faillite ou la déconfiture détermine le privilége tout aussi bien que la mort, sans qu'il y ait à rechercher quel était le degré de la maladie du débiteur quand la faillite ou la déconfiture a éclaté. Nous n'entrevoyons pas, quant à nous, de milieu possible entre ces deux solutions; et si la première, qui dominait dans l'ancienne jurisprudence, a pu se présenter, par ce motif même, à la pensée des rédacteurs du Code, il est vrai de dire, cependant, que les rédacteurs du Code ne se sont pas expliqués d'une manière assez nette pour qu'on doive se rattacher à cette solution encore aujourd'hui, et rejeter la seconde, que la logique, la justice et la raison, avouent mieux évidemment.

77. Mais il y a une mesure dans laquelle les frais de la dernière maladie sont privilégiés. Notre article dit bien que les frais auxquels le privilége s'applique sont les frais quelconques de la dernière maladie; cependant l'expression absolue qu'il emploic n'a trait qu'aux personnes

(1) Voy. un jugement du tribunal de commerce de la Seine du 28 janv. 1834 (Dall., 34, 3, 52), MM. Grenier (t. If, no 302), Pardessus (t. III, no 1104), Valette (no 27), Zacharim (t. II, p. 102).

(2) Voy. MM. Dalloz (loc. cit., no 19), Pigeau (t. II, p. 191), Duranton (t. XIX, no 54), Taulier (t. VII, p. 124), Mourlon (loc. cit.).

(3) Voy. M. Valette (loc. cit.).

de qui les secours peuvent émaner. Il en résulte que les médecins, les chirurgiens, les pharmaciens, les garde-malades, les sages-femmes, tous ceux en un mot qui sont appelés à donner des secours à une personne malade, jouissent du privilége pour la créance dont le principe est dans le secours qu'ils ont donné. Mais notre article ne va pas au delà; ct notamment il n'en faudrait pas conclure que, quelle qu'eût été la durée de la dernière maladie, le médecin, le pharmacien, auraient un privilége pour tout ce qui leur serait dû à raison de cette maladie. A cet égard, la disposition de notre article doit être mise en rapport avec celle de l'art. 2272 du Code Napoléon; et comme ce dernier article déclare prescrite par le délai d'un an l'action des médecins, chirurgiens et apothicaires, pour leurs visites, opérations et médicaments, il s'ensuit que le privilége doit protéger la créance du médecin, du chirurgien, du pharmacien, tout au plus pour un an, le surplus de la créance étant prescrit à l'égard des autres créanciers, qui puisent dans l'art. 2225 du Code Napoléon le droit d'opposer la prescription, encore même que le débiteur y renonce. Ceci coupe court aux diflicultés qui se sont élevées entre les auteurs sur le point de savoir quelle doit être l'étendue du privilége dans le cas où le débiteur a été atteint d'une maladie chronique qui s'est prolongée pendant plusieurs années, ceux-ci paraissant croire que le privilége, alors, embrasse toutes les dépenses de la maladie (1), ceux-là déclarant que le privilége est dû seulement à partir de l'époque où la maladie a pris un caractère particulièrement dangereux (2). La situation du médecin qui donne ses soins et celle du pharmacien qui fournit les médicaments doit être la même, quel que soit le caractère de la dernière maladie; aiguë ou chronique, cette dernière maladie fait naître une créance que la loi déclare privilégiée; et s'il ne faut pas que ce privilége puisse être exorbitant, au préjudice des autres créanciers du malade, comme il le pourrait être dans le premier système, il ne faut pas non plus réduire en quelque sorte à néant la créance à laquelle il s'attache, comme cela pourrait arriver dans le second système, par exemple si la maladie n'avait pris de gravité que quelques jours avant l'événement donnant lieu à la distribution des deniers. La combinaison de notre article avec l'art. 2272 supprime ces conséquences exagérées en sens inverse; et nous nous y rattachons, sauf, bien entendu, les modifications qui peuvent résulter des conventions particulières de payement entre le médecin ou le pharmacien et le malade, pour la détermination de l'exigibilité de la dette, et, par suite, du point de départ de la prescription. (Voy., à cet égard, les applications faites par Marcadé dans son Commentaire-Traité de la Prescription, art. 2274-2278, p. 235 ct

suiv.).

78. Dans la mesure que nous venons d'indiquer, le privilége embrasse toutes les dépenses faites pendant la dernière maladie, quelle que soit l'importance de ces dépenses; mais il y faut mettre cette res

(1) Voy. MM. Troplong (no 137 et suiv.), Duranton (t. XIX, no 54). (2) Voy. MM. Persil (art. 2101, 3, no 4), Zachariæ (t. II, p. 103), Dalloz (loc. cit., no 7), Delvincourt (t. III, p. 250, notc), Valette (no 27).

triction que les dépenses auront été exigées par l'état du malade et pour les besoins de la maladie. Celles qui auraient eu leur cause dans des caprices à satisfaire, dans de pures fantaisies, ne doivent pas, selon nous, jouir d'un privilége qui peut bien s'étendre, sans réserve, à toutes les dépenses que la maladie a rendues nécessaires ou même utiles, mais qui ne doit pas aller au delà. Quelques auteurs enseignent néanmoins que même ce qui a été donné à la fantaisie pure, au caprice, a droit au privilége, sinon pour le tout, au moins pour ce qui n'est pas hors de proportion avec la condition du malade (1). Mais c'est là ajouter à la loi; en outre, c'est donner beaucoup à l'arbitraire des appréciations : à co double titre, cette opinion doit être rejetée.

V.79. Des salaires des gens de service. — Le privilége des gens de service, comme tous ceux qu'énumère notre article, a son origine dans le passé. Bourjon, dont les rédacteurs du Code paraissent avoir copié la doctrine, nous dit que « quant au privilége accordé aux domestiques pour les gages à eux dus, il a lieu pour l'année échue et la courante, leur action se prescrivant par le laps d'un an, suivant l'art. 127 de la coutume formée sur l'ord. de 1510 (2). » D'après cela, il ne faut pas trop s'arrêter à l'assertion de Pothier (quoiqu'elle paraisse assez généralement acceptée) (3), ou du moins à l'assertion de celui qui, après la mort de Pothier, a mis en ordre ses notes sur la procédure civile, et qui, en se référant à un acte de notoriété du Châtelet de Paris, du 4 août 1692, affirme que le privilége dont s'agit n'était établi qu'à Paris, et n'était accordé qu'aux domestiques de ville (4). 11 résulte de la formule de Bourjon que le privilége était consacré en faveur des domestiques en général, et qu'il avait lieu non-seulement à Paris, mais encore dans le ressort de la coutume qui, on le sait, étendait son empire sur une grande partie du territoire de la France coutumière. Du reste, l'acte de notoriété auquel renvoic Pothier ne dit rien de contraire, car, en énumérant les diverses créances qu'il était d'usage, au Châtelet, de payer par préférence dans la distribution du prix des meubles et deniers d'une succession, il énonce, d'une manière non moins générale que Bourjon, « les gages des domestiques pour une année échuc au jour du décès, si tant il y a (5). » Et un arrêt de la Cour de Paris, adoptant ces données, déclare que, dans la coutume de Paris (par conséquent dans tout le ressort de la coutume), les domestiques avaient un privilége non-seulement sur le mobilier, mais encore subsidiairement sur le produit des immeubles pour leurs gages et salaires (6). Ainsi, en définitive, notre article confirme une pratique ancienne, assez

(1) Voy. MM. Persil (art. 2101, § 3, no 1), Dalloz (loc. cit., no 7), Zachariæ (t. II, p. 102 et 103).

(2) Bourjon (Droit commun, liv. 6, tit. 8, no 71).

(3) Voy. MM. Troplong (no 142) et Valette (no 29).

(4) Pothier (Tr. de la proc. civ., no 492).

(5) Voy. l'Acte de notoriété, à sa date, dans la collection de Denisart (p. 108 et 109).

(6) Paris, 14 thermidor an 11.

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