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JUN 27 1921

DROIT ROMAIN

DE LA CONFISCATION A ATHENES & A ROME

INTRODUCTION.

La confiscation n'est pas un sujet d'actualité (1). Depuis 1814, elle a disparu de nos lois et personne ne demande son rétablissement. Comme ces vieilles armes qui se rouillent dans nos musées, elle est maintenant hors d'usage, après avoir ravagé le monde. Les discussions même qu'elle avait soulevées sont oubliées : on trouve à peine dans nos traités de droit pénal un résumé des arguments qui l'ont condamnée. Il serait inutile de reprendre un débat épuisé et de montrer longuement l'injustice d'une peine qui fut si longtemps appliquée. Nous rappellerons seulement qu'on a reproché à la confiscation de frapper des innocents et d'intéresser le

(1) Il s'agit ici de la confiscation considérée comme peine criminelle. La confiscation prononcée sans autres motifs que la raison. d'État n'a pas de place dans le droit. Ce n'est qu'un abus de pou

voir.

pouvoir aux condamnations qu'il prononce (1). Les peines doivent être justes et utiles celle-ci n'était pas juste, puisqu'elle retombait de tout son poids sur la famille du condamné: elle n'était pas utile, puisqu'on a pu s'en passer.

Mais si la confiscation est morte, il est intéressant de savoir comment elle a vécu et comment elle a succombé. On doit étudier les institutions oubliées comme les géologues étudient les races éteintes dont il ne nous reste que des ossements. Nous ne les verrons plus; mais elles sont une partie de l'histoire. Elles montrent le chemin parcouru dans le passé et quelquefois le chemin qu'il reste à faire. Elles montrent la marche lente de l'idée de justice qui se dégage peu à des erreurs et des passions dont elle était d'abord entourée.

peu

Le droit de punir se confondit à l'origine avec l'idée de vengeance. La société se vengea en punissant (2), et comme la vengeance s'enflamme aisément, elle frappa ordinairement trop fort. Tous les

(1)« La confiscation a pour effet à peu près inévitable d'enflammer de cupidité l'esprit de parti et de corrompre ainsi ce qui, par soi-même, n'est déjà que trop corrupteur et corrompu. Et réduisant d'ailleurs non-seulement le condamné mais sa famille par contrecoup à l'indigence, la confiscation atteint l'innocent à l'occasion du coupable; elle l'exaspère sans motif, le provoque au crime, et tend à perpétuer les discordes civiles. » (M. de Broglie cité par Rossi, Traité de Droit pénal, t. II, p. 338).

(2) Thonissen, Droit pénal de la République athénienne, p. 70 et suiv.

moyens lui parurent bons: les châtiments furent cruels et exagérés (1). On imagina des supplices pour rendre la mort longue et douloureuse; on poursuivit le crime dans les parents de ceux qui l'avaient commis. Nous trouvons aux débuts de l'histoire des peines qui frappent avec le coupable tout ce qui tient à lui, sa famille et ses biens (2).

(1) Les peines primitives ne s'appliquaient pas à tous les faits que nous considérons comme des délits. Elles frappaient seulement ceux qui semblaient une offense directe à la société. Lorsque l'offense avait été commise contre un particulier, les lois n'ordonnaient qu'une réparation pécuniaire la société ne se croyait pas lésée. L'idée du dommage social était beaucoup moins large qu'elle ne l'est aujourd'hui. Voyez sur ce point, Sumner Maine, L'ancien droit,

:

p. 348 et suiv., et Thonissen, p. 35.

(2) Du Boys, Histoire du droit criminel des peuples modernes, t. 1er. p. 114 et sq. et p. 247. Histoire du droit criminel de l'Angleterre, p. 49 et sq. Dans le droit primitif des Germains, le condamné était traité comme un loup. Pour détruire son souvenir on brûlait sa maison (Wilda, Strafrecht der Germanen, p. 288). — Le peuple Athénien rendit le décret suivant contre Archeptolème et Antiphon, coupables de trahison. « Ils seront livrés aux Onze; leurs biens seront confisqués... leurs maisons rasées, et le sol qu'elles occupaient entouré de bornes sur l'une desquelles sera gravée cette inscription: Ici étaient les maisons des traîtres Archeptolème et Antiphon... Ils sont déclarés infâmes, eux et leur postérité, et quiconque adoptera un de leurs enfants sera lui-même noté d'infamie. >> (Pseudo-Plutarque, Vie des dix orateurs, Antiphon, 27). A Rome, celui qui déplaçait une borne pour agrandir son champ était dévoué aux Dieux : « Sa maison sera détruite, sa race s'éteindra. Il sera rongé de maladies et de plaies; ses membres tomberont de consomption. Sa terre même sera ravagée par les intempéries de l'air. L'orage et la grêle frapperont et abattront ses fruits; les feux de la canicule, la rouille les détruiront. » (Vegoia, Script. rei agrariæ, édit. Gœz,

La confiscation sortit de ces peines et en fut d'abord une atténuation. On prit les biens, mais on épargna la famille. C'était un progrès et pendant longtemps ce fut le seul. La société ne se serait pas crue assez vengée si elle n'avait frappé le coupable, à la fois dans sa personne et dans son patrimoine. La peine pécuniaire paraissait d'ailleurs le complément naturel des peines corporelles et un moyen d'en mieux assurer l'exécution. On l'organisa avec soin, on en régla les effets aussi équitablement que possible, on lui fit une large place dans le droit. Ce fut le bel âge de la confiscation.

Cependant les mœurs s'adoucirent, les idées changèrent et la justice fit un nouveau pas. On trouva que les enfants ne répondaient pas des fautes de leurs pères, que les peines doivent être personnelles, et que la confiscation ne l'est pas. Dès ce jour, elle fut condamnée. Mais le pouvoir ne renonça pas facilement aux avantages qu'il en retirait. Il la défendit et la fit survivre longtemps aux idées dont elle était née. Enfin lui-même fut convaincu et la confiscation fut abolie.

Cette évolution s'accomplit presque tout entière dans l'histoire du droit romain. Nous y trouvons d'abord la peine primitive, la sacratio capitis, qui

p. 258). - La vengeance céleste poursuivait ordinairement le coupable dans ses descendants, par exemple dans les familles d'Atrée et d'OEdipe.

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