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dresser l'instrumentum dotale, il confère à l'ancilla la capacité de se marier. Il y a une telle corrélation dans l'exposition. de ces faits qu'il est difficile de supposer que, se contentant dans la seconde hypothèse qu'il n'y ait plus aucun empêchement à l'époque du mariage, il se soit montré plus sévère dans la première, alors qu'il dit simplement: Si enim ad libertam non omnino nuptiæ prohibentur. Dans la novelle 89, où Justinien résume les règles sur la légitimation, il exige (cap. 8) qu'à l'époque du mariage il y ait connubium entre les époux: Si quis igitur dotalia scripserit ad liberam in principio sive ad libertam mulierem cui omnino licet copulari...; mais il ne dit rien autre chose. Le cui omnino licet copulari, c'est le cujus matrimonium non est legibus interdictum de la loi 10, et il n'est pas vraisemblable que, dans le paragraphe 13 des Institutes qui n'est qu'un renvoi à la loi 10, il ait voulu exprimer une pensée différente. Les autres textes doivent être interprétés de la même manière; c'est au moment de la rédaction de l'instrumentum dotale seulement que le mariage doit être permis. Ce système est conforme à la tendance manifestée par Justinien d'étendre le bénéfice de la légitimation au plus grand nombre d'enfants possible.

La fiction rétroactive est insoutenable. On invoque en sa faveur les expressions de la loi 10, d'après laquelle le concubin avait dès l'origine pour la concubine une affection quæ eam dignissimam esse uxoris nomine faciebat. Mais ces expressions ne font que prouver que la légitimation est accordée aux enfants nés d'une union reposant sur l'amour réciproque des parents et non d'un commerce passager.

Serait-ce en vertu de ce principe que les enfants adultérins ou incestueux auraient été exclus de la faveur de la légitima; tion? S'il en était ainsi, on n'aurait pas dû leur refuser le bénéfice des trois autres modes de légitimation. Le véritable motif de cette exclusion, c'est une raison de morale; la législation romaine, très dure contre l'adultère ou l'inceste,

refuse aux enfants issus de ces unions illicites voire même des aliments; ils ne méritent pas le nom de liberi naturales, car le commerce dont ils sont issus n'est pas une licita consuctudo; la loi ne prête pas secours à ceux qui la violent.

Si l'existence de la fiction de rétroactivité seule empêchait la légitimation, l'enfant né ex stupro, c'est-à-dire de parents honnêtes, libres de tous liens, serait légitimé par le mariage subséquent, quoique issu d'une union autre que le concubinat; résultat qui serait contraire à la règle générale, le stuprum étant une union prohibée par la loi. Du reste, il y a une certaine analogie entre ces enfants et ceux issus d'un mariage contracté sans le consentement de ceux sous la puissance desquels se trouvent les futurs époux. A vrai dire, il n'y a pas mariage; cette union ne revêtira ce caractère que du jour où le père aura donné un consentement ultérieur ou du jour de sa mort, mais il ne s'ensuit aucun effet rétroactif, en sorte que l'enfant déjà né à cette époque n'est pas justus (L. 11, Dig. I, 5) et ne le devient pas, même du temps de Justinien, cette union ayant été contractée contrairement aux lois. L'intervention du chef de la famille ne purge que pour l'avenir le vice qui entachait le mariage à son origine.

Ce n'est pas non plus pour cette cause que les enfants nés d'une esclave ne pouvaient, malgré son affranchissement ultérieur, être légitimés par le mariage d'après la constitution de Zénon et d'après les lois 10 et 11. La légitimation n'a d'abord été introduite que comme un essai timide, elle s'est développée successivement. Restreinte par Zénon aux enfants nés de femmes ingénues, accordée par Justinien aux enfants nés de femmes libertinæ, ce n'est que dans les novelles 18 et 78 qu'elle est étendue dans une certaine mesure aux enfants nés de femmes serve. Mais ce n'était pas la fiction de rétroactivité qui s'opposait à leur légitimation, elle n'avait pas à intervenir. Du temps de Zénon, le mariage était permis entre les hommes ingénus et les femmes liberti

næ, et cependant la légitimation des enfants issus du concubinat entre un homme ingénu et une femme affranchie ne dérivait pas du mariage des parents. Du reste, il est à remarquer qu'en principe, sous Justinien, la légitimation n'était établie qu'en faveur des enfants nés du concubinat; or il est plus que douteux que le concubinat pouvait avoir lieu avec une esclave. Le titre De concubinis, lib. 25, tit. 7, Dig., ne cite pas l'ancilla parmi les personnes qui peuvent être prises pour concubines; en outre, les Romains avaient poussé si loin l'assimilation du concubinat au mariage que certaines causes qui rendaient le mariage impossible ou inexistant alteignaient également le concubinat; or un homme libre ne pouvait contra avec une esclave les justæ nuptiæ. Paul (Sent., lib. 2, tit. 19, § 6), nous apprend que le contubernium était la seule liaison possible en re un homme libre et une esclave. Mais, dit-on, les femmes avec lesquelles on ne commet pas de stuprum sont les seules, d'après Ulpien, qui puissent être prises pour concubines, et Papinien nous dit : Inter liberas tantum personas adulterium stuprumve passas lex Julia locum habet (L. 6 Dig. XLVIII, 5). Ces pénalités n'avaient donc lieu que lorsque le délit était commis entre des personnes libres. Un texte de Modestin est encore plus probant. Stuprum committit qui liberam mulierem consuetudinis causa, non matrimonii continet, excepta videlicet concubina (L. 34, Dig., eod. tit.); d'où il résulte que si on a vécu avec une esclave il n'y a pas de stuprum. Ces arguments a contrario ont peu de portée; les peines de la loi Julia, sans nul doute, ne sont pas applicables à la femme esclave avec laquelle tout commerce n'est qu'un simple accouplement; celui qui l'a débauchée pourra seulement être poursuivi par le maître pour avoir porté atteinte à la propriété à d'autrui. La femme esclave est considérée par la loi comme

1. L. 23, Dig. XXIII. 2.

2. L. 1, § 1, Dig. XXV, 7.

3. M. Esmein. Le Délit d'adultère à Rome, p. 21.

une femelle; il n'est donc pas étonnant que les Romains n'aient pas voulu l'élever jusqu'au rang de quasi uxor. Quant aux lois 8, Dig. XX, 1 et 38. Dig. XLII, 5, qui exceptent la concubine de la bonorum venditio et du gage du débiteur, et la supposent esclave puisqu'une esclave seule a pu se trouver en, la possession du débiteur; elles emploient le mot concubina non pas dans son sens juridique, nais comme adjectif; il désigne la serva cum qua concumbere dominus solitus est, de même que quelquefois la serva in contubernio collocata est appelée uxor. C'est donc le caractère restreint de la légitimation et non la fiction de la rétroactivité qui motivait le refus de la légitimation aux enfants nés d'une ancilla, et c'est au premier principe que Justinien a apporté une dérogation en élargissant le cercle des legitimandi.

Personne ne soutient la rétroactivité lorsque la légitimation. se fait par oblation à la curie ou par rescrit; la rétroactivité ne se produit qu'au cas de légitimation par testament, et c'est là un effet nécessaire, car le principal intérêt pour l'enfant est de recueillir la succession paternelle; pourquoi aurait-on édicté pour la légitimation par mariage subséquent une exception d'ailleurs injustifiable? Il est de règle que l'effet ne précède pas la cause à moins qu'une disposition spéciale n'établisse la rétroactivité; or, cette disposition n'existe pas, et l'enfant ne doit pas être considéré comme légitime avant sa légitimation.

Les partisans de l'opinion que nous venons de combattre ne sont pas même d'accord sur le point de savoir si c'est à l'époque de la conception ou à celle de la naissance que doit exister le connubium, et qu'est reportée la date de la jégitimation. Les uns, s'appuyant sur l'ordre même des faits qui ont donné naissance à l'enfant, veulent que ce soit l'époque de la conception; les autres argumentent de la loi 11 au Code De natur lib., et pensent qu'il suffit que le connubium

ait existé à l'époque de la naissance. Dans cette loi, Justinien déclare, ainsi que nous l'avons vu, que dans tous les cas où l'état des enfants est douteux, il faut envisager l'époque de la naissance et non celle de la conception, à moins qu'il ne soit préférable pour les enfants d'invoquer cette dernière. La décision de la loi 11 nous paraît être tout à fait en dehors de la question; rien n'indique que Justinien ait supposé l'enfant conçu à une époque où il n'y avait pas connubium entre les parents, et né à une époque où le connubium existait; si l'on rapproche le dernier paragraphe de la loi 11 des passages précédents, il est facile de voir qu'il s'agit d'un enfant conçu pendant la concubinat et né pendant le mariage; étant donné que Justinien dans les lois 10 et 11 vise l'hypothèse d'un procès survenu entre l'enfant naturel légitimé et les tiers, il s'ensuit que l'empereur a voulu simplement laisser à l'enfant conçu avant et né après le mariage la faculté d'invoquer par suite de sa naissance dans le mariage la qualité d'enfant légitime vis-à-vis des tiers. Mais le texte ne décide nullement si c'est à l'époque de la conception ou à celle de la naissance de l'enfant que les parents doivent avoir le connubium.

Il résulte de notre système: 1° qu'il importe peu que, lors de la conception ou de la naissance de l'enfant, il ait existé des empêchements au mariage (sauf, bien entendu, ceux résultant ex nefario coïtu), si ces empêchements ont disparu lors du mariage; c'est ainsi que, bien qu'à ce moment le concubin fût gouverneur de la province habitée par la concubine, ou qu'avant la constitution de Justin il fût sénateur, et elle ex-comédienne, ou qu'il fût l'ancien tuteur ou le fils du tuteur de la concubine n'ayant pas encore atteint l'âge où elle cessait d'être restituable in integrum, la légitimation n'en avait pas moins lieu, si le concubin n'était plus lors du mariage. gouverneur de la province ou sénateur, ou si la concubine. était âgée de vingt-cinq ans plus une année utile ; 2o que l'enfant légitimé, ne devenant l'agnat de tous les agnats de son

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