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A l'afpect de ces préparatifs de Guerre, mêlés de part & d'autre à des négociations de paix, la crainte & l'efpérance ont balancé l'attente des peuples; & comme fi la querelle de deux Nations avoit été celle de toutes les autres, prefque tous les Souverains ont partagé leur follicitude entre le foin de la terminer par les voyes de conciliation, & celui de fe prémunir contre les événemens, qu'au défaut du fuccès de ces voyes, elle pouvoit amener au préjudice de la tranquillité publique. Toute grande affaire, dans chaque Cour a femblé faire place à l'attention celle-ci s'eft attirée que aux foucis qu'elle a donnés & aux mefures qu'elle a fait prendre. L'Election du Roi des Romains non-feulement en a été fufpendue, elle a paru même oubliée. La Cour de Vienne n'a rien vû pour elle de plus preffant, que d'employer d'une part fes bons offices pour maintenir, par l'accommodement des parties, une paix néceffaire à l'éxécution de fes grands projets ; & d'obvier de l'autre aux fuites de la Guerre, en muniffant de Magafins & de Troupes la Bohème, l'Italie, & fur-tout les Païs-Bas, d'autant plus à garder, que la Barrière les garde moins. Les démêlés fur l'OoftFrife & fur le réfidû des Capitaux de la Silefie n'ont tenu qu'une place prefque imperceptible dans les nouvelles publiques; & les Puiflances qu'ils intéreffent n'en ont paru guéres plus occupées que le public. Le différend entre le Roi de Pruffe & le Roi de Pologne Electeur de Saxe, quoique plus nouveau, &, par cette raison , plus remarquable l'a moins été cependant que les mefures que S. M. Pruffienne a prifes rélativement,( comme on le fuppofe) à celui de la France avec l'Angleterre. Quelque attention que ce Monarque fe foit attiré, cette Année , par tout ce qu'il a ajoûté de foins à ceux qu'il avoit déja pris pour l'ordre & pour la profpérité de fes Etats, par les voyages qu'il a faits & les mouvemens qu'il s'est donnés pour en faire fleurir le Commerce, en y attirant ceux d'entre les Négocians étrangers, dont l'opulence acquife dans cette profeffion peut fervir de reffource & d'éguillon, comme leurs talens de modéle; ce qu'on a fur-tout remarqué dans lui, & ce qui a paru l'occuper principalement lui-même, ç'a été le foin d'augmenter fes Troupes & celui de les exercer : foins fi importans à fes yeux, que quand la maladie les a interrompus, l'empreffement de les reprendre a dévancé le rétabliffement de fa fanté,& fervi de premier exercice à fa convalescence: foins cependant, dont on ne comprend la néceffité, qu'autant qu'on les rapporte aux événemens que peut amener la grande querelle qui fixe l'attention de l'Europe. Mêmes précautions de la part du Roi de Naples ont fait, avec la même vraisemblance, fuppofer dans ce Souverain le même motif; fans quoi, la paifible fituation où il se trouve, & la fécurité où l'on le croit à tout autre égard, feroit que le nombre de fes Troupes, fi fort accrû cette année & fi fupérieur à ce qu'en eurent jamais fes Prédéceffeurs, ne paroîtroit qu'un vain étalage de puiflance, & les fomes que l'Espagne y a contribuées, qu'une fuperfluë rofufion. Mais la Cour de Madrid empêche de s'y

méprendre ; & le but, affes connu, des précautions qu'elle a prifes de fon côté aide à difcerner à quoi vifent celles de la Cour de Naples. En laillant agir entre la France & l'Angleterre la médiation du Portugal, plus exempte de foupçon que la fienne, l'Espagne n'en a pas moins fait de leur différend l'objet principal de fon attention ; & de fes fuites, trop vraitemblables, le motif de fes armemens fur mer, de l'augmentation de fes Troupes de terre, & de l'envoi de fes Vaiffeaux de Guerre dans le Nouveau Monde,fi-non pour la défenfe des Colonies Françoifes, au moins pour la fûreté des fiennes; bien perfuadée, que dans l'intention & felon le plan des Anglois, l'invafion des unes ne feroit que le prélude de celle des autres. La Hollande, ou dans la même perfuafion, puifqu'elle a le même péril à craindre pour ce qu'elle pofféde en Amérique, ou par le feul afpect de la fituation de fes Etats en Europe, de la difficulté de demeurer neutre, & des inconvéniens de ne l'être pas entre deux Puiffances fi formidables, s'eft fi fort occupée de leur démêlé, que cet objet étranger l'a comme endormie fur fes arrangemens domeftiques, en a retardé l'expédition, & lui a fait renvoyer d'une Affemblée à l'autre les réfolutions qu'ils exigeoient d'elle. Son embarras fur le choix de mefures qui ne puffent la rendre fufpecte à aucun parti, ne lui en a laiffé prendre aucune qui eût dequoi la raffurer, fi fa neutralité ne lui fervoit pas de défense. Quelques inftances qu'un parti dirigé par des fuggeftions étrangeres ait employées pour lui faire fuppléer par l'augmentation de fes Troupes au délâbrement & à l'abandon des Places de la Barriere, elle a laiffé fes Troupes dans le même état où les avoit réduites une réforme dictée par l'économie, & autorisée par la fécurité que donnoit la Paix. Mastricht & Namur, avec toutes les forces dont elle les a munies,ne la raffurent, que parce que ne pouvant rendre à Louis fes difpofitions fufpectes, elles n'empêcheront point ce Monarque de remplir à son égard un engagement dont elle fçait bien que la fermeté ne dépend que de fa conftance à demeurer neutre. Mais les inconvéniens qu'on lui représente à l'être la difficulté même de le paroître en l'étant, le préjudice inévitable que, malgré la neutralité la plus exacte & la mieux prouvée, fon repos & plus encore fon Commerce auroit à fouffrir du conflict de deux Nations fi voifines de fon Territoire, & dont les Vaiffeaux répandus fur toutes les Mers impoferoient tant de gêne, & affujettiroient à tant d'importunes recherches tout Pavillon qu'ils foupçonneroient d'une partialité fecrette; tout cela jette la Hollande dans une perplexité, qui répond de la fincérité des vœux qu'elle fait pour l'accommodement des parties, & de l'ingénuité des démarches officieufes qu'elle a employées pour le procurer.

Čes voeux cependant & ces démarches, tant de fa part que de celle d'autant de Puiffances qu'il y en a d'intéreffées à la tranquillité de l'Europe, s'ils ont nourri pendant le cours de l'Année l'espérance du public pacifique, n'ont pû amener le fuccès qui devoit remplir fon attente. Les négociations, malgré l'impulfion que fembloient leur devoir donner de

fi grands mobiles, n'en ont été ni moins lentes ni moins infructueuses. Mais enfin elles duroient en core; & tant qu'elles duroient, le moindre effet qu'on eût droit d'en attendre, étoit la fufpenfion des hoftilités : Car celles-ci doivent-elles avoir lieu, tant que celles-là continuënt; & quand même les négociations feroient rompuës, les hoftilités doivent-elles commencer fans avoir été annoncées ? Fait-on la Guerre fans la déclarer? A confulter le droit des gens & l'ufage commun de toutes les au tres Nations policées, on n'auroit pas dû s'y attendre: mais la conftante pratique des Anglois, depuis que fur les traces des François ils ont mis le pied dans l'Amerique, auroit dû y préparer. Perfuadés que le tems le plus propre pour les invafions eft celui de la Paix, parce que la confiance qu'elle infpire endort la vigilance & fait négliger les précautions, ils n'en ont jamais pris d'autre que celui-là pour faire irruption dans les poffeffions Françoises du Nouveau Monde. Devoient-ils déroger à un ufage qui leur avoit tant de fois réüffi? L'Acadie, avec l'étenduë qu'ils lui donnent, fous le nom factice de Nouvelle-Ecoffe, ne pouvoit être pour eux le fruit de la négociation, ils le voyoient bien mais la négociation, en amusant la France, favorifoit des tentatives contre lesquelles une Déclaration de Guerre l'auroit précautionnée en l'en avertiffant. Il faloit donc laiffer durer la négociation, fufpendre la Déclaration de Guerre, & en attendant, la faire par provifion. Ainfi l'avoient pratiqué leurs anciens Colons: ainfi, pour ne pas dégénérer, l'ont-ils fait eux-mêmes. Tandis qu'on traitoit d'Accord en Europe, les hoftilités Angloifes troubloient l'Amérique. Les Vaiffeaux l'Alcide & le Lys attaqués par une Efcadre, & furpris de l'être en pleine paix & dans leurs parages, après une vigoureufe défenfe & de grandes pertes, obligés enfin de ceder au nombre & au péril prochain d'être fubmergés, deviennent la proye de l'Amiral Bofcavven. BeauSejour bombardé, eft enlevé à la France: d'autres poftes font envahis. A la nouvelle du premier de ces attentats, non-feulement contraire, comme les autres, à la foi des Traités, mais encore à une convention toute récente, la Cour de Verfailles indignée rappelle fon Ambaffadeur & fe plaint; la Cour de Londres, froidement tranquille, rappelle le fien & fe tait. Les Aggreffeurs, loin d'être punis, loin même d'être délavoués, font tacitement applaudis & ouvertement appuyés. On accroît par de nouveaux armemens des forces dont ils abufent. Leur défaite près du Fort du Quefne cft vengée, non fur eux-mêmes, quoiqu'elle foit une fuite de leurs infractions, mais fur la Nation de leurs vainqueurs. Le dépit du fuccès des Armes Françoifes en Amerique, couvert du prétexte de Dunkerque fortifié, fe décharge en Europe fur les Navigateurs François. Une Piraterie inconnue, même aux Pirates Africains, exercée en pleine paix par les Vaiffeaux Anglois, enlève à la France fur toutes nos Mers, & jufqu'à l'entrée de fes Ports, autant de Bâtimens Marchands, que l'occafion d'autant plus fréquente qu'elle eft plus ardemment recherchée, lui en pré

fente. La neutralité même, auffi méprifée que la paix, ne peut, non plus qu'elle, jouir de fes privilèges; & le Pavillon neutre eft fruftré par le defpotifme Anglois, du droit que les Loix lui donnent de couvrir la Marchandise. A la vûë de ces déprédations, l'étonnement de l'Europe fe partage entre le Gouvernement d'Angleterre qui les diffimule, & la modération de la France qui les fouffre. Plus celui-là, par fon filence, témoigne qu'il les approuve; plus celle-ci fe fait admirer par fa conftance à ne pas ufer du droit & du pouvoir qu'elle a de s'en venger. Les ordres de fon Roi, plus puiffans fur elle, que fon reffentiment, font que fi elle fe venge, c'eft par des bienfaits. L'Angleterre voit arriver dans fes Ports avec les Vaiffeaux François dont fes nouveaux Corfaires ont fait leur proye, tel de fes propres Bâtimens qu'une répréfaille jufte, mais contraire aux pacifiques intentions de Louis, avoit fait enlever, & que le généreux Monarque a fait relâcher. C'eft ainfi que l'Auteur de la paix conclue à Aix-la-Chapelle s'en montre, autant qu'il dépend de lui, le Confervateur ; & qu'après l'avoir donnée à l'Europe en Vainqueur défintéreffé, il ne veut pas qu'il tienne à de nouveaux excès de défintéreffement, que l'Europe ne lui en doive la durée. Que s'il arrive qu'au jugement de fa fageffe, l'abus de fa patience, trop long-tems fouffert, falle tort à fa digaité: fi ce qu'il doit à l'honneur de fon Trône, à la gloire de la France & à l'intérêt de fes Sujets le réduit enfin à prendre des mains de la juftice le glaive qu'elle lui préfente, & que fa modération lui a fait jufqu'ici refufer; à qui pourra s'en prendre l'Europe, affligée de la perte d'une paix qu'elle avoit tant de raifon de chérir; d'une paix du fein de laquelle on a vû fortir tant de nouvelles fources de prospérité, tant de branches fécondes de Commerce: d'une paix durant laquelle tant d'utiles découvertes ont été faites, tant d'Arts ont été cultivés & perfectionnés tant de Fabriques & de Manufactures établies, encouragées & renduës floriffantes: d'une paix qui ayant rendu aux Campagnes leurs Cultivateurs & aux Villes leurs Ouvriers, a fait éclôre fous leurs mains la fertilité, les commodités, l'abondance ? A qui pourra l'Europe imputer le malheur de l'avoir perdue ; & de quel côté pancheront fes voeux, fi elle n'en forme que d'équitables? Quel parti prendront les Puillances, témoins & garantes de l'engagement que la France & l'Angleterre avoient contracté, de dénouer paifiblement le noud que l'épée Angloife a coupé ? L'Impératrice Reine fe détournera-t'elle des foins qu'elle prend avec tant de zéle d'habileté & de fuccés, de rendre fes Peuples heureux ? Se privera-t'elle de la douceur qu'elle trouve à perfectionner les Ouvrages, qu'à la faveur de la paix elle a fi glorieufement commencés & fi conftainment pourfuivis ? Retranchera-t'elle à fa généreufe magnificence les moyens que fes Finances accrues dans le calme, lui donnent de fe fatisfaire par la récompenfe des Sujets utiles, par le foulagement des malheureux, par des dépenses confacrées à l'éducation de la jeuneffe, à la culture des talens, au progrès des Sciences, aux aziles de la vertu, aux

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retraites de la valeur défaillante, à la majefté de la Religion; par des largeffes enfin auffi judicieufement appliquées, que noblement & gracieufement répandues? Après avoir cimenté fa paix avec la Porte par la réciprocité des plus obligeans procédés, voudrat'elle que fa réunion avec la France foit diffoute, ni le moins du monde altérée par une querelle intentée à la France contre la foi du même Traité, qui l'avoit réunie avec elle? L'équité Germanique, bien plus puiffante que l'appas des fterlings, ne fera-t'elle pas revoquer à quelques Princes d'Allemagne la promeffe d'un fecours, qui, dans leur intention n'a pû fe rapporter qu'à une Guerre légitime, lorfqu'il s'a gira d'en appuyer une qui leur paroîtra digne d'un autre nom? Toutes les Puiffances de l'Europe enfin, fi elles n'entrent pas dans des difpofitions auffi favorables à la France, que le font celles de l'Efpagne & de fes autres Alliés, pourront-elles moins faire que de laiffer les Anglois foûtenir feuls une querelle, , que feuls ils ont fufcitée; qui n'a d'autre mobile que leur ambition, d'autre objet que leur propre intérêt; dont le mauvais fuccès, fi elle en a pour eux, ne peut nuire qu'à eux-mêmes (fi c'eft leur nuire que de les refferrer dans leurs bornes, & de leur arracher ce qu'ils n'auront acquis qu'en les franchiffant) & dont la réüffite, fi elle leur étoit favorable, mettroit en péril, avec les poffeffions des François en Amérique, non-feulement tout ce que d'autres Nations Européennes poffedent dans cette partie du Monde; mais encore les avantages que celles-là & toutes les autres retirent du Commerce maritime, en rendant les Anglois les maîtres defpotiques, & conféquemment les Tyrans de toutes les Mers? Que leur Roi, malgré la droiture de fes vûës, fe trouvât reduit à s'accommoder aux leurs que dans la balance de fon Confeil, que l'irréfolution semble tenir encore en équilibre, l'importance de ménager un parti turbulent, que cette humeur & l'afcendant qu'elle prend fur le peuple rend dangereux, prévalût enfin; & que la Guerre y fût réfoluë, parce que le gros de la Nation la veut, parce que les préparatifs en font faits, parce que les fraix immenfes qu'ils ont coûté feroient trop de mécontens, fi un accommodement les faifoit regarder comme inutilement employés : qu'importent ces motifs au refte de l'Europe, & quelle liaifon ont-ils avec ceux qui pourroient porter quelquesunes de fes Puiffances à appuyer l'Angleterre? Se font-elles engagées, dans leurs Traités avec elle, à fervir les caprices, à époufer les paflions de fes Sujets, à indemnifer leur cupidité des dépenfes qu'ils n'auroient faites que pour la fatisfaire ? Quand l'ardeur de s'aggrandir, qui les a armés contre la France, devroit fe renfermer dans ces larges bornes qu'ils fe font avifés, après plus de 40. ans, d'affigner à l'Acadie: quand en poffedant tout ce qu'ils comprennent fous ce nom, ils ne devroient fe prévafoir ni de la facilité qu'ils auroient de fermer aux François l'accès de la Nouvelle France & du Canada, ni de celle, qu'en ruïnant le Commerce des François, ils fe donneroient de traiter de même celui des autres Nations établies dans l'Amérique; la

garantie que ces Nations & les autres intéreffées avec la France & l'Angleterre au Traité d'Utrecht ont donné aux Anglois de l'Acadie, doit-elle s'étendre autant qu'il plaira aux Anglois d'étendre les limites de cette Province ? Leurs prétentions ferontelles la loi de l'Europe, & faudra-t'il qu'elle leur aide à les appuyer avec l'épée, non-feulement fans les leur avoir vu justifier avec la plume, mais après s'être convaincue & par leurs écrits & par leurs procédés, que c'est l'impuiffance de les juftifier avec fa plume qui les a fait recourir à l'épée ?

Banniffons cette crainte, fi nous l'avons eûë: elle feroit injurieufe à cet efprit d'équité, de douceur & de paix qui régne aujourdhui dans les Cours de l'Europe. Plût au Ciel qu'avec autant de raison qu'il y en a de croire qu'on refufera d'appuyer les prétentions des Anglois, on pût efpérer qu'on les réfoudra à s'en départir. Mais qui le fera ? Le Roi de Portugal? Peut-être auroit-on pû l'attendre du zéle distingué qu'il a montré pour la tranquillité publique des efforts conftans qu'on lui a vû faire pour ajufter les différends qui menacent de la troubler; du poids que devoit naturellement donner à fa médiation fon impartialité & fon défintéressement dans une querelle, qui lui eft, à tous égards, plus étrangere qu'à tout autre ; des raifons enfin qu'avoit l'Angleterre de montrer de la déférence & des ménagemens pour la Puiffance qui régnoit à Lisbonne ; à Lisbonne cette Ville opulente dont le Commerce, fi utile à tant de Nations, étoit fur-tout fi avantageux aux Anglois. Mais hélas ! Lisbonne n'eft plus. Cette Ville fi grande, fi belle, fi riche, fi florifsante; cette Tyr moderne, fi même Tyr dans fon plus grand éclat mérita de lui être comparée, a éprouvé comme elle, & plus déplorablement qu'elle, l'inf tabilité des chofes humaines. Vers la fin d'une Année, qui dans tout fon cours ne lui avoit fourni d'au tre fujet de larmes que la mort de la Reine Mere; au milieu d'un calme profond, dans la paifible poffeffion de fes Trésors, auffi fupérieurs à ceux des autres Capitales, que les fources où elle les puifoit le font à toutes celles où les autres puifent; joüiffant fans trouble de tous les autres avantages qu'une paix beaucoup plus longue que celle que fon officieux Souverain s'efforçoit de maintenir dans le refte de l'Europe, avoit pû lui procurer; Lisbonne qui ne craignoit point d'Ennemis, a péri par ceux qui depuis plus de deux fiécles, paroiffoient pour elle le moins à craindre. Elle a vû fe renouveller pour fa défolation & pour fa ruïne les mêmes phénomènes affreux, que l'Hiftoire nous apprend qu'elle éprouva l'année 1530. La Terre, qui dans le tems qu'elle fécoüoit par fes tremblemens tant d'autres régions, tandis qu'à Naples & dans la Sicile, à Conftantinople & dans d'autres parties de l'Empire Ottoman, elle ébranloit & renverfoit tant d'édifices & enféveliffoit tant d'infortunés fous leurs ruïnes étoit immobile fous elle; la Terre s'eft agitée fous fes fondemens, précisément dans une Année où les Païs les plus expofés à fes commotions n'en avoient prefque reffenti aucune ; & fon agitation, auffi violente que foudaine, a fait fucceder tout-à-coup à la fe

couffe l'ébranlement, à l'ébranlement la ruine, à la ruine l'embrafement, à l'embrasement l'innondation; à Lisbonne enfin, des gouffres & des décombres, tombeaux d'une innombrable multitude de fes Habitans & de dix-huit cent millions de richeffes. Funefte revers dans le fort d'une Ville qui n'en éprouvoit aucun, & en faveur de laquelle la fortune fembloit avoir oublié fon inconftance! Toute l'Europe s'en eft émuë: tout l'univers s'en étonnera. (*) Lisbonne abîmée & comme anéantie fera oublier à la poftérité tout ce qu'il y a jamais eû de Villes, qu'un malheur femblable au fien a fait difparoître. Déja on en oublie prefque celui de Setuval, quoique tombée avec elle, plus enfevélie qu'elle, & laiffant encore moins qu'elle des veftiges de fon exiftance. Tous les funeftes effets que ces terribles phénoménes ont produits dans le refte du Portugal; tout ce qu'en a fouffert Cadix; les fecouffes qui ont agité Madrid & toute l'Efpagne; le treffaillement que dans le même tems on a éprouvé fort au loin & dans diverfes régions, depuis le couchant jufques au Nord; tout cela n'a fixé l'attention, qu'autant de tems qu'il en a falu pour apprendre le défaftre de Lisbonne. Lisbonne eft pour le Portugal, pour l'Espagne, pour toute l'Europe, l'objet frappant, l'objet touchant fur lequel tous les yeux étonnés & attendris s'arrêtent. Que fera-t'elle donc pour fon Roi, moins heureux peutêtre à fon gré, d'avoir furvécu avec fon augufte Famille, à une fi affreufe calamité, que d'en avoir fous les yeux le lamentable fpectacle privé en un moment de plus de biens, que plufieurs années, peut-être même plufieurs fiécles de profpérité ne pourroient en remplacer; fans Capitale, fans Palais, fans Tréfor & prefque fans Suite; trifte témoin & du vuide affreux que laiffent tant de mil liers de fes Sujets écrafés fous les ruïnes, dévorés par les flames, engloutis dans la terre ou fubmergés fous les eaux; & de la défolation où la perte de tant d'amis & de proches, jointe à celle de tant de biens, jette fes Sujets vivans; pour roit-il, dans une fituation fi déplorable & entouré d'objets fi dignes d'occuper fon atention, avoir encore des foins à donner à la commune tranquillité de l'Europe? Et fi on ne peut plus l'attendre de lui; fi dans les autres Puiffances l'intérêt propre peut, en rendant leur médiation fufpecte, la rendre moins efficace que n'auroit pû l'être la fienne; de qui donc les amateurs de la Paix doivent-ils attendre l'accompliflement des vœux qu'ils forment pour elle? De celui qui feul tient dans fes mains la Paix & la Guerre, les coeurs des Souverains & ceux de leurs Peuples. Par lui, par le pouvoir qu'il exerce quand il veut fur l'efprit des Politiques, les négociations rompuës peuvent être renouées, & moins

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Cette ville fubit dans le 5me. Siècle un fort auth affreux, & ce qu'il y a de fingulier, c'eft que les circonftances de l'ancien tremElement & du nouveau, font à peu près les mêmes. M. Freron dans l'Année Litteraire, Letive X. Tome VII. a traduit le récit qu'en fait Past Jove dans fon vingt neuviéme Livre vers la fin, Année 1535, où cet Hiftorien après avoir parlé d'un horrible débordement de la Mer en Hollande au mois de Novembre 52 ajoûte "Peu de tems ,, aprés, au mois de Janvier fuivant, les Portugais effuyerent un » malheur prefque femblable par les vents en fureur déchaînés dans les entrailles mêmes de la terre. La vi le de Lisbonne fur-tont fouffrit un dommage confidérable, & après elle, les villes de Santaren, Azembugere & d'Almerin, dont les édifices publics & particuliers .. Ebranlés & renversés par ce tremblement de terre extraordinaire

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d'un hyver peut fuffire pour leur donner l'heureufe iffuë qu'on n'a pû dans plufieurs années leur procurer. En attendant cette Paix du dehors, dont Louis mérite d'autant plus de jour, que fa modération feule la lui fait défirer; & que fa puiffance, rendant fa modération plus volontaire, la rend auffi plus généreuse; ce Monarque Bien-Aimé a la fatisfaction de voir que tout fe difpofe dans fon Royaume à feconder la douceur de les intentions pour le repos domestique. N'augurons qu'heureufement, de la deftinée de la France. Le Ciel qui la chérit ne fouffre pas dans fon fein des playes durables. Les biens y fuccédent aux maux les gains y réparent les pertes, & les jours de joye y fuivent de près les jours de trifteffe. C'eft ainfi que la fertilité de fes champs, & plus encore les nouvelles fources de fécondité dans fon Commerce fur terre compenfent les déprédations que les Corfaires Britanniques lui font éprouver fur mer. C'est ainfi qu'après avoir vû, l'année précédente, la naiffance du Duc de Berry remplir auprès du Trône la place qu'y avoit laiffé le Duc d'Aquitaine, on vient de voir, avec des tranfports qui durent encore, le Comte de Provence couvrir de fon berçeau le vuide qu'y laiffoit Madame. Puiffent ces alternatives fe changer cette année en une continuité de bonheur qu'aucune viciffitude n'interrompe. Daigne le Ciel infpirer aux rivaux de la France des fentimens pacifiques, encore plus importans pour eux que pour elle: répandre fur elle, fur eux, fur toute l'Europe, fur toute la terre habitée fes plus favorables influences: faire régner la paix entre les Nations, & dans chaque Nation la concorde : préferver les hommes & leurs poffeffions des fléaux que fa colere fufcite: affermir par-tout la terre fous leurs pieds: ne faire fervir le feu qu'à leur utilité, ou à exprimer leur allegreffe défendre aux vents les tempêtes, à la mer les excurfions hors de fes bornes, & aux fleuves les irruptions dans nos demeures : rendre fereins & durables les jours d'un Pontife auffi cher à fes Sujets comme Souverain que vénérable à toute la Chrétienté comme Pere des Fidéles: fous la main duquel Rome règlée tranquille, pourvûë, embellie, voit s'accroître & fe perfectionner, pour l'ornement de la Litterature & pour l'édification de l'Eglife de nombreux chefs-d'œuvres de doctrine, dignes de la fublimité, de l'abondance & de la pureté de leur fource. Daigne enfin le Ciel récompenfer la vigilance, l'activité, le zéle fecourable & généreux, que dans nos derniers malheurs (**) viennent de faire éclater ceux qui nous gouvernent; & leur fournir déformais pour exercer ces vertus, de tout autres occafions que celle des calamités publiques.

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écraferent par leur hure un grand nombre de perfonnes. Plufieurs vaiffeaux furent abymés dans les gouffres bouillonnans de la mer ,, enflée. Le Tage repoutlé par les flots en courroux fe déborda des deux côtés, & laiffa voir le milieu de fon lit à fec au grand éton,, nemnt de tous les fpectateurs. Aucun Portugais n'ofoit refter dans ,, fa maifon, la terre treffaillant toujours, & faifant craindre que la violence du tremblement ne finit pas fitôt. Tous les habitans à ,, l'exemple du Roi & de la Reine, furent obligés de dreffer des tentes ,, en pleine campagne, où ils paffoient les nuits dans des allarmes » cruelles. Ils craignoient à chaque inftant avec raifon d'être engloutis ,, par quelque ouverture fubite de la terre.

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(**) La Ville d'Avignon innondée.

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De ROME le 13. Decembre. L'orage, qui s'étoit élevé dans la Chine contre les Miffionnaires, vient de fe diffiper; l'Empereur leur a permis d'annoncer l'Evangile a fes Sujets, dans toute l'étendue de fon Empire; en conféquence l'Eglife de Peckim a été r'ouverte, & les Chinois qui ont embraflé le Chriftanifme ont autant de liberté de s'y affembler, que dans les Païs Catholiques. On attribue cet heureux changement aux follicitations du Roi de Portugal, qui a envoyé une Ambaffade folemnelle à l'Empereur, pour le prier d'être favorable aux Millionnaires & aux Profelytes, & lui repréfenter qu'il n'auroit jamais de Sujets plus fidéles. La S. Congrégation de Propaganda Fide a reçu ces nouvelles avec la plus grande fatisfaction, & va reprendre le projet qu'elle avoit deja concerte pour le fucces des Millions de la Chine, & que la perfecution l'avoit obligée d'abandonner.

Le Chevalier de Polaffron, Capitaine de la Fregate Papale le St. Paul, a apporté au Quirinal la Carrabine, le Sabre & le Poignard qu'avoit le Rais, commandant le Bâtiment Corfaire dont il s'eft emparé ; & en même tems les armes qu'avoient les Soldats Turcs. Par divers Voyageurs arrives cette femaine on a appris que les Habitans des Grottes font actuellement tous en rafe campagne, craignant les fuites de quelques fecoufles de tremblement de terre, qu'ils

ont reffenti dans leurs habitations.

M. le Cardinal Caraffa, Doyen du Sacré Collège, mourut Lundi matin âgé de 78. ans & quelques mois. Il fe nommoit Pierre-Louis, & étoit né à Naples le 4. Juillet 1677. Benoit XIII. le fit Cardinal le 20. Septembre 1728.; & par fon ancienneté il étoit parvenu au rang d'Evêque d'Oftie & de Velletri, qui est le titre du Doyen du Sacré College. Il etoit en même tems Membre des Congrégations des Evéques & Reguliers, de la Propagande, de l'In dex, de la Difcipline Reguliere, des Ceremonies, des Eaux & de la Signature de Grace; Protecteur des Camaldules, de la Congrégation Urbaine à St. Laurent in fonte, des Lieux Saints, de la Terre Sainte, de Ste. Marie Egyptienne & diverfes autres Eglifes & Ocuvres Pies. Il a fait le Prince de Belvedere fon Frere, & M. Caraffa fon Neveu ses Héritiers, & quantité de Legs. M. le Cardinal Orfini & le

Prince de Piombino font les Exécuteurs Teftamentaires, & au cas que ce qu'il a fait inférer dans fon Teftament ne foit pas ponctuellement exécuté, il fait la Propagande fon

Héritiere.

Le St. Pere tint le même jour Confiftoire, dans lequel M. Mari fut préconife Evêque de Savonne, M. Cecina de Zenopolis in Parribus, pour être Coadjuteur de l'Evêque de Valterre; & quelques autres Prélats pour diverfes Eglifes

Ultramontaines.

De VERSAILLES le 22. Decembre.

On a renvoyé à Rome le Courrier qui en arriva Samedi dernier, & c'eft le troifiéme qui a été dépêché depuis la :clotûre de l'Affemblée du Clergé. S. M. qui ne laiffe jamais les fervices rendus à l'Etat, & la valeur de fes Officiers fans récompenfe, vient d'accorder à M. de Bouville, qui commandoit le Vaiffeau l'Espérance que les Anglois ont pris en dernier lien, mille livres de penfion, & une gratification de fix mille. Tout le monde convient que cet Officier, l'un de nos braves Marins, n'a pas vaincu, parce qu'il lui a été impoffible de vaincre avec des forces auffi inégales que les fiennes contre quatre Vaiffeaux Ennemis; il ne fe rendit que lorfque fon Vaiffeau ouvert de toute part étoit fur le point de perir fans reffource; & il voulut au moins fauver l'Equipage. Il eft actuellement à Londres, & vient d'écrire à la Cour qu'ayant été par hazard dans les prilons, il y avoit trouvé nos François pris fur les Vaiffeaux, dans le plus pitoyable état.

On a appris par des Lettres de Quebec, apportées par la Fregate la Fidele, que les Chefs des cinq Nations Iroquoifes que les Anglois avoient attirees dans leur parti, ont été

trouver M. de Vaudreuil, Commandant en Canada, lui ont demandé pardon, en jettant fous leurs pieds les Médailles qu'ils avoient des Anglois, & difant qu'ils ne demandoient pas encore celle du Roi de France, qu'ils ne méritoient pas; mais qu'ils s'en rendroient dignes, en reparant leur faute par les fervices qu'ils vouloient rendre à la Nation.

De PARIS le 23. Decembre.

Les affaires, qui occupent le plus le Parlement, font comme fufpenduës par rapport aux approches des Fêtes; & il n'y aura point d'Affemblée jufqu'au 30. On n'a reçu aucune nouvelle de Londres depuis les Lettres du 12., par leiquelles on a mandé que le Gouvernement ne trouvoit pas toute eft obligé de faire dans les circonfttance prefentes. On apla facilité qu'il efpéroit dans les emprunts confidérables qu'il prit avant-hier par des Lettres de Portugal, que la terre a décombres de Lisbonne, & qu'on recouvre bien des effets ; enfin ceffe de trembler, qu'on travaille à fouiller dans les mais que les cadavres ont répandu dans l'air des vapeurs dont on craint les fuites.

arrivé de Quebec ; que la Concorde venant de Gafpée eft On mande de la Rochelle que le Navire la Judith y eft arrivé à Bayonne ; & que le Debonnaire allant de St. Domingue à Bordeaux, a été obligé de relâcher à Auray en Bafle-Bretagne. Le St. François eft parti de Bordeaux pour la Martinique, les Deux Freres pour la Cayenne, le Bristol pour Leogane & le Grand Cyrus pour St. Louis. & Fregates qui doivent compofer l'Efcadre de M. de PerSelon les dernieres Lettres de Breft, tous les Vaiffeaux dent & les Fregates qui ont été armées à Rochefort; mais rier fe font mis en rade, & on y attend le Vaiffeau le Pruperfonne ne fçait encore la deftination de cette Efcadre. 11 Ya ordre d'armer fix autres gros Vaiffeaux pour une nouvelle Efcadre que commandera M. Dubois de la Mothe, & qui mettra à la voile au printems prochain. On a reçu avis que la Fregate la Valeur, partie de Rochefort fous les ordres de M. de Macarti, eft arrivée à Louisbourg, où elle a porté avec les ordres de la Cour toute forte de Munitions de Guerre. Elle doit y refter l'hyver afin de pouvoir apporter en France un détail de ce qui fe paffera dans ce Païs-là. On fe plaint beaucoup à Breft des mauvais tems qui continuënt fur mer, & qui caufent de fréquens naufrages aux petits Bâtimens. Mme. la Comteffle de Marignon-Châteaurenaud eft morte le 20. d'une fluxion de poitrine.

D'AVIGNON le 26. Decembre.

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M. le Grand Prieur d'Allemagne, à fon retour du voyage qu'il vient de faire dans fon Grand Prieuré, arriva en cette Ville le 19. & alla defcendre au Palais Apoftolique, où M. le Vice-Legat le reçut, comme on peut recevoir un grand Hôte, qui joint à fes autres titres celui d'ancien ami; avec ces empreffemens & ces égards qui coulent de fource, & où le coeur, d'accord avec les bienfeances, s'épanche & fe fatisfait en les rempliflant. Dimanche dernier, M. le Vice-Legat donna à cette occafion un magnifique dîner, auquel Son Exc. convia tous les Chevaliers de Malthe, qui font en cette Ville, & ceux qui accompagnoient M. le Grand Prieur. A la fin du pas, on but à la fanté de Son Alteffe Eminentiffime Mgr. le Grand Maître, au falve de 24. pieces d'Artillerie. M. le Grand Prieur a reçû les vifites de tout ce qu'il y a ici de plus diftingué, & en les rendant, il a été fi chirmé des accueils qu'on lui a faits, & de la politeffe qui régne daus les Affemblées de cette Ville, qu'il s'en eft exprimé dans les termes les plus obligeans, & les plus flâteurs pour notre Nobleffe; ce qui fait d'autant plus de plaifir à M. le ViceLegat, que Son Exc. a plus à cœur que M. le Grand Frieur ne trouve point trop long le fejour qu'il fera obligé de faire ici, en attendant de recevoir avis de Marseille, que le Vaiffeau qu'il a donné ordre d'y frêter pour fon compte, foit prêt pour fon paffage à Malthe.

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