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ment fait connaître les diverses péripéties de la lutte farouche soutenue par son peuple pour arriver d'abord à la liberté et ensuite à l'indépendance.

Dans la seconde partie je donne un aperçu du climat et de l'organisation générale du pays; j'expose les coutumes, les mœurs des habitants, leurs efforts incessants vers un meilleur lendemain. J'en ai profité pour réfuter quelques-unes des calomnies dont ils ont été l'objet.

En parlant de l'esclavage et de la guerre de l'indépendance il m'a fallu rappeler les cruautés commises par les Français. Je me plais cependant à espérer que personne ne m'accusera de vouloir réveiller la moindre rancune contre la France. Les Haïtiens aiment sincèrement ce pays auquel ils confient, en général, l'éducation de leurs enfants. Dans les livres, dans les brochures, dans les articles de journaux consacrés à Haïti, l'on a pris l'habitude de parler de Dessalines et des soldats de la guerre de l'indépendance haïtienne comme de monstres à qui tout sentiment humain était inconnu; mais l'on passe volontiers sous silence les crimes de Rochambeau et des colons français. Qu'on lise sans parti-pris l'histoire d'Haïti et l'on verra si les représailles exercées par les Haïtiens n'avaient pas été provoquées par les barbares traitements qu'on leur avait infligés. Les faits se chargeront de démontrer l'injustice des accusations portées contre mes compatriotes qui n'ont reculé devant aucun sacrifice pour se créer une Patrie et pour abolir à jamais la honteuse institution de l'esclavage. Les Haïtiens revendiquent avec fierté l'honneur d'avoir été les premiers à mettre fin au triste système de l'exploitation de l'homme par l'homme. Les colères qu'ils ont encourues, le mauvais vouloir qu'ils ont rencontré, n'ont eu le plus souvent d'autre cause que la rancune des esclavagistes jointe au dépit des colons ou de leurs descendants pour lesquels Saint-Domingue avait cessé d'être une source de richesses bien ou mal acquises.

Dans le cours de cet ouvrage il m'est arrivé de mentionner des faits observés aux Etats-Unis. En les in

Haïti: son histoire et ses détracteurs

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voquant je n'ai entendu faire ni critique ni comparaison; j'ai simplement voulu, d'une part, réfuter certaines accusations, et, d'autre part, démontrer qu'Haïti n'avait pas le monopole de superstitions et de pratiques qui existent un peu partout, aux Etats-Unis aussi bien qu'en Europe. Si, sans le vouloir, j'avais cependant donné de l'ombrage au peuple américain, je le prierais d'ores et déjà de ne croire à aucune mauvaise intention de ma part; je garde un trop bon souvenir de son cordial accueil pour ne pas m'efforcer d'éviter tout ce qui pourrait froisser sa légitime susceptibilité.

En cherchant et en disant ce que j'estime être la vérité, je rends service aussi bien à mon pays qu'aux Etats-Unis; car, pour s'apprécier, les peuples se doivent bien connaître. Par préjugé ou par manque d'information les Américains se détournent d'Haïti où leurs capitaux et leur énergie peuvent trouver un placement avantageux; et d'autres profitent de leur abstention. Mieux renseignés, il leur sera possible, s'ils s'en soucient, d'avoir pour le moins leur part des bénéfices dont leurs compétiteurs jouissent maintenant seuls. Des relations cordiales, dégagées de toute arrière-pensée et de toute préoccupation, ne peuvent manquer de provoquer la confiance réciproque; et cette confiance réciproque sera fructueuse pour tous. Puisse mon livre contribuer à l'établir sur des bases solides en donnant aux Américains une juste idée des Haïtiens!

En attendant, ce m'est un doux plaisir d'exprimer ici toute ma gratitude à Mademoiselle Louise Bourke qui a bien voulu s'imposer l'ingrate tâche de reviser le texte anglais de cet ouvrage. De tout cœur je dis mercî à Mr. P. Thoby qui m'a aidé dans mes recherches; je dis mercî aux employés du Département d'Etat aussi bien qu'à ceux de la Bibliothèque du Congrès pour le gracieux empressement avec lequel ils ont toujours mis à ma disposition les volumes et documents que j'avais besoin de consulter.

Washington, Décembre 1906.

J. N. LÉGER.

PREMIÈRE PARTIE.

PARTIE HISTORIQUE.

CHAPITRE I.

Quisqueya ou Haïti-Sa position géographique-Ses premiers habitants; moeurs, religion, coutumes-Divisions du territoire.

Entre le 17e degré 55 minutes et le 20e degré de latitude septentrionale, et entre le 71e degré et le 77e degré de longitude occidentale du méridien de Paris,1 gît l'île qu'aux Etats-Unis l'on se plait à appeler Haïti la mystérieuse.2

Avant le 15e siècle, ses habitants, au nombre environ d'un million, vivaient relativement heureux: l'ancien monde ignorait jusqu'à leur existence. Fortement basanés, de taille plutôt petite, ils avaient les cheveux longs, noirs et lisses. De mœurs simples, plus indolents qu'actifs ils se contentaient de peu; leurs besoins n'étaient d'ailleurs pas bien grands. Les hommes et les filles ne portaient aucun vêtement; les femmes seules avaient un pagne qui ceignait leurs reins et ne descendait pas audessous du genou. La pêche, la chasse, le maïs, des légumes de culture facile pourvoyaient à leur entretien; le coton leur permettait de tisser des hamacs, des filets, etc.; ils trouvaient du plaisir à

1 B. Ardouin, Géographie de l'Ile d'Haïti.

2

D'après l'Encyclopedia Britannica, Haïti ressemble à une tortue dont la tête formerait la partie orientale et dont les pattes postérieures constitueraient la partie occidentale.

3 Placide Justin, Histoire d'Haïti.

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fumer les feuilles desséchées du tabac. La polygamie était pratiquée. A travers les cérémonies grossières de leur religion l'on pouvait démêler la notion de l'immortalité de l'âme et la conception d'un Etre Suprême dont la mère, Mamona, était l'objet d'un culte spécial. Dans l'autre vie les bons devaient être récompensés; et l'on se retrouvait au paradis avec les parents, les amis et surtout avec beaucoup de femmes. Ils considéraient comme sacrée une caverne d'où, d'après eux, le soleil et la lune s'étaient échappés pour aller briller au ciel. On y célébrait chaque année une espèce de fête publique.-Femmes et hommes s'y rendaient en procession ayant à leur tête le cacique ou le plus notable du lieu. La cérémonie s'ouvrait par les offrandes que les prêtres ou "butios" présentaient aux dieux, en poussant de grands cris. Les femmes dansaient au son d'un tambour et chantaient les louanges des dieux ou Zémès. L'on finissait par des prières pour le salut et la prospérité du peuple. Les prêtres rompaient alors des gâteaux dont les morceaux distribués aux chefs des familles étaient précieusement conservés; car, suivant une croyance dont les traces se retrouvent de nos jours chez des nations civilisées, ces morceaux de gâteaux conservés avaient la puissance de préserver de toutes sortes d'accidents ou de maladies.

Les divinités étaient représentées sous des formes bizarres des crapauds, des tortues, des couleuvres et des caïmans; des figures humaines, horribles ou monstrueuses.

Les prêtres ou butios étaient à la fois devins et médecins. Par tradition et par l'observation personnelle ils connaissaient la vertu de certaines plantes. Ils faisaient donc des cures à l'aide des simples qu'ils se procuraient; l'art de guérir augmentait leur prestige.

Les aborigènes appelaient leur île Quisqueya (grande terre) ou Haïti (terre montagneuse). Cinq chefs

Placide Justin, Histoire d'Haïti, p. 5.

Cette caverne, aujourd'hui connue sous le nom de grotte-à-Minguet, est située dans les environs du Cap Haïtien.

Placide Justin, Histoire d'Haïti, p. 6.

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