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s'aperçut de la faute commise par Rochambeau qui avait négligé de faire occuper l'avantageuse position de Charrier.-Il donna à Capois l'ordre de s'y établir. Mais, pour y arriver, il fallait affronter les feux de l'artillerie et de l'infanterie ennemies. Le 18 Novembre au matin les colonnes s'ébranlèrent sans souci des boulets et des balles qui fauchaient leurs rangs.Rochambeau, aux premières détonations, était accouru du Cap avec toute sa garde d'honneur, artillerie et infanterie. Il prit position à Vertières et soutint ainsi les furieux assauts livrés par Capois. De part et d'autre l'on se battit avec courage. Les généraux indigènes, stimulés par la présence de Dessalines et par la grandeur du but à atteindre, empoignèrent le mousquet et combattirent à côté de leurs soldats; tous rivalisèrent d'ardeur. Quant à Capois, il arracha un cri d'admiration même à Rochambeau. Balayées par la mitraille, décimées par les balles de l'infanterie, ses colonnes revenaient sans cesse à la charge, électrisées par l'audace avec laquelle leur chef affrontait la mort. Un boulet abat son cheval; Capois est renversé. Mais, avec la rapidité de l'éclair, il se remet debout. Le sabre au poing, il s'élance de nouveau à la tête de ses troupes. "Bravo!." crient les soldats français !. Rochambeau fait cesser le feu et un cavalier s'avance vers les indigènes étonnés. "Le Capitaine général Rocham"beau," s'écrie-t-il, "félicite l'officier général qui vient "de se couvrir de tant de glorie!.—”

Ce messager disparu, le combat recommença avec acharnement. Dans l'après-midi une pluie torrentielle vint y mettre fin. Des deux côtés, les pertes furent énormes. Mais le résultat de cette journée préparée par Dessalines, achevée avec l'aide de Clervaux qui eut une épaulette enlevée par la mitraille, de Vernet, de Gabart, de J. P. Dacet, de Cangé, et de l'immortel Capois-la-Mort, eut d'immenses conséquences pour les indigènes; il leur donna une patrie.

Rochambeau s'était empressé de rentrer au Cap dont les positions extérieures furent en partie évacuées.

Et dans la nuit même il envoya un parlementaire à Dessalines. Et le 19 Novembre fut signé l'acte de capitulation ci-après: " "Aujourd'hui 27 Brumaire "an XII (19 Novembre 1803), l'Adjudant commandant "Duveyrier, chargé des pouvoirs du Général en chef "Rochambeau, commandant l'armée française, pour "traiter de la reddition de la ville du Cap,-et moi "Jean-Jacques Dessalines, sommes convenus des ar"ticles suivants :

“1°.—La ville du Cap et les forts qui en dépendent "seront remis, dans dix jours à dater du 28 présent, "au général en chef Dessalines.

"2.-Les munitions de guerre qui seront dans les "arsenaux, les armes et l'artillerie seront laissées dans "l'état où elles sont présentement.

"3.-Tous les vaisseaux de guerre at autres qui "seront jugés nécessaires par le Général Rochambeau, "tant pour le transport des troupes et des habitants "que pour l'évacuation, seront libres de sortir au jour "'indiqué.

"4°.-Les officiers militaires et civils, les troupes "composant la garnison du Cap, sortiront avec les hon"neurs de la guerre, emportant leurs armes et les effets "appartenant à leurs demi-brigades.

"5°.-Les malades et blessés hors d'état d'être trans"portés seront traités dans les hôpitaux jusqu'à leur "guérison. Ils sont spécialement recommandés à "l'humanité du Général Dessalines.

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"6°.-Le Général Dessalines en donnant l'assurance "de sa protection aux habitants qui resteront dans la "place, réclame de la justice du Général Rochambeau la mise en liberté des hommes du pays, quelle que "soit leur couleur, lesquels ne pourront, sous quelque "prétexte que ce soit, être contraints à s'embarquer "avec l'armée française.

"7.-Les troupes des deux armées resteront dans "leurs positions respectives jusqu'au dixième jour fixé "pour l'évacuation du Cap.

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"B. Ardouin. Etudes sur l'Histoire d'Haiti, Vol. 5, p. 461.

"8°.-Le Général Rochambeau enverra pour sûreté 'des présentes conventions, l'Adjudant général Urbain "Devaux, en échange duquel le Général Dessalines re"mettra un officier du même grade.

"Fait double et de bonne foi, au quartier-général du "Haut-du-Cap, les dits jours, mois et an précités.

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"(Signé) DESSALINES. DUVEYRIER."

Cet acte de capitulation, dit Marcus Rainsford," atteste la magnanimité de Dessalines.

Le Commodore Loring, chef de l'escadre anglaise qui en ce moment-là croisait dans les parages du Cap, fit prier Dessalines de lui envoyer des pilotes afin de pouvoir entrer dans le port. Ne se souciant pas de laisser dire que les Anglais l'avaient aidé à prendre la ville, le Général en chef de l'armée indigène refusa d'accéder à ce désir. Rochambeau 13 finit pourtant par signer avec eux une capitulation qui rendait prisonnière de guerre toute la garnison française. Le 29 Novembre 1803 Dessalines prit possession du Cap. Et le 4 Décembre le Colonel Pourcely entra au Môle, évacué par le Général de Noailles.

Saint Domingue était définitivement perdu pour la France. Après un an d'héroïques efforts, les indigènes étaient enfin maîtres d'une terre, largement arrosée de leur sang. L'emblème de la liberté, le drapeau bicolore, flottait sur toute l'ancienne partie française.

James Franklin," apprécie comme suit, la conduite des nouveaux possesseurs de l'île: "Il serait mal de "ne pas exprimer l'admiration méritée par la résis"tance des noirs; ce qui détruit l'accusation de lâcheté "portée contre eux par les colons. A l'évacuation de "I'île, les troupes noires n'étaient pas de beaucoup in

An historical account of the Black Empire of Hayti.-1805, p. 341. 13 Fils du Comte de Rochambeau dont la statue décore une des places de Washington, Donatien de Rochambeau, devenu prisonnier des Anglais à sa sortie du Cap, resta en Angleterre jusqu'en 1811. Echangé à cette époque il fut employé à l'armée d'Allemagne et mourut en 1813 à la bataille de Leipsick.

"The present state of Hayti, p. 169, 170.-Londres, 1802.

"férieures aux françaises au point de vue de la dis"cipline; au point de vue du courage, elles étaient "égales. Quand on pense que les noirs étaient dans la "plus grossière ignorance et dans un état de dégrada"tion morale, nous ne pouvons que nous étonner de "les voir, dans les moments où la colère appellerait la "vengeance, s'abstenir d'actes de cruauté et de torture, "tandisque leurs insatiables ennemis commettaient les "plus choquantes barbaries (most shocking barbar"ities)."

CHAPITRE X.

d'Haïti

Proclamation de l'indépendance-Saint-Domingue redevient Haïti-
Dessalines, premier Chef d'Etat haïtien (ler Janvier 1804-17
Octobre 1806) Intrigues des Anglais-Organisation
forcément militaire-Mécontentement provoqué par les actes de
Dessalines-Sa mort.

La lutte pour la suprématie avait coûté la vie à plus de cinquante-mille Français.' Dessalines voulut qu'une déclaration solennelle, en consacrant son triomphe, fit connaître à la France qu'un nouvel Etat avait remplacé son ancienne colonie. Et, par une heureuse inspiration, il choisit, pour proclamer l'indépendance d'Haïti, la ville témoin de la traitreuse déportation de Toussaint-Louverture. A la fin de Décembre il se rendit à Gonaïves où ses généraux s'étaient également assemblés. Sur la place d'armes de cette ville, le 1er Janvier 1804, tous jurèrent de renoncer à jamais à la France, de mourir plutôt que de vivre sous sa domination. Un peuple ivre de joie acclama ce serment. L'enthousiasme fut à son comble quand Boisrond-Tonnerre, Secrétaire du Général-en-chef, donna lecture de l'acte de naissance d'Haïti. Le voici :

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'Aujourd'hui ler Janvier, 1804; "Le Général-en-chef de l'armée indigène, accom"pagné des généraux chefs de l'armée, convoqués à "l'effet de prendre les mesures qui doivent tendre au "bonheur du pays;

"Après avoir fait connaître aux généraux assemblés "ses véritables intentions d'assurer à jamais aux indi

1 Gastonnet des Fosses. La perte d'une colonie, page 348.

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