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DE LA LÉGITIMATION

DANS L'ANCIEN DROIT

CHAPITRE PREMIER

DE LA CONDITION DES BATARDS AU MOYEN AGE

La distinction entre les enfants légitimes et les enfants. naturels existait dans la législation franque dès l'époque de l'invasion ou dès les premiers temps qui l'ont suivie; si les textes de la la loi salique ne contiennent aucune indication. à cette égard, elle s'induit, d'une manière presque certaine 1, d'une autre distinction qui a beaucoup de rapports avec elle et se trouve clairement indiquée dans les législations de tous les peuples d'origine germanique. Une règle fondamentale du droit germanique, c'est qu'un enfant n'est apte à succéder à ses parents, et ne fait partie de la famille que s'il est issu d'un mariage contracté entre personnes de condition égale. Ce principe de l'égalité des conditions entre époux est sanctionné, soit par des pénalités sévères contre les époux, soit par des incapacités civiles infligées aux époux et aux enfants issus d'eux. La loi des Bavarois exclut de la succession paternelle les enfants qu'un homme a eus de son ancilla, et se borne à les recommander à la pitié des enfants légitimes.

1. Conf. Pardessus, Loi salique, p. 698. - Desportes, Essai historique sur les enfants naturels, p. 89.

2. Lex Bajuv., tit. 14, cap. 9.

La loi des Wisigoths est plus dure encore: la femme ingénue qui s'est unie à son serf ou à son affranchi est flagellée publiquement, puis brûlée vive avec son mari, et les enfants sont privés du droit de leur succéder; si elle a épousé le serf d'autrui, elle est condamnée à trois cents coups de fouet, et tombe au pouvoir du maître du serf, à moins que ses parents ne consentent à la recevoir. L'ingénu qui épouse la serve d'autrui subit la même peine; les enfants issus de cette union deviennent serfs, mais ils acquièrent la qualité d'ingénus si pendant trente ans ils ont été traités comme tels1. Selon la loi des Francs Saliens, la femme ingénue qui s'allie à un serf du roi ou à un litus perd sa qualité d'ingénue; l'homme libre qui se marie à une serve devient serf comme elle. La loi Ripuaire contient entre autres dispositions sur les mariages inégaux celles-ci; à savoir que les enfants suivraient le sort de celui de leurs parents qui aurait la pire condition d'où le principe, « en formariage, le pire emporte le bon », qui a subsisté jusqu'au milieu du moyen âge, et que l'homme ou la femme qui épouserait la serve ou le serf d'un Ripuaire tomberait avec ses enfants dans le servage de celui-ci. Si les lois barbares établissent une différence si profonde entre les enfants nés du mariage, à plus forte raison ont-elles dû distinguer les enfants nés dans le mariage de ceux nés hors du mariage. Dans les sociétés primitives, la famille fortement constituée rejette de son sein tous ceux qui ne sont pas nés dans des conditions régulières.

Du reste la distinction dont nous nous occupons est très

1. Ler Wisig., I. 3, tit. 2, § 3.

2. Lex salica, tit. 1, § 7 et 11.

3. Loi Ripuaire, tit. 58, § 11, 15 et 16.

4. Voir sur le droit germanique Konigswarter, Rev. de dr. fr. et etr., 1842, p. 369. - Morillot, Rev. hist. 1866, p. 177.

5. Amiable, Rev. hist. t. 10, p. 373. grecque, loc. cit.

Morillot, sur la législation

nettement indiquée dans la loi des Lombards dont les dispositions servent à fortifier cette assertion. D'après l'édit du roi Rotharis, le fils naturel, (liber naturalis opposé au liber legitimus) concourt avec les enfants légitimes, mais chacun de ses derniers doit avoir le double de ce qui revient à son frère naturel, et la quotité attribuée au bâtard ne peut être augmentée par le père, si à leur majorité les enfants légitimes n'y consentent pas 1. Plus tard, le roi Luitprand défend au père qui a des enfants légitimes de rien donner aux bâtards, de manière à ce qu'ils soient réduits à ce que leurs frères légitimes voudront bien leur accorder .

La légitimation proprement dite n'existait pas chez les peuples de race germanique, mais ils connaissaient une sorte d'adoption, de reconnaissance, qui avait pour effet, non pas de mettre les enfants naturels sur un pied d'égalité avec les enfants légitimes, mais de leur assurer une certaine place dans la famille. Des cérémonies symboliques accompagnaient cet acte; chez les Franes, le père mettait l'enfant.

sous son manteau3.

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La division en enfants légitimes et naturels n'apparaît guère d'une manière certaine qu'au temps de Charlemagne dans les capitulaires. Un capitulaire défend aux enfants incestueux d'hériter de leurs parents, et le père et la mère sont déclarés infâmes. Le capitulaire 59 du 7 livre, tout en reconnaissant l'existence du concubinat qui était entré profondément dans les mœurs, oppose les enfants de l'épouse à ceux de la concubine, et ne laisse qu'aux premiers le droit de succéder. Non omnis mulier viro juncta est viri, itaque aliud est uxor, aliud concubina, neque omnis filius hæres est pa

1. Art. 154, 155, 156. Canciani, I, p. 73.

2. Leges Lomb., II, 8, § 6.

3. Konigswarter, Histoire de l'origine de la famille, p. 142. Michelet, Origines du droit français, p. 11.

4. Lib. 6, 410.

tris. Le capitulaire 463 du même livre n'admet que les enfants légitimes au droit de succéder: Taliter enim et Domino placebunt, et filios non spurios, sed legitimos atque hæreditabiles generabunt. Remarquons toutefois que ces capitulaires appartiennent au recueil de Benedictus Levita, lequel n'a aucun caractère authentique. La formule 52 de l'appendice de Marculf' nous apprend que, d'après une ancienne coutume, il était permis d'instituer les enfants naturels héritiers universels, mais seulement à défaut de descendants légitimes.

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La condition des enfants naturels a subi, dans la législation coutumière, non seulement l'influence du droit germanique, mais encore celle du droit canonique. L'Église toléra d'abord le concubinat comme une transaction entre le stuprum et le mariage. Cependant, dès 655, le neuvième concile de Tolède déclare les bâtards des prêtres serfs des églises desservies par leurs pères; mais c'est dans la collection des Decretales du pape Grégoire IX qu'apparaît manifestement la volonté de l'Église de combattre énergiquement le concubinat en frappant d'incapacités ceux qui en sont issus, et elle parvint à son but, au moins dans les pays coutumiers, car dans le Midi, même au temps de Barthole et de Paul de Castres, le nom de bâtard n'avait rien d'odieux. Les Decretales qualifient les enfants naturels de spurii, de filii ex fornicatione nati3; elles les excluent de la succession paternelle, et probablement aussi, étant donné l'esprit du droit canonique, de la succession maternelle. Au dixième siècle, l'irrégularité de la naissance est une cause d'incapacité pour entrer dans les

1. Canciani, t. II, p. 266.

2. Giraud, Essai sur l'histoire du droit français au moyen âge, t. I, p. 296. Ce point est contesté par les canonistes. La discussion porte sur le canon 17 du premier concile de Tolède.

3. Lib. I, tit. 18, cap. 5.

4. Decret., Qui filii sint legitimi, cap. 10.

ordres, et cette règle, d'abord applicable seulement aux bâtards des clercs et aux ordres sacrés, finit par être étendue à tous les bâtards et à tous les ordres'. L'inhabilité des bâtards cessait par une dispense du pape, par la profession reli-gieuse et par la légitimation. Le droit canonique avait emprunté au droit romain deux de ses modes de légitimation, celui par mariage subséquent et celui par rescrit du prince,. et c'est grâce à son autorité, jointe à celle du droit romain, que la légitimation s'introduisit dans la législation coutumière.

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Au moyen âge, les bâtards étaient généralement serfs 3: On les voit, en effet, fréquemment assujettis aux droits de chevage, de formariage, à l'incapacité de tester pour plus de cinq sols, et ces dispositions se trouvent même rapportéesdans le procès-verbal de la coutume de Laon, cité par Laurière. Mais quoique en pensent Coquille, Laurière, d'Agues-seau, il ne semble pas que le servage était une conséquence directe de la qualité de bâtard. Si les bâtards étaient le plus souvent serfs, cela résultait, soit de ce que la mère était serve; soit de ce que l'un des auteurs était serf dans les pays où l'on suivait la règle germanique « en formariage le pire emporte le bon »>, soit des abus des seigneurs, soit des mêmes coutumes locales qui asservissaient l'aubain. En principe, le bâtard issu de deux auteurs francs, était franc dans la plupart des coutumes. Beaumanoir affirme que, pour démontrer en 1. Decret., De filiis præsb., cap. Si quis. 8.

2. Båtard est un terme générique qui comprend tous les enfants nés hors mariage. Parmi les coutumes rédigées, les coutumes de Bretagne (art. 477) et de Valenciennes (art. 122) seules distinguent l'enfant naturel simple de l'enfant adultérin ou incestueux.

3. D'après d'Aguesseau (t. VII, p. 404), qui s'appuie sur un passage deWitikind, le servage aurait été, dès Clovis, la condition commune des

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