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puisse présumer qu'il a renoncé à sa propriété. C'est ce mode d'acquérir que l'on nomme en droit, prescription. [L'on voit, d'après cela, que je regarde la prescription comme étant du droit naturel. Et, en effet, j'ai toujours pensé que la prescription, surtout à l'effet d'acquérir, était fondée sur ce que l'on présume que le propriétaire qui a laissé passer un long intervalle de temps sans réclamer sa chose, était censé l'avoir abandonnée, eam pro derelictá habuisse. Or, le mode d'acquisition d'après lequel on devient propriétaire d'une chose abandonnée, est bien certainement une espèce d'occupation, et rentre par conséquent dans le premier mode dont nous venons de parler. Cette distinction est importante pour déterminer l'effet de la prescription, notamment à l'égard des étrangers, de ceux qui sont privés des droits civils, etc.]

Il est encore un mode particulier d'acquisition, qui est également fondé sur la loi naturelle : c'est celui qui est nommé par les Jurisconsultes, Droit d'accession, parce qu'il est relatif aux accessoires de la chose, c'est-à-dire à ses fruits et produits, ainsi qu'aux accroissemens et bonifications qu'elle peut éprouver. Il est dans l'ordre naturel que ces objets appartiennent au propriétaire de la chose principale, à la charge par lui de rembourser les dépenses qu'ils ont pu occasioner à des tiers.

Enfin le quatrième droit naturel est celui que nous avons d'exiger des autres hommes, qu'ils ne nous troublent pas dans le juste exercice de nos droits. C'est ce droit qu'on peut appeler droit d'égalité, et qui consiste en ce que, quelqu'avantage qu'un homme ait, par le fait, au-dessus d'un autre, il n'a pas pour cela le droit de violer les Lois à son égard, plus que celui-ci n'en a de les violer par rapport à lui.

C'est sur le principe de l'égalité, ainsi entendu, que sont établis les axiomes suivans:

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Qu'il ne faut pas faire à autrui ce que nous ne voudrions pas que l'on nous fît à nous-mêmes :

Que nous devons être toujours disposés à faire en faveur des autres, ce que nous voudrions qu'ils fissent pour nous en pareille circonstance;

Enfin, un troisième axiome, qui n'est que le résultat des

deux premiers, c'est qu'il n'est pas permis de s'enrichir aux dépens d'autrui.

De ces axiomes découlent plusieurs conséquences qui sont la base de toutes les obligations de l'homme considéré dans l'état de société.

Première conséquence: Obligation de réparer le dommage que l'on a causé. Mais, pour que cette obligation existe, il faut :

1o Que l'acte qui a occasioné le dommage, soit défendu par quelque Loi;

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2° Que cet acte puisse nous être imputé directement ou indirectement; ce qui exclut les cas purement fortuits et de force majeure. (Cod. Civil, art. 1148 et 1384.)

3o Enfin, que celui qui souffre le dommage, n'y ait pas

consenti.

[Si je n'ai fait qu'user de mon droit, quand même il en serait résulté du dommage pour un tiers, je ne suis pas tenu de le réparer. Cependant ce principe, qui est vrai en général, peut, dans l'usage, admettre quelques modifications, d'après la règle Malitiis non est indulgendum. (Voyez l'art. 645.)

[Lorsqu'il y a cas fortuit, le principe général est, que la perte est pour le propriétaire de la chose. Si cependant le cas fortuit avait été précédé d'une faute de la part d'un tiers, qui y eût donné lieu, ce tiers pourrait en être tenu. Ainsi, le dépositaire n'est certainement pas tenu du préjudice censé par cas fortuit à la chose déposée. Si cependant il y a, de sa part, une négligence inexcusable, lata culpa ; si, par exemple, il s'agit d'un bijou qu'il a laissé sur une cheminée, sur une table, et qui ait été volé, il est tenu d'en rembourser la valeur. Le déposant peut dire que le vol n'eût pas été fait, si le bijou eût été renfermé : c'est pour cela que nous disons les cas purement fortuits; c'est-à-dire, qui ne peuvent être attribués qu'au hasard.

[Si celui qui souffre le dommage y a consenti, c'est parce qu'il a reçu d'avance l'indemnité, ou parce qu'il a voulu gratifier l'autre partie. Dans les deux cas, il est non-recevable à se plaindre : de là l'axiome, volenti non fit injuria.]

Deuxième conséquence: Obligation de réparer le dommage que les autres ont éprouvé, même à notre insu, et sans aucun fait qui nous soit imputable, lorsqu'il en est résulté pour nous quelqu'avantage. Mais cette obligation étant fondée sur le principe, que l'on ne doit pas s'enrichir aux dépens d'autrui, il s'ensuit que nous ne devons, dans ce cas, la réparation du dommage, que jusqu'à concurrence seulement de l'utilité que nous avons tirée du fait qui l'a causé. [c'est-à-dire lorsqu'il n'y a aucun fait de notre part; car si le dommage a été éprouvé en exécutant un ordre que nous avions donné, il est clair que nous en devons réparation, quand même il n'en serait résulté pour nous aucune utilité.

[C'est sur ce principe qu'est fondée l'obligation de celui dont les affaires ont été gérées à son insu. Il est tenu de rembourser toutes les dépenses qui ont été faites par le gérant, si elles ont été faites utilement, c'est-à-dire si elles lui ont procuré un avantage, et jusqu'à concurrence seulement de l'avantage qu'elles lui ont procuré. Si donc les dépenses égalent cent, et que l'avantage soit égal à cinquante, il sera tenu seulement de rembourser cinquante.] Cette obligation existe même à l'égard de celui qui possède de mauvaise foi une chose qui nous appartient. (Cod. Civil, art. 548.)

Troisième conséquence : Obligation pour chacun de contribuer, autant qu'il le peut, à l'avantage et au bonheur d'autrui; d'où il résulte :

1° Que l'on est tenu de faire le bien d'autrui, toutes les fois qu'on le peut sans en éprouver soi-même de préjudice. [C'est pour cette raison que le Code de Commerce, art. 154, oblige le dernier endosseur d'une lettre-de-change qui se trouve égarée, de prêter son nom et ses soins au propriétaire de la lettre, pour agir contre l'endosseur précédent, et ainsi en remontant, d'endosseur en endosseur, jusqu'au tireur de la lettre, afin d'obtenir de ce dernier qu'il en délivre un second exemplaire; mais à la charge par le propriétaire de la lettre, de supporter tous les frais.

De même, l'article 1768 du Code Civil oblige le fermier d'un bien rural, sous peine de tous dépens, dommages et intérêts, d'avertir le propriétaire, des usurpations qui peu

vent être commises sur le fonds. La même obligation est imposée à l'usufruitier par l'art. 614.] (Cod. de Com. 154; Cod. Civil, 614 et 1768.)

2° Que l'on est tenu de le faire également, même quand il en résulterait un préjudice pour soi-même, si ce préjudice est infiniment modique en comparaison de l'avantage qui doit en résulter pour autrui. [Ainsi l'article 682 donne au propriétaire d'un terrain enclavé de manière à n'avoir aucune issue sur la voie publique, le droit de contraindre le voisin de lui fournir un passage, moyennant une juste et préalable indemnité. Certainement il peut résulter de cette mesure une gêne, un préjudice pour le voisin, préjudice qui n'est pas toujours compensé par l'indemnité qui lui est accordée; mais ce préjudice est très-modique, en comparaison de celui qu'éprouverait le propriétaire du terrain enclavé, qui, autrement, se trouverait entièrement privé de la jouissance de son fonds.

C'est encore d'après ce principe que l'article 249 du Code de Commerce ordonne, qu'en cas de disette de vivres sur un bâtiment en mer, celui qui a des vivres pour son usage particulier, soit tenu de les mettre en commun, en lui en payant la valeur. On n'a pas voulu qu'un passager fût dans l'abondance, tandis que les autres seraient exposés à mourir de faim.] (Cod. Civil, 682.)

Quatrième conséquence: Obligation de remplir fidèlement les engagemens valables que l'on a contractés. Mais pour que l'engagement soit valable, il faut :

1° Que les parties aient l'usage de la raison;

2o Que leur consentement soit libre, exempt de dol et d'erreur;

3° Qu'il soit réciproque;

4° Enfin que l'objet de ce consentement soit licite.

Telles sont, en très-peu de mots, les principales disposi→ tions du droit naturel, dispositions dont nous trouverons souvent l'application dans les lois civiles dont l'explication est l'objet du présent cours.

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Les Lois positives sont celles qui ne doivent qu'à l'homme leur existence et leur autorité.

Elles diffèrent des Lois naturelles, en ce que 1o celles-ci sont fondées uniquement sur la raison et l'équité, qui sont immuables, et qui ne dépendent ni des temps ni des lieux. Elles ne peuvent donc varier, et règlent également toutes les actions des hommes. Les lois positives, au contraire, devant toujours être faites en considération des mœurs, du caractère, et même des vices du peuple qu'elles doivent régir, varient nécessairement en raison des circonstances; et comme une action n'est injuste en droit qu'autant qu'elle est contraire aux dispositions d'une Loi existante, il en résulte que la loi positive ne peut étendre son autorité sur les actes antérieurs à son existence. C'est donc un principé consacré par toutes les législations, et notamment par l'article 2 du Code, que la Loi (positive) ne dispose que pour l'avenir, et ne 2. peut avoird'effet rétroactif (1). [C'est un principe très -vrai en politique, que les lois, même civiles, doivent être faites en considération ou vices du peuple qu'elles doivent régir. Sans doute elles doivent tendre, non à favoriser, mais à corriger ces vices: mais cependant, une loi qui serait faite dans la supposition que ceux qu'elle doit régir sont tous vertueux, ne ferait qu'augmenter leur corruption, quand ils sont déjà corrompus. Supposons, par exemple, qu'un Législateur, dans le siècle actuel, regardant comme impossible qu'un homme rende sciemment un faux témoignage en justice, permette de prouver par témoins toute espèce d'obligations, quels abus n'en résulteront-ils pas? Et une pareille disposition n'aura-t-elle pas pour effet nécessaire d'encourager le faux témoignage, au lieu de le détruire? Dans ce cas done, un Législateur prudent, qui voudra ôter un appât au crime, et qui sentira, d'un autre côté, qu'il est impossible, dans le commerce habituel de la vie, de passer des actes pour une infinité de contrats de plus mince intérêt, admettra bien

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