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La Marseillaise ailée et volant dans les balles,
Les tambours, les obus, les bombes, les cymbales,
Et ton rire, ô Kléber!

La Révolution leur criait :

Volontaires,

Mourez pour délivrer tous les peuples vos frères!
Contents, ils disaient: Oui.

Allez, mes vieux soldats, mes généraux imberbes!
Et l'on voyait marcher ces va-nu-pieds superbes
Sur le monde ébloui!

La tristesse et la peur leur étaient inconnues;
Ils eussent, sans nul doute, escaladé les nues,
Si ces audacieux,

En retournant les yeux dans leurs course olympique,
Avaient vu derrière eux la grande République

Montrant du doigt les cieux!

II

Oh! vers ces vétérans quand notre esprit s'élève,
Nous voyons leur front luire et resplendir leur glaive,
Fertile en grands travaux,

C'étaient là les anciens. Mais ce temps les efface!
France, dans ton histoire ils tiennent trop de place;
France, gloire aux nouveaux !

Oui, gloire à ceux d'hier! ils se mettent cent mille
Sabres nus, vingt contre un, sans crainte, et par la ville
S'en vont, tambours battants.
A mitraille leur feu brille, l'obusier tonne.
Victoire! ils ont tué, carrefour Tiquetonne,

Un enfant de sept ans !

Ceux-ci sont des héros qui n'ont pas peur des femmes !
Ils tirent sans pâlir, gloire à ces grandes âmes!
Sur les passants tremblants.

On voit, quand dans Paris leur troupe se promène,
Aux fers de leurs chevaux de la cervelle humaine,
Avec des cheveux biancs!

Ils montent à l'assaut des lois; sur la Patrie
Ils s'élancent; chevaux, fantassins, batterie,
Bataillon, escadron,

Gorgés, payés, repus, joyeux, fous de colère,
Sonnant la charge, avec Maupas pour vexillaire
Et Veuillot pour clairon!

Tout, le fer et le plomb, manque à nos bras farouches;
Le peuple est sans fusils, le peuple est sans cartouches;
Braves! c'est le moment!

Avec quelques tribuns la loi demeure seule.
Derrière vos canons chargés jusqu'à la gueule
Risquez-vous hardiment!

O soldats de décembre! ô soldats d'embuscades
Contre votre pays! honte à vos cavalcades
Sur Paris consterné!

Vos pères, je l'ai dit, brillaient comme le phare;
Ils bravaient, en chantant une haute fanfare,
La Mort, spectre étonné;

Vos pères combattaient les plus fières armées,
Le Prussien blond, le Russe aux foudres enflammées,
Le Catalan bruni;

Vous, vous tuez des gens de bourse et de négoce!
Vos pères, ces géants, avaient pris Saragosse;
Vous prenez Tortoni!

Histoire, qu'en dis-tu? les vieux dans les batailles
Couraient sur les canons vomissant les mitrailles;
Ceux-ci vont, sans trembler,

Foulant aux pieds vieillards sanglants, femmes mourantes,
Droit au crime. Ce sont deux façons différentes
De ne pas reculer.

Cet homme fait venir, à l'heure où la nuit voile
Paris dormant encor,

Des généraux français portant la triple étoile
Sur l'épaulette d'or;

Il leur dit «

Écoutez, pour vos yeux seuls j'écarte

» L'ombre que je répands;

» Vous crûtes jusqu'ici que j'étais Bonaparte,

» Mon nom est Guet-apens.

» C'est demain le grand jour, le jour des funérailles » Et le jour des douleurs.

» Vous allez vous glisser sans bruit sous les murailles, » Comme font les voleurs;

>> Vous prendrez cette pince, à mon service usée, >> Que je cache sur moi,

» Et vous soulèverez avec une pesée

» La porte de la loi;

» Puis, hourrah! sabre au vent, et la police en tête! » Et main-basse sur tout,

» Sur vos chefs africains, sur quiconque est honnête, >> Sur quiconque est debout,

» Sur les représentants, et ceux qu'ils représentent, » Sur Paris terrassé!

» Et je vous paierai bien ! » — Ces généraux consentent; Vidocq eût refusé.

IV

Maintenant, largesse au prétoire!
Trinquez, soldats! et depuis quand
A-t-on peur de rire et de boire?
Fête aux casernes! fête au camp!

L'orgie a rougi leur moustache,
Les rouleaux d'or gonflent leur sac;
Pour capitaine ils ont Gamache,
Ils ont Cocagne pour bivouac.

La bombance après l'équipée.
On s'attable. Hier on tua.
O Napoléon, ton épée

Sert de broche à Gargantua.

Le meurtre est pour eux la victoire;
Leur œil, par l'ivresse endormi,
Prend le déshonneur pour la gloire
Et les Français pour l'ennemi.

France, ils t'égorgèrent la veille.
Ils tiennent, c'est leur lendemain,
Dans une main une bouteille
Et ta tête dans l'autre main.

Ils dansent en rond, noirs quadrilles,
Comme des gueux dans le ravin;
Troplong leur amène des filles,
Et Sibour leur verse du vin.

Et leurs banquets sans fin ni trèves
D'orchestres sont environnés...

Nous faisions pour vous d'autres rêves,
O nos soldats infortunés!

Nous rêvions pour vous l'apre bise,
La neige au pied du noir sapin,
La brèche où la bombe se brise,
Les nuits sans feu, les jours sans pain.

Nous rêvions les marches forcées,
La faim, le froid, les coups hardis,
Les vieilles capotes usées,

Et la victoire un contre dix!

Nous rêvions, o soldats esclaves,
Pour vous et pour vos généraux,
La sainte misère des braves,
La grande tombe des héros!

Car l'Europe en ses fers soupire,
Car dans les cœurs un ferment bout,

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