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qui devint plus tard si profonde entre les enfants issus du concubinat, du mariage selon la nature, et ceux vulgo quæsiti. Toutefois, à l'origine, aucune réforme ne fut établie en faveur du liber naturalis; il est un étranger pour son père. Celui-ci peut lui laisser tous ses biens, comme il peut ne rien lui donner; l'enfant n'a pas à se prévaloir des liens naturels qui l'unissent à lui. Il naît sui juris, suit la condition de sa mère, lui emprunte son origo et propablement aussi son domicile. Les biens qu'il acquiert sont sa propriété exclusive.

Si le liber naturalis n'est pas justus, il n'est pas non plus spurius; il a un père certain vis-à-vis duquel, il est vrai, il est tenu par un lien très faible. On a prétendu que la présomption, pater is est quem nuptiæ demonstrant 1, ne protégerait que l'enfant légitime, et qu'elle ne devait pas s'étendre au liber naturalis; celui-ci n'aurait donc pas de filiation certaine a égard du père. Mais pourquoi les textes fontils antithèse entre les liberi naturales et les vulgo quæsiti? C'est qu'on est dans l'impossibilité d'attribuer, même avec vraisemblance, ces derniers à tel homme plutôt qu'à tel autre, tandis que, pour les premiers, le concubinat étant une union aussi régulière et pouvant être de fait aussi constante que le mariage, il y a certitude de paternité. Pourquoi restreindre cette présomption au mariage? Le concubinat n'est-il pas une sorte de mariage? Est imitatio, dit Cujas 2, justi matrimonii, et consequenter qui ex concubinatu nascuntur etiam civilem patrem matremque habent. Cette présomption a principalement sa raison d'être dans la cohabitation effective; or, la cohabitation a lieu dans le concubinat comme dans le mariage. Un texte de Paul3 nous montre un fils légitime institué avec un fils naturel par son père, et ce

1. L. 5. Dig. II, 4.

2. Ad. leg. 5. Dig. II, 4. 3. L. 45, Dig., XXVIII, 6.

fils naturel est qualifié de frère naturel; ce qui prouve que la filiation du liber naturalis était reconnue dès l'époque classique. Si l'on a contesté l'introduction à l'époque classique de cette distinction entre le liber naturalis et le spurus, personne ne met en doute son existence sous les empereurs chrétiens. On lit dans la loi 7, au Code Théodosien, (De natur. filiis, IV, 6): Naturalium nomen sancimus imponi iis quos sine honesta celebratione matrimonii legitima conjunctio fuderit in lucem. Justinien, dans l'ensemble de sa constitution (nov. 89), distingue très nettement le filius ex licita consuetudine du spurius cui pater incertus sit.

Toutefois, la certitude de la paternité provenant du concubinat ne produit pas, à l'époque des Antonins, des effets juridiques importants dans les rapports du fils naturel avec son père. Elle engendre une affinitas susceptible de devenir un obstacle au mariage dans la même mesure que l'affinitas résultant des justæ nuptiæ; elle justifie l'obligation alimentaire réciproque entre le père et les enfants. Et magis puto, etiam si non sunt liberi in potestate, alendos a parentibus : et vice mutua alere parentes debere'. Peut-être le préteur fit-il arriver le liber naturalis à la succession paternelle au moyen de la bonorum possessio unde cognati; mais, à raison de l'absence de textes et du silence de Gaius qui ne signale comme cognati que les personnes, quæ per feminini sexus personas copulatæ sunt, la question est douteuse.

C'est sous les empereurs chrétiens qu'un grand progrès se réalise dans la législation romaine. On ne laisse plus au père la faculté de régler, selon sa seule volonté, sa succession à l'égard de son fils naturel, de tout lui accorder ou de tout lui refuser. La liberté du père est restreinte, la part de l'enfant dans l'hérédité paternelle est exactement limitée, il ne peut se

1. L. 5. § 1. Dig. XXV, 3.
2. Inst. Comm. III, § 30.

soustraire à l'incapacité qui le frappe. Les dispositions des constitutions impériales quant à la nature et à la quotité des droits reconnus à l'enfant ont subi des variations nombreuses.

Constantin, le premier, parle des enfants naturels pour restreindre leurs droits, et, dans son ardeur à combattre le concubinat, il leur défend de rien, recevoir de leur père, par donation ou par testament, en présence de tout héritier légitime'. Dans la loi 1, au Code, de natur. lib. (V. 27), il décide que, si le père est illustre et la mère de basse extraction, il ne peut rien donner à l'enfant, même indirectement, au préjudice des enfants légitimes, père ou mère, frères ou sœurs; si ceux-ci ne réclament pas, les biens du défunt appartiennent au fisc.

En 371, une constitution de Valentinien adoucit les lois de Constantin; elle dispose qu'en présence d'enfants légitimes, du père ou de la mère du disposant, l'enfant naturel et sa mère peuvent recevoir un douzième; en l'absence de ces parents, la libéralité peut s'élever au quart. Ces dispositions sont confirmées par les empereurs Arcadius et Honorius, qui permettent au père, après le décès de l'enfant, de laisser à la mère un vingt-quatrième 3.

Une constitution de Théodose le Jeune rétablit ces dispositions, qui avaient été supprimées par Valentinien III et remplacées par le droit de Constantin ‘.

Justinien apporte plusieurs modifications à cet état de choses. En 528, il décide que celui qui ne laisse ni une descendance légitime, ni sa mère, pourra donner à l'enfant naturel et à sa mère la moitié au lieu du quart 5. En 539, tran

1. Godefroi, t. 1, p. 392.

2. L. 1 C. Th. de natur. filiis.

3. L. 2, G., V, 27.

4. L.2, C. Th., ut supra.

5. L. 8 C., V. 27.

chant une controverse, il permet à l'aïeul de donner tous ses biens au fils naturel de son fils légitime, ou au fils légitime ou naturel de son fils naturel, pourvu qu'il n'ait pas de descendance légitime'. La novelle 18 (cap. 5) contient une heureuse innovation; les enfants naturels et leur mère peuvent recevoir, en présence d'enfants légitimes, un douzième, sinon moitié; mais, si le père ne laisse ni femme, ni enfants légitimes, la concubine et ses enfants ont droit à un sixième. Justinien le premier reconnaît done aux enfants naturels un droit de succession ab intestat, mais il n'accorde cette faveur que si le défunt n'avait qu'une seule concubine; au reste, cette condition résultait de la nature du concubinat. Enfin, la novelle 89 complète la législation sur cette matière. Le père décède-t-il intestat, sans avoir fait ni libéralités entre vifs ni dispositions de dernière volonté, les enfants naturels, s'il existe des enfants légitimes ou une femme légitime, ne reçoivent que des aliments; sinon, ils prennent deux douzièmes, quels que soient les parents appelés à la succession, et, si leur mère existe, ils lui abandonnent une part virile (cap. 12, SS 4 et 6). Le père a-t-il fait des dispositions testamentaires ou entre vifs, les libéralités adressées à ses enfants naturels et à sa concubine n'excéderont pas un douzième en tout, et, si la concubine est seule, un vingt-quatrième, dans le cas où il laisserait des descendants légitimes; sinon, ces personnes recueilleront avec la même liberté qu'un étranger, les libéralités par elles reçues ne seront sujettes à réduction qu'en faveur des ascendants légitimaires (cap. 12, §§ 2 et 3).

A l'égard de la mère, la condition du liber naturalis est tout autre; il est assimilé à l'enfant légitime. Tous les enfants, quel que soit le commerce auquel ils doivent leur naissance, qu'ils soient issus des justæ nuptiæ, du concubinatus ou du stuprum, sont tous vis-à-vis de la mère dans la même situation. La maternité est un fait certain, matériel, et les Ro

1. L. 12, C. V, 27.

mains, sans tenir compte de la moralité de la femme, envisagent la maternité uniquement au point de vue du lien du sang qui résulte de fait de l'accouchement et de la naissance. D'après la loi des Douze Tables, le droit de succession n'étant qu'un dérivatif du lien résultant de la puissance paternelle, jamais une mère ne succédait à ses enfants en sa seule qualité de mère, ni les enfants ne succédaient à leur mère en leur seule qualité d'enfants. Plus tard, le préteur corrigea cette iniquité, en accordant soit à la mère, soit aux enfants, à raison de leurs rapports de cognation, la bonorum possessio unde cognati. Les enfants naturels, nés d'une même mère, héritent les uns des autres tanquam cognati1. Sous MarcAurèle, le sénatus-consulte Orphitien appelle au premier rang à la succession de leur mère tous les enfants au premier degré, légitimes ou naturels, pourvu qu'ils soient citoyens romains et ingénus, et il exclut tous les héritiers appelés par l'ancien droit civil, mais eux seuls, c'est-à-dire les agnats. Une constitution des empereurs Valentinien, Théodose et Arcadius est plus large, elle défère aux petits-enfants par les femmes la succession de leur grand'mère ou arrière-grandmère, mais sous la déduction d'un quart en faveur des agnats 2. Enfin, Justinien leur donne l'hérédité tout entière, et étend le même droit aux descendants plus éloignés 3. Signalons cependant une dérogation apportée par Justinien à la règle posée plus haut: si une femme illustre est la mère de justi liberi et de spurii, les premiers viendront seuls à sa succession 4.

Mentionnons pour mémoire, à côté des liberi naturales, une catégorie d'enfants qui, depuis l'extension par Caracalla du droit de cité à tous les sujets de l'Empire ne présente que

1. L. 2. Dig. XXXVIII, 8.

2. L. 4. C. Th. V, 1. 3. L. 12, C., VI, 5.

4. L. 3. C., VI, 57.

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