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DROIT FRANÇAIS

DU CARACTÈRE ET DES EFFETS DU PARTAGE

DANS L'ANCIEN DROIT

Si du droit romain on passe immédiatement au droit moderne, on est tout étonné de rencontrer dans le chapitre des effets du partage, à l'article 883, un principe absolument opposé à celui du droit romain.

Sous l'influence de quelles causes la théorie traditionnelle a-t-elle été abandonnée ? Comment a-t-on motivé l'introduction de la théorie nouvelle ? Quelles sont les résistances contre lesquelles eurent à lutter les jurisconsultes qui vinrent soutenir que le partage était déclaratif? Comment s'opéra la transition du système romain au système de l'article 883 (1)?

1. L'étude des origines de l'article 883 nous a été singulièrement facilité par les leçons de M. Lefebvre sur le Droit coutumier; que notre savant maître nous permette de lui exprimer ici toute notre reconnaissance.

Pour répondre à ces questions avec plus de clarté, il nous paraît nécessaire de rappeler sommairement les caractères du régime politique et territorial qui s'établit après la chute de l'empire romain.

de

La théorie du partage déclaratif fut, en effet, une arme guerre dont les légistes se servirent contre la féodalité. Mais encore fallait-il que la féodalité primitive, militaire eut subi de profondes modifications pour que la question du partage pût se poser.

Avec l'empire romain disparut le pouvoir central, la puissance unitaire fortement constituée qui avait réussi à imposer son autorité aux peuples les plus éloignés de Rome. L'anarchie qui s'en suivit permit à des seigneurs puissants de réunir entre leurs mains la puissance publique et de vastes domaines. Ils concédèrent à leurs compagnons des terres pour un temps plus ou moins long. Ce contrat qui reliait les deux seigneurs donnait naissance à des obligations réciproques. Il se montra sous des formes variées, mais la considération de la personne en fut le principal élément. Il en résultait que le terme expiré, la concession était résolue et le seigneur dominant le suzerain, rentrait en possession du domaine concédé au seigneur inférieur : le vassal. Ce dernier n'avait donc qu'un droit temporaire et ne pouvait disposer de la terre concédée ni par succession ni autrement. Les assises de Jérusalem qui réflètent très exactement l'ancien droit féodal nous donnent à ce sujet des renseignements très précis (V. Jean d'Ibelin. He cour. ch. 142, 143 et 183). Mais les possesseurs de la

terre devaient naturellement tendre à consolider les concessions qui leur étaient faites. Par une longue série d'usurpations qu'un roi de France, Charles le Chauve, eut l'imprudence de consacrer par un édit (V. Edit de Kiersy-surOise) les vassaux arrivèrent dès le 1xe siècle à se faire reconnaître le droit de transmettre leur fief soit à leur héritier direct, soit à un plus proche parent.

La patrimonialité des fiefs s'établit avec le temps d'une façon définitive et avec elle le droit de partager les fiefs inférieurs. L'interdiction d'aliéner restant entière, on aurait dû, d'après les principes romains, empêcher le partage, mais on ne s'arrêta pas à ces difficultés.

Même dans les fiefs supérieurs, le partage tendit à s'établir. Les seigneurs rappelèrent l'ancienne prohibition (D'argentré. Advis sur les partages nobles. Assise de Geoffroy, duc de Bretagne, 1185). Le fief supérieur indivisible en principe jusqu'au xvI° siècle se partagea cependant en fait, mais alors pour maintenir dans son intégrité le service du fief, on eut recours à une fiction. Le fief partagé, en réalité, était réputé entier à l'égard du scigneur. Les cadets tenaient leur part de l'aîné comme des arrières-vassaux. Cette organisation prit le nom de parage. Les rois de France combattirent le parage non pas dans le but d'attribuer tout le domaine à l'aîné et de fortifier ainsi la puissance des seigneurs; mais, au contraire, pour l'amoindir, en exigeant que chacun des copartageants tienne sa part du seigneur direct sans intermédiaire (Philippe II, ord. du 1er mai 1210. Brussel, t. 2, p. 874).

La puissance royable va peu à peu à peu se relever et rétablir l'autorité centrale. Les rois vont engager la lutte

avec les seigneurs et s'efforcer de leur reprendre la puissance publique qu'ils avaient attachée à leurs terres ; c'est l'expression dont Loyseau se servira plus tard pour caractériser la féodalité.

A partir de Louis XI, le service militaire est dû aux rois et les guerres privées déjà gênées par la trève de Dieu (1041) et la quarantaine le Roi (Philippe-Auguste, 1257) vont définitivement cesser au XIV° siècle.

La civilisation se développe avec ses conséquences habituelles ; les seigneurs ruinés, d'ailleurs, par les croisades, vont avoir besoin d'argent pour faire face à une situation nouvelle. La défense d'aliéner disparaît, mais pour se dédommager du droit qu'ils abandonnent et à titre de transaction, les seigneurs vont percevoir des profits sur les mutations intervenues. Il est difficile d'indiquer l'époque exacte à laquelle ces nouveautés s'introduisirent; ce ne fut pas en un jour, tout d'une pièce ; mais dès le xu siècle la féodalité militaire disparait et n'est plus qu'un système compliqué, vexatoire, de propriété foncière. Les droits perçus à chaque mutation représentant le prix du consentement du seigneur; ils ne purent être exigés que dans les cas où ce consentement était nécessaire; or la Iransmission du fief aux héritiers directs s'opérait de plein droit et par cela seul que les fiefs étaient devenus héréditaires.

D'autre part, le partage entre les mêmes héritiers, par

une conséquence naturelle de leur droit héréditaire n'était pas soumis aux profits; la mutation résultant de la transmission entre les héritiers directs et le partage qui s'opérait entre eux durent logiquement être soustraits à l'impôt féodal (Beaumanoir. Cout. de Beauvoisie, ch. XIV, n° 8, ch. XXVII, no 4). Cependant il est possible qu'à une époque de transition les profits furent perçus même en ligne directe (Somme rurale de Boutillier. Observations sur ce titre 84. Henrion de Pansey. Dissertations féodales. Droits seigneuriaux, § 1, no 5).

La lutte contre les profits féodaux se traduisit de divers manières; c'est en haine de ces droits que fut introduite la maxime le mort saisit le vif qui au début ne s'appliqua qu'aux censives, mais qui finit par s'appliquer aux fiefs.

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Elle eut pour effet de faire disparaître l'ensaisinnement, dès le xiv siècle. Nous la verrons souvent invoquée, dans notre matière, par les praticiens du xvr° siècle. C'est au xvi° siècle, en effet, qu'on chercha à se rendre compte des raisons pour lesquelle ies partages n'acquittaient pas de profits et à étendre cette immunité à la souite et à la licitation (art. 55. Cout. de Paris. Art. 33, Cout. Bretagne).

Il y avait là pour les légistes qui, aidés par le pouvoir royal, avaient déjà porté tant de coups à la féodalité, l'occasion de jouer un bon tour aux seigneurs. Il n'y manquérent pas. Aussi bien les profits étaient considérables. En cas de partage en nature, c'était pour les fiefs le relief, le revenu d'une année; en cas de soulte ou de licitation c'etait le quint, le cinquième du prix; pour les censives on

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