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Nous voyons dans Lysias que les enfants d'Aristophane étaient tombés à la charge de leur grand-père et de leur oncle parce que les biens paternels avaient été confisqués (1). Mais souvent ils s'adressaient au peuple et en obtenaient quelque concession. « Songez, disait Apollodore, à la fin d'une accusation, qu'il ne manquera jamais de tiers pour venir revendiquer ce qui vous appartient. Tantôt, ce seront des orphelins ou des filles héritières qu'on mettra en scène et pour lesquels on fera appel à votre compassion; tantôt, ce sera la vieillesse qu'on prendra pour prétexte, ou la misère, ou une mère à nourrir. On vous fera entendre les gémissements les plus propres à vous tromper et on s'efforcera ainsi d'obtenir que l'État ne reçoive pas ce qui lui est dû. Ne vous laissez pas prendre à tous ces pièges (2). »

Un tel discours devait plaire aux Athéniens. Ils abusaient volontiers de la confiscation. « Le Sénat, disait Lysias, ne commet pas d'injustices quand il a des fonds suffisants pour les besoins ordinaires; mais quand il est embarrassé d'y pourvoir, il est en quelque sorte obligé d'accueillir les accusations pour crimes contre l'État, de confisquer les biens des particuliers et de suivre les mauvais conseils des ora

1. V, p. 280). Le surplus des biens eût pu être confisqué (Ibid., 1. V, p. 281 et 286; 1. IX, p. 129).

(1) Lysias de bonis Aristophanis, p. 179.

(2) Apollodore c. Nicostrate, Dareste, t. II, p. 198.

teurs. » (Lysias, c. Nicomaque, 22). Or les besoins du trésor public étaient grands: le peuple s'était habitué à recevoir des distributions de blé et d'argent; il recevait un salaire pour juger, un autre pour assister aux assemblées (1). Isocrate le constatait tristement: « Il y a aujourd'hui plus de danger à paraître dans l'opulence qu'à commettre ouvertement une mauvaise action, car les coupables sont absous ou punis d'une peine légère, tandis que l'homme opulent est sacrifié sans pitié. On pourrait trouver plus de citoyens dépouillés injustement de leurs fortunes que de coupables ayant subi la peine de leurs crimes. (De antidosi, édit. Cartelier, p. 123).

Les biens confisqués pouvaient être restitués. Par exemple, si après des troubles politiques, les exilés revenaient dans leur patrie (2). C'est ainsi que les biens d'Alcibiade lui furent rendus (3). Il est probabable que les acquéreurs de ces biens n'étaient pas troublés; on rendait aux anciens propriétaires seulement ce qui n'avait pas été vendu et, pour le reste, ils étaient indemnisés par le Trésor.

(1) Bockh, t. Ier, p. 356 à 379.

(2) Xénophon, Hellén., 1. V, c. III, § 10. (3) Plutarque, Vie d'Alcibiade.

DE LA CONFISCATION A ROME

CHAPITRE PREMIER.

CAUSES DE LA CONFISCATION.

Nous trouvons à l'origine de l'histoire romaine que certains crimes, d'une gravité particulière, étaient punis par la sacratio capitis. Celui qui les avait commis était maudit : « At homo sacer is est, • quem populus judicavit ob maleficium; neque fas < est eum immolari, sed qui occidit, parricidi non ‹ damnatur (1). » Sa vie, sa propriété appartenaient aux dieux vengeurs. On pouvait le tuer impunément et ses biens étaient consacrés, ordinairement à Cérès (2). Cette peine nous donne les premiers exemples de la confiscation.

Nous savons qu'elle était prononcée sous les rois contre ceux qui déplaçaient les bornes des champs (3) ou qui maltraitaient leurs parents (4). Il est probable qu'elle s'appliquait à d'autres délits encore, à ceux que l'opinion publique réprouvait le plus forte

(1) Festus, De significatione verborum, vo Sacer mons.

(2) Voyez sur la sacratio capitis, Ihering, trad. Meulenaere, t. Ier, p. 277 et suiv.

(3) Festus, vo Terminus. (4) Festus, vo Plorare.

: «

ment. La religion en défendait la société naissante (1). Sous la République, plusieurs lois politiques furent sanctionnées par la même peine. Elles s'appelèrent leges sacrata Sacratæ leges sunt, quibus sanctum est, qui quid adversùs eas fecerit, sacer alicui ⚫ deorum sicut familia pecuniaque (2). Telles furent les lois établies par le consul Valérius, après le renversement des Tarquins, de provocatione adversùs magistratus ad populum, sacrandoque cum bonis capite ejus, qui regni occupandi consilia inisset.» (Liv. II, 8); et celle qui établit l'inviolabilité des tribuns (Liv. II, 33). Ces lois furent renouvelées après la chute des décemvirs (3). Les révolu

(1) Nous trouvons à l'origine de la société germanique une peine du même genre, la mise hors la loi (Friedloslegung). Le condamné était privé de ses biens dont la moitié était attribuée à l'accusateur. Pour détruire son souvenir, on brûlait sa maison (Wilda, Strafrecht der Germanen, p. 288 et 520).

(2) Festus, vo Sacratæ leges.

(3) « Aliam deinde consularem legem de provocatione, unicum « præsidium libertatis, decemvirali potestate eversam, non restituunt « modo, sed etiam in posterum muniunt, sanciendo novam legem : «Ne quis ullum magistratum sine provocatione crearet: qui creas«set, eum jus fasque esset occidi; neve ea cædes capitalis noxæ « haberetur. » Et quum plebem hinc provocatione, hinc tribunitio <«< auxilio satis firmassent, ipsis quoque tribunis, ut sacrosancti vide« rentur (cujus rei prope, jam memoria aboleverat), relatis quibus«dam ex magno intervallo cærimoniis ; et quum religione inviolatos «<eos, tum lege etiam fecerunt, sanciendo : « Ut, qui tribunis plebis, « ædilibus, judicibus, decemviris nocuisset, ejus caput Jovi sacrum « esset familia ad ædem Cereris, Liberi, Liberæque venum iret. » (Liv. III, 50). Ce texte nous montre la capitis sacratio déjà tombée en désuétude au temps des Douze Tables, et la loi civile venant renforcer la loi religieuse qu'elle remplacera plus tard.

tions plaçaient leur œuvre sous la protection de la

capitis sacratio.

L'histoire nous a conservé les noms de quelquesuns de ceux qui en furent frappés. Le consul Spurius Cassius, accusé par les patriciens d'aspirer à la royauté, fut mis à mort et ses biens consacrés aux Dieux (1). Spurius Mélius accusé du même crime, fut tué au milieu du Forum par Servilius Ahala. Le dictateur Cincinnatus déclara que cette expiation ne suffisait pas et confisqua ses biens (2).

La sacratio capitis disparut avec les principes théocratiques dont elle était sortie, lorsque la loi civile s'organisa et enferma la religion dans des limites plus étroites. Tite-Live nous dit qu'au temps des décemvirs elle était presque oubliée (3). Les progrès de la législation pénale la remplacèrent, en la

(1) « Quem, ubi primum magistratu abiit, damnatum necatumque « constat. Sunt qui patrem auctorem ejus supplicii ferant eum, « cognita domi causa, verberasse ac necasse, peculiumque filii << Cereri consecravisse ; signum inde factum esse, et inscriptum, EX « CASSIA FAMILIA DATUM. Invenio apud quosdam, idque pro<< pius fidem est, a quæstoribus K. Fabio et L. Valerio diem dictam << perduellionis, damnatumque populi judicio: dirutas publice ædes. « Ea est area ante Telluris ædem. » (Liv. II, 41).

(2) << Nec satis esse sanguine ejus expiatum, nisi tecta parietesque «< intra quæ tantum amentiæ conceptum esset, dissiparentur; bona« que, contacta pretiis regni mercandi, publicarentur. Jubere itaque « quæstores vendere ea bona, atque in publicum redigere. » (Liv. IV, 15).

(3) Liv. III, 50. Cependant les Douze Tables prononcent, au moins une fois, la capitis sacralio. « Patronus si clienti fraudem fecerit, << sacer esto. » (Table VIII, fr. 7; - Manuel de Pellat, p. 721).

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