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torité royale, et fut contrainte d'abandonner une partie de sa compétence, spécialement dans les causes accessoires du mariage. Beaumanoir nous apprend que déjà, en Beauvoisis, la cour féodale était compétente, si la question de légitimité était préjudicielle à un procès touchant la succession à un fief. Bacquet' affirme que les contestations sur la légitimation des bâtards, étant incidentes à des actions en pétition d'hérédité qui relèvent des lois civiles, sont de la compétence des juges laïques, « combien que suivant la disposition du droit canon on tient que causa natalium qui est de filiation et légitimation se doit premièrement porter par-devant juge d'Église ». C'était l'opinion générale. D'Aguesseau disait plus tard: « Les questions de légitimité doivent, suivant le droit canonique, se porter devant les juges d'Église, quoiqu'elles soient incidentes à des questions de succession. Mais cette disposition n'a point d'authenticité parmi nous, où les questions de légitimité sont regardées comme purement civiles. 2 Pothier reconnaît également que les décrétales n'ont aucune autorité en France, « surtout sur une matière telle que la légitimation des enfants qui appartient à l'ordre politique, et n'est en aucune manière de la compétence ecclésiastique »> ; mais il ajoute: « L'équité et la faveur que ces principes renferment nous les ont fait embrasser. »

1. Droit de bilardise, ch. 9.

2. Dissert. sur les bâtards, p. 405.

3. Contr. de mar., no 412.

CHAPITRE II

DE LA LÉGITIMATION PAR MARIAGE SUBSÉQUENT

« Quant uns hons, dit Beaumanoir 1, a compaignie à une fame hors le mariage, et il l'espouse après el tans qu'elle est grosse, li enfez qu'elle a el ventre devient loiax par la vertu du mariage. » Et, dans le même chapitre, il spécifie les formes et les effets de cette légitimation. « Chil qui ne sont fors bastards tout seulement pueuvent estre fait loïal hoir par estre mis sous le poile à l'espouser, et ensuite, se li enfans sont mis dessous le drap, lequel drap est accoutumé de mettre sur chaux qui se marient solemnellement en sainte église, sont loïal puisque il i sont mis avec le père et la mère le mariage fesant, et puis lors ne sont pas li enfant bastard. » Loysel s'exprime ainsi : « Enfants nés avant le mariage, mis sous le poile, sont légitimés. »

La première condition, pour que la légitimation par mariage subséquent soit possible, résulte du passage de Beaumanoir; il faut que l'enfant soit simplement naturel, c'est-àdire qu'il soit issu de parents qui, lors de la cohabitation, pouvaient licitement contracter mariage, n'étant liés ni par le mariage ni par des vœux de religion ni par les ordres sa

1. Coutumes de Beauvoisis, ch. 18. 2. Instit. cout., liv, I, tit. 1, règ. 40

crés autres que la cléricature. La coutume de Troyes (art. 108) avait une disposition formelle. « Les enfants, nés hors le mariage de soluto et soluta, puis que le père et la mère s'épousent l'un l'autre, succèdent et viennent à partage avec les autres enfants, si aucuns il y a. » Il en était de même de la coutume de Sens (art. 92). Coquille cependant semble ne pas accorder le bienfait de la légitimation à tous les enfants naturels simples; par un souvenir du concubinat romain, il exige que les concubins aient vécu comme mari et femme et n'admet pas la légitimation des enfants nés d'une prostituée 1. « Je croy, dit-il dans ses questions, que le subséquent mariage ne ferait pas légitime l'enfant né durant la paillardise. » Cette opinion n'est pas exacte en principe; en fait, elle contient une idée vraie; l'enfant né d'une prostituée n'a pas le plus souvent de père connu, et, sa filiation n'étant pas certaine, il ne pourra être légitimé.

Le bénéfice de la légitimation était donc refusé aux enfants adultérins qui, selon Lebrun, sont « l'opprobre de la famille », et à ceux issus de prêtres, car ils sont assimilés aux enfants adultérins. Plusieurs arrêts avaient été rendus en ce sens; Brodeau sur Louet en rapporte un du Parlement de Grenoble du 16 janvier 1669, et Lebrun cite un arrêt du Parlement d'Aix du 6 juin 1676. Il en était de même des enfants incestueux. Telle était également la disposition du droit canonique. Cette décision était à la fois conforme à la morale et à la logique; en effet la légitimation reposait sur cette fiction (à laquelle il ne faut pas d'ailleurs attacher une trop grande importance), à savoir que lors de leur commerce les parents avaient eu l'intention de s'unir par le mariage et que le concubinage n'avait été qu'une anticipation du mariage; or cette intention n'avait pu exister que si aucun empêchement irrémédiable ne s'opposait au mariage.

1. Cout. de Nivernais, ch. IV, art. 20.
2. Corp. jur. canon. lib. IV. tit. xvii, cap. 6.

Mais à quelle époque devait-on se placer pour déterminer la condition du bâtard? D'après Lebrun', il fallait avoir égard au temps qui lui était le plus favorable et considérer soit le temps de la conception, soit le temps de la naissance, soit le temps intermédiaire entre la conception et la naissance; si à un moment quelconque de la grossesse les parents n'avaient pas été mariés l'un et l'autre, l'enfant n'était pas adultérin. Plusieurs canonistes, Molina, Fachinæus, invoquant la règle romaine qui déclarait ingénu l'enfant né d'une mère esclave lors de la conception et devenue libre lors de la naissance, décidaient que, si les parents mariés lors de la conception. étaient libres lors de la naissance, l'enfant était naturel simple. Cependant l'opinion suivie par la majorité des civilistes et par le Parlement de Paris était que l'on devait envisager uniquement l'époque de la conception. Tel était l'avis de Bacquet: « Si, lorsque la mère conceut, le père estait encores marié à sa première femme, combien qu'il fust veü auparavant la naissance, etc. », l'enfant est adultérin . Tel était celui de Ferrière 3, de Furgole, de Pothier. La loi 5 au Dig. de statu hominum, sur laquelle s'appuie Lebrun, n'était pas susceptible d'être invoquée par analogie; elle était relative à l'enfant né d'une femme esclave et n'avait d'autre but que de résoudre équitablement contre l'esclavage une hypothèse délicate. Mais, dans l'espèce, ainsi que le remarque Pothier, c'est la qualité du commerce charnel dont est né l'enfant qui doit être examinée, car c'est d'elle que dépendent l'étendue de la faute et la qualification à donner à cet enfant; or, c'est la conception seule qui crée l'adultère ou l'inceste, et non la naissance, laquelle n'en est que la

1. Des successions, liv. I. ch. 11, sect. 1, Distinct. I.

2. Droit de bâtardise, ch. 9.

3. Introduction à la pratique.

4. Traité des testaments, ch. VI, sect. 2, no 181.

5. Contrat de mariage, no 417.

conséquence et ne peut en effacer la tache. De ce que l'époque de la conception est celle qui fixe la condition de l'enfant, il résulte que l'enfant conçu avant et né après le mariage de ses père et mère, est légitimé et non légitime; si la conception est adultérine ou incestueuse, l'enfant est adultérin ou incestueux, bien que sa naissance ait été précédée du mariage de ses parents. Merlin' cite plusieurs arrêts rendus en ce sens dans le dernier état du droit.

Si l'empêchement au mariage résultait soit de l'impuberté, soit du défaut de consentement des parents, soit de la différence de religion, les concubins pouvaient par un mariage contracté postérieurement d'une manière régulière légitimer leurs enfants. Il en était autrement si, lors de leurs relations, il existait entre eux un lien de parenté à un degré prohibé pour le mariage, puisque l'obstacle au mariage subsistait toujours. Toutefois, cet empêchement pouvait être levé dans certains cas, au moyen d'une dispense, et l'on s'est demandé si l'enfant né de relations incestueuses était légitimé par le mariage de ses parents contracté grâce à une dispense. Certains canonistes soutenaient l'affirmative, se référant uniquement à la dispense de la Cour de Rome qui portait ordinairement une clause spéciale autorisant la légitimation. Mais cette clause était abusive et ne produisait en France d'autre effet que de permettre au bâtard d'entrer dans les ordres sacrés et de posséder des bénéfices. In terris ecclesiæ papa potest liberos illegitimos legitimare; in terris vero alienis non, nisi ex causis multum arduis, vel nisi spiritualibus. Le texte de la décrétale du pape Alexandre III, tanta est vis sacramenti prêtait à la discussion; il est ainsi conçu: Si autem vir vivente uxore sua aliam cognoverit et ex ea prolem susceperit, licet post mortem uxoris emdem duxerit, nihilominus spurius erit... quoniam matrimonium inter se contrahere

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