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CHAPITRE PREMIER.

Des Lois considérées sous le rapport de leur origine.. Sous le rapport de leur origine, les lois se divisent en naturelles et positives.

SECTION PREMIÈRE.

Des Lois naturelles, et de leurs effets."

Les Lois naturelles sont celles que la raison éternelle, c'està-dire Dieu, a gravées dans tous les coeurs. Le recueil, la collection de ces Lois, forme ce qu'on appelle le Droit Naturel.

Il résulte de cette définition, que les Lois naturelles doivent être telles que l'homme puisse les connaître par le seul secours de la raison. Pour en donner une idée exacte, il est nécessaire d'établir quelques principes généraux, d'où découleront toutes les dispositions particulières.

On peut considérer l'homme sous trois rapports différens, qui, dans leur ensemble, embrassent tous les états particuliers dans lesquels il peut se trouver : 1o état de l'homme par rapport à Dieu; 2° état de l'homme par rapport à luimême; 3o état de l'homme par rapport aux autres hommes.

L'état naturel de l'homme, par rapport à Dieu, est éyidemment un état de soumission et de reconnaissance; de là il résulte que l'homme doit avoir un souverain respect pour Dieu, l'aimer, et lui obéir en toutes choses. C'est l'assemblage de tous ces sentimens qui se nomme Religion.

Par rapport à lui-même, l'homme devant tendre nécessairement à tout ce qui peut le rendre heureux, doit conséquemment faire tout ce qui convient à sa conservation et à son véritable bonheur.

Enfin, par rapport aux autres hommes, l'état naturel de l'homme étant un état de société, et aucune société ne pouvant subsister sans des sentimens mutuels de bienveillance entre les associés, il est nécessaire que les hommes aient ces sentimens les uns pour les autres.

Ainsi, trois principes généraux des Lois naturelles : la re ligion, l'amour raisonnable et éclairé de soi-même [parce

par

qu'il existe un amour de soi-même; mais amour désordonné et aveugle, qui nous porte à satisfaire nos passions, et qui, par une suite nécessaire, au lieu de nous mener au bonheur, finit nous rendre entièrement malheureux], et la bienveillance pour les autres hommes. Ces principes constituent ce qu'on peut appeler le droit naturel primitif, c'est-à-dire celui qui découle immédiatement de la constitution primitive et originaire de l'homme, et indépendamment d'aucun fait humain. [Que l'on prenne garde cependant que je n'ai entendu décider la question, s'il a jamais existé un état de pure nature; j'ai seulement voulu dire, que pour déterminer les droits et les devoirs primitifs de l'homme, ceux qui tiennent à son essence, il fallait pour un moment faire abstraction de tout fait humain, de toute institution humaine: comme, en géométrie, l'on considère le point, abstraction faite de toute longueur, largeur et profondeur; et la ligne, indépendamment de toute largeur et profondeur; ce qui n'est cependant pas possible physiquement.]

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Mais l'homme pouvant, en conséquence de sa liberté naturelle, apporter différentes modifications à son état primitif, et entrer dans plusieurs états éventuels et secondaires, il faut nécessairement que ces trois principes puissent encore lui servir de règle, et c'est leur application aux différens états dans lesquels l'homme peut se trouver, qui constitue ce qui est appelé par quelques auteurs, Droit Naturel secondaire, et les Romains, Droit des Gens secondaire.

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C'est de ce dernier droit que dérivent la propriété, les contrats, le droit des gens proprement dit, c'est-à-dire celui qui règle les rapports des nations les unes envers les autres, les droits et devoirs respectifs des parens et des enfans, ceux des époux, etc. (PUFFENDORF, 1, 238.)

Mais si la loi naturelle impose à l'homme des obligations, elle lui donne en même temps la jouissance de différens droits. Le premier et le principal est celui de la liberté natu– relle, qui peut être définie : le droit de faire tout ce qui n'est pas défendu par la Loi, [soit naturelle, soit civile. Cela est évident pour la loi naturelle. Toute transgression de cette loi étant un fait criminel, l'on sent aisément que

la liberté de l'homme ne peut aller jusqu'à violer les préceptes du droit naturel. Quant aux restrictions mises par les lois civiles à la liberté naturelle, il faut observer que, du moment que l'homme est réuni en société, il est censé faire le sacrifice d'une partie de sa liberté, pour prix des avantages qu'il retire de son admission dans cette même société. Il contracte donc, dès ce moment, l'obligation de se conformer aux lois établies par la société; et cette espèce de contrainte à laquelle il se soumet, lui devient, dit BLACKSTONE, beaucoup plus utile que la liberté sauvage, dont il jouissait. En effet, pour peu qu'il réfléchisse, il sentira que, s'il conservait le pouvoir absolu de faire toute sa volonté à l'égard des autres hommes, ceux-ci auraient le même privilége à son égard; d'où il s'ensuivrait que toutes ces volontés venant à se combattre mutuellement, la liberté n'existerait réellement plus que pour le plus fort. L'état de l'homme en société n'est donc autre chose que la liberté naturelle, restreinte et modifiée par la loi civile, pour l'avantage de la société entière et de chacun de ses membres.]

Nous disons tout ce qui n'est pas défendu par la Loi, parce que l'homme a bien, par la nature, le droit de disposer de sa personne, de ses actions et de ses biens, de la manière qu'il juge la plus convenable à son bonheur, mais sous la condition de ne blesser en rien ses devoirs [c'est sur ce principe qu'est fondé l'axiome: quidquid lege prohibetur, viro probo impossibile videtur. Voyez l'art. 1172, qui met sur la même ligne la condition physiquement impossible, et celle qui est contraire aux lois et aux bonnes moeurs. Il y a cependant, entre ces deux espèces de conditions, une différence dont nous parlerons sur ledit article] par rapport à Dieu, à lui-même, et aux autres hommes.

Le second droit naturel est la défense de soi-même. En effet, puisque, d'après le second principe ci-dessus, la Loi naturelle nous impose l'obligation de veiller à notre conser vation, elle nous donne, par cela même, le droit de faire un usage convenable de nos forces pour nous défendre contre tout agresseur, même quand il résulterait de cette défense, un préjudice notable pour ce dernier. [« Il n'y a ni crime.

>> ni délit, lorsque l'homicide, les blessures et les coups étaient >> commandés par la nécessité actuelle de la légitime défense » de soi-même ou d'autrui. » Code Pénal, art. 328.]

Mais, pour concilier ce droit avec les devoirs que nous avons à remplir envers les autres hommes, il faut que la défense soit juste, c'est-à-dire qu'elle réunisse les conditions exigées par la Loi, et qui sont :

1° Que l'agression soit injuste. Si une personne attaque un voleur pour défendre son bien, l'agression est juste; et si le voleur la tue, même en voulant se défendre, il est puni, avec raison, comme meurtrier.

2o Qu'on ne puisse éviter le péril d'une manière sûre, qu'en nuisant à son adversaire : ce qui aurait bien plus d'étendue dans l'état de nature que dans l'état civil, parce que, dans ce dernier état, le Gouvernement étant chargé du soin de défendre les particuliers contre toute injuste agression, on est tenu de recourir à sa protection et à son autorité, toutes les fois que les circonstances le permettent. [C'est sur ce principe qu'est fondée la distinction qui se trouve établie dans les articles 322 et 329 du Code Pénal. Dans ce dernier article, il n'y ni crime ni délit, lorsqu'un homicide a été commis en repoussant, pendant la nuit, l'escalade ou l'effraction des clotûres. Mais s'il a été commis en repoussant la même attaque pendant le jour, il est seulement excusable (art. 322); c'est-à-dire qu'il y a lieu à une moindre peine que pour l'homicide ordinaire (art. 326). La raison de différence est que, dans le premier cas, l'on peut croirequ'il a été impossible d'obtenir du secours du dehors. Par la même raison, je pense que, si l'habitation attaquée était isolée, et placée dans un endroit tellement écarté qu'il fût impossible d'être entendu, l'on appliquerait la disposition de l'article 329 à l'homicide commis même pendant le jour.]

3o Que la défense soit proportionnée à l'attaque, c'est-àdire qu'elle ne soit pas poussée au delà de ce qu'exigent lá défense de nous-mêmes et l'intérêt de notre conservation. [Si donc vous avez assez de supériorité de forces sur celui qui vous attaque, pour le mettre hors d'état de vous nuire sans le tuer, vous commettez, en le tuant, un meurtre dé

fendu par la loi naturelle, et qui, d'après les lois humaines, serait tout au plus excusable.] C'est cette proportion que les Jurisconsultes Romains appellent moderamen inculpato tutelæ. (L. 1. Cod. Undè vi.)

Le troisième droit naturel est la propriété, c'est-à-dire, le droit de se servir d'une chose et d'en disposer comme on le juge convenable, à l'exclusion de tout autre. Il est évident que ce droit ne tient pas à la constitution primitive et originaire de l'homme, mais qu'il suppose toujours un fait humain, par l'effet duquel la chose qui auparavant n'était à personne est devenue propre à quelqu'un en particulier. Or ce fait humain, qui produit la propriété, ne peut être autre chose que la prise de possession.

Mais comme la propriété une fois acquise à quelqu'un en particulier, devient un droit naturel dans sa personne, et ne peut en conséquence, lui être enlevée sans son consentement, il s'ensuit que la prise de possession ne suffit pour acquérir la propriété, qu'autant que la chose qui en est l'objet, n'appartenait à personne auparavant.

L'on peut donc, d'après cela, distinguer deux modes principaux d'acquisition : l'un relatif aux choses qui n'appartiennent à personne, et qui sont acquises par la seule prise de possession (c'est ce mode que l'on nomme occupation); et l'autre, relatif aux choses qui appartiennent à quelqu'un, et qui ne peuvent être acquises par la prise de possession, qu'autant qu'elle est accompagnée du consentement valable du propriétaire. C'est ce mode qui, dans le droit Romain, est nommé tradition. [Le code ayant décidé, article 1138, que le seul consentement suffit en général pour transférer la propriété, la tradition n'est plus mise au nombre des manières d'acquérir. (Art. 711 et 712.) Cependant ce principe est encore sujet à plusieurs exceptions, comme nous le verrons sur ledit article 1158.]

Ce consentement est le plus souvent exprès et formel, et alors il a pour effet de transférer de suite la propriété. Quelquefois aussi ce consentement n'est que présumé, c'est-àdire qu'il résulte du silence et de l'abandon du propriétaire pendant un intervalle de temps assez long pour que l'on

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