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frégate des Etats-Unis le "Connecticut" venait d'arriver aux Gonaïves. A son bord se trouvait un agent dont la mission consistait à renouer avec Dessalines les relations commerciales que l'on avait dans le temps avec Toussaint Louverture. Le Gouverneur Général d'Haïti ne négligea donc rien pour sauvegarder la dignité et les intérêts de son pays. Les menaces et les cajoleries le trouvèrent indifférent.

Et ce n'est certes pas par un mouvement de sotte vanité qu'il se fit proclamer Empereur d'Haïti. Le titre de Gouverneur Général était celui des anciens agents de la France; il pouvait donc prêter à équivoque et laisser croire que les Haïtiens dépendaient encore de l'ancienne mère-patrie. Il fallait une dénomination plus appropriée au chef d'un Etat Souverain. Bonaparte venait de se faire nommer Empereur des Français. L'occasion parut opportune de réaffirmer l'intention de rester indépendant. Cette considération décida Dessalines à prendre le titre que le maître de la France s'était donné. En Septembre 1804 les troupes l'acclamèrent Empereur d'Haïti. Cette qualification nouvelle n'ajoutait rien au pouvoir dictatorial dont il jouissait déjà. Et Dessalines fit preuve de grand bon sens en se refusant à créer une noblesse. Il ne voulut point établir de distinctions de rangs; il ne consentit même pas à laisser conférer des privilèges spéciaux à ses enfants: les citoyens étaient égaux et devaient rester égaux.

En devenant Jacques, Empereur ler d'Haïti, Dessalines n'avait point perdu de vue la nécessité d'assurer l'avenir. Les Français occupaient encore la partie espagnole de l'île. Le 6 Janvier 1805, le Général Ferrand, chargé du commandement de cette partie, prit un arrêté ordonnant de courir sus aux Haïtiens, de ne faire prisonniers que ceux qui n'auraient pas plus de quatorze ans, les autres devant sans doute être massacrés; les enfants mâles, les négresses et mulâtresses capturés, qui auraient moins de dix ans, devaient être vendus et attachés aux habitations de la colonie; ceux qui seraient agés de 12 à 14 ans devaient être vendus et exportés.

Pour toute réponse à cette barbare mesure, Dessalines envahit la partie espagnole à la tête d'une armée de 25,000 hommes. Il se mit en route le 16 Février et le 6 Mars ses troupes constamment victorieuses étaient devant Santo Domingo dont le siège commença. Cette ville serait tombée en son pouvoir, si le 27 Mars une escadre française n'avait paru avec des renforts. Craignant qu'un débarquement sur les côtes d'Haïti ne fût tenté en son absence, Dessalines s'empressa de lever le siège et d'évacuer la partie espagnole. Il ne mit que quatre jours pour franchir les 120 lieues qui le séparaient de Marchand, sa capitale. Ses appréhensions n'étaient heureusement point fondées: les Français n'avaient fait aucune démonstration contre Haïti. Dessalines ne prit pas moins de grandes précautions. Il s'occupa en même temps de l'organisation de son Empire. Le 20 Mai 1805, la première Constitution haïtienne fut promulguée. L'esclavage fut déclaré à jamais aboli. Dessalines que ses antécédents ne semblaient pas avoir façonné à un tel rôle, se révéla législateur. Il donna successivement au peuple haïtien un code pénal militaire, une loi sur les enfants nés hors mariage, une loi sur le mode de constater l'état civil des citoyens, une loi sur le divorce, une loi sur l'organisation des tribunaux. Des décrets établirent les circonscriptions militaires du territoire, autorisèrent l'ouverture de certains ports au commerce étranger; réglèrent le cabotage et fixèrent les droits d'importation.

Cependant, à cause même de ses qualités, Dessalines fut un administrateur peu commode. Homme d'action avant tout, il ne devait ses succès qu'à son infatigable énergie, à l'emploi de la force. Esclave, soldat ou général, il acceptait ou imposait la discipline: il obéissait ou se faisait obéir. L'obéissance passive que, comme chef militaire, il était habitué à exiger de tous, dut lui sembler le meilleur moyen de gouvernement. Ce système avait réussi dans la lutte contre les Français; pourquoi ne réussirait-il pas, appliqué à l'administration? Vif, pétulant, le nouveau chef d'Haïti avait la

décision aussi prompte que l'exécution: ses ordres ne devaient donc pas être discutés. Il se mit en conséquence à gouverner comme il avait accoutumé à commander à ses soldats: en maître absolu. A dire vrai, il ne s'écartait pas trop du régime despotique employé par les Français. Les divers Gouverneurs-Généraux n'avaient jamais montré un grand respect des libertés publiques. S'appuyant sur l'armée, ils s'étaient toujours cru tout permis; et les droits des particuliers les préoccupaient peu. Elevé à cette école, Dessalines ne pouvait certes pas être un administrateur libéral. Les connaissances rudimentaires de ses auxiliaires n'étaient pas de nature à adoucir la dictature qui lui avait été déférée. Son Ministre des Finances, le Général Vernet, savait à peine signer son nom. Les combinaisons économiques et financières pouvaient donc sans miracle laisser à désirer. Le temps, en faisant ressortir les erreurs commises, eut permis de tout mettre à point, comme aussi d'obtenir plus de liberté. Mais les contemporains de Dessalines n'étaient pas des hommes très patients; ses lieutenants s'effarouchèrent d'une tyrannie qu'ils avaient eux-mêmes contribué à forger. Et le bruit s'étant répandu que l'Empereur se proposait d'en faire arrêter les plus importants, une vaste conspiration s'ourdit. L'on exploita le mécontentement que quelques-unes des mesures administratives avaient provoqué dans le peuple. La rébellion éclata le 8 Octobre 1806 dans les environs de Port-Salut. En un clin d'oeil tout le Département du Sud fut en armes. Le Général Gérin, Ministre de la guerre, alors à l'Anseà-Veau, se mit à la tête du mouvement. Les insurgés reconnurent pour leur chef Henri Christophe qui était à ce moment là Commandant en chef de l'armée haïtienne. Pétion, commandant du Département de l'Ouest, se rangea du côté de la révolte. Le 16 Octobre les troupes insurgées étaient maîtresses de Port-auPrince: ce que Dessalines ignorait, tant les événements avaient été rapides. Le 15 Octobre, il avait quitté sa capitale, Marchand, pour aller rétablir l'ordre dans le Sud.

Sur sa route les conjurés avaient aposté des soldats. Ne se doutant pas du piège qui lui était tendu, l'Empereur s'avança en toute confance et ne tint aucun compte de l'avertissement que le 17 Octobre 1806, un de ses aides-de-camp, le Colonel Léger, lui donna au moment où il arrivait au Pont-Rouge. Quand il s'aperçut du danger qui le menaçait, il était déjà environné d'ennemis.

Il essaya de se défendre. Un jeune soldat, nommé Garat, fit feu; le cheval de Dessalines s'abattit. L'Aide-de-camp Charlotin Marcadieu se précipita au secours de son chef. En ce moment une décharge eut lieu: Dessalines avait cessé d'exister! Le libérateur d'Haïti périt ainsi,-victime des tristes mœurs de son époque et des idées de liberté qu'il avait fait triompher!

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Dessalines était né en 1758 sur l'habitation Cormiers dans la Grande-Rivière du Nord.

CHAPITRE XI.

Christophe, chef du gouvernement provisoire-Alexandre Pétion-Convocation d'une Constituante-Constitution de 1806-Christophe marche sur Port-au-Prince-Il est élu Président d'Haïti (28 Decembre 1806)-Guerre civile-Le Sénat destitue Christophe qui se fait élire au Cap Président de l'Etat d'Haïti (17 Février 1807)-Le Sénat élit Pétion Président d'Haïti le 9 Mars 1807-Christophe proclamé Roi d'Haïti (Mars 1811)-Efforts de la France pour reconquérir son ancienne colonie-Pétion aide Simon Bolivar-Pétion réélu Président le 9 Mars 1811 et le 9 Mars 1815-Elu Président à vie le 9 Octobre 1816, il mourut le 29 Mars 1818.

Ce fut au cri de "Vive la Liberté. A bas la tyrannie" -que l'on immola Dessalines. Dans l'Ouest et dans le Sud où l'insurrection avait particulièrement enflammé les esprits, le décès de l'Empereur provoqua une forte réaction contre le système de gouvernement qu'il avait établi. La discipline de l'armée s'en ressentit; des militaires abandonnèrent leurs régiments. Les citoyens n'étaient pas loin de croire que leur bon plaisir devait être leur seule règle. L'autorité ne se faisait guère sentir;-une sorte de licence avait presque remplacé le régime absolu. Christophe, devenu chef du gouvernement provisoire, ne pouvait être satisfait d'une telle situation. Le laisser-aller ne lui convenait guère. En ce qui concerne l'exercice et les prérogatives de l'autorité, il avait au fond toutes les idées de Dessalines. D'ailleurs l'insurrection n'avait pas eu le temps de pénétrer dans le Nord où il commandait. n'eut donc aucune peine à y maintenir la forte discipline qu'il avait contribué à établir. Comme son ancien chef, Christophe pensait que dans l'état où était Haïti le pouvoir personnel était seul possible. Il s'at

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