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RUINES DU CHÂTEAU DE SANS-SOUCI BÂTI PAR CHRISTOPHE

sous un même gouvernement. Nuñez de Cáceres, l'un des chefs du mouvement qui se préparait contre l'Espagne, rêvait néanmoins d'établir un Etat indépendant et de conclure avec Haïti une simple alliance offensive et défensive; le nouvel Etat devait faire partie de la fédération colombienne. Boyer prit ses dispositions pour déjouer un tel plan. En effet, au moment où Cáceres se disposait à inaugurer son insurrection contre l'Espagne, Monte-Christi et Laxavon arborèrent le pavillon haïtien (15 Novembre 1821). Dans la nuit du 30 Novembre au 1er Décembre Cáceres et ses amis s'emparèrent des principaux postes de la ville de Santo Domingo. Et le gouverneur espagnol, Pascal Real, impuissant à faire respecter l'autorité de l'Espagne, s'embarqua le 5 Décembre. Croyant possible la réalisation de son projet, Cáceres fit arborer le pavillon colombien et institua la République Dominicaine. Cependant les esprits avaient été déjà gagnés à la cause d'Haïti. Des places importantes telles que Puerto Plata, Macoris, Banica, Azua, etc., arborèrent successivement le pavillon haïtien. Pour appuyer ces manifestations le Président Boyer, à la tête de 14,000 hommes, partit de Port-au-Prince le 16 Janvier 1822. Les habitants de l'ancienne partie espagnole acueillirent le Président d'Haïti et son armée avec le plus grand enthousiasme. Nuñez de Cáceres reconnut l'impossibilité de résister à l'entraînement de l'opinion. Cédant au vou de ses compatriotes il arbora, le 19 Janvier 1822, le pavillon haïtien à Santo Domingo. Et le 9 Février le Président Boyer fit son entrée en cette ville au milieu des acclamations de tout le peuple. Sans effusion de sang l'ancienne partie française et l'ancienne partie espagnole se trouvèrent confondues sous un seul gouvernement. Le pavillon haïtien allait pendant vingt-deux ans flotter sur l'île entière d'Haïti.

Quelques colons français établis à Samana essayèrent pourtant d'empêcher cette pacifique union. Ils y possédaient encore des esclaves. Aux premières manifestations qui s'étaient produites en faveur d'Haïti, ils

avaient réclamé la protection du Gouverneur de la Martinique. Une flottille française fut expédiée à Samana. Quand elle y arriva, les Haïtiens en avaient déjà pris possession. Devant la ferme attitude des nouvelles autorités, les Français se retirèrent. L'esclavage fut ainsi aboli dans toute l'île.

Après avoir organisé les services publics et pris les mesures que nécessitaient les circonstances, Boyer quitta Santo Domingo le 10 Mars, et le 6 Mai 1822 il était à Port-au-Prince. L'unité nationale était maintenant un fait accompli; Haïti pouvait donc s'efforcer de mettre fin au malentendu qui existait entre elle et la France. Il était impossible de développer les richesses nationales tant qu'il y avait la perspective d'une nouvelle lutte avec l'ancienne mère-patrie. Et l'on pensait généralement que la reconnaissance de l'indépendance haïtienne par la France pouvait seule procurer une complète sécurité. L'on croyait que l'Angleterre aiderait à obtenir la reconnaissance de cette indépendance. A cet effet Pétion et Christophe n'avaient pas hésité à lui accorder certains avantages commerciaux. Boyer lui continua ces faveurs; tandisque les marchandises étrangères payaient à l'importation un droit de 12 pour cent, l'on ne prélevait que 7 pour cent sur les produits de la Grande Bretagne; et quand ces produits étaient importés par navires haïtiens, ils n'acquittaient qu'un droit de 5 pour cent. L'Angleterre profita de ces concessions et ne montra aucun désir de prêter son concours à la République d'Haïti. Au contraire, dans le traité additionnel à celui de Paris, la Grande Bretagne s'était engagée à ne mettre aucun obstacle aux moyens que la France emploierait "pour récupérer SaintDomingue et ramener sous son obéissance la population de cette colonie." Et comme il était à prévoir qu'il faudrait à peu près exterminer "la population de cette colonie" pour la ramener à l'obéissance, l'Angleterre, quoique réclamant l'abolition de la traite des noirs, oublia ses principes philanthropiques pour autoriser la France à continuer ce commerce hideux pendant cinq ans afin de lui permettre sans doute de repeupler

facilement une île dont la conquête paraissait aisée. Malgré cette attitude qui cadrait si peu avec la situation privilégiée dont bénéficiait son commerce, les Haïtiens ne perdaient pas l'espoir d'amener la Grande Bretagne ou à reconnaître leur indépendance ou à décider la France à la reconnaître. Mais ils ne purent plus conserver d'illusions à ce sujet quand, en 1823, ils virent l'Angleterre reconnaître l'existence du Mexique, de la Colombie, etc., tout en s'abstenant de se prononcer sur l'indépendance d'Haïti. Il y avait parti-pris évident. Les Haïtiens comprirent enfin qu'il ne fallait pas compter sur cette nation. En 1825 ils firent cesser les faveurs dont son commerce jouissait, en décrétant que le droit de 12 pour cent à l'importation serait désormais prélevé sur les marchandises ou productions de tous les pays sans distinction.

Quant aux Etats-Unis il n'y avait rien à attendre d'eux; les esclavagistes y étaient tout-puissants. Ils ne pouvaient donc pardonner à d'anciens esclaves non seulement de s'être constitués en nation souveraine, mais encore d'avoir osé, en abolissant l'esclavage, transformer leur territoire en un asile de liberté pour les infortunés que la couleur de leur peau courbait ailleurs sous un joug dégradant. Le Président Boyer avait même envoyé à New York un agent chargé de provoquer l'émigration à Haïti des hommes de la race noire. Aussi les Etats-Unis reconnurent l'indépendance de la Colombie, etc., et ignorèrent celle d'Haïti. La jeune République fut donc laissée seule en face de la puissante France. Haïti sentit sa responsabilité et n'épargna rien pour conserver son autonomie. Tout fut sacrifié à cette idée. Le commerce français souffrait autant qu'Haïti de la tension existant entre les deux. pays. De part et d'autre l'on désirait une solution. Cependant la France ne pouvait se résigner à accepter le fait accompli. Après l'échec de la mission envoyée auprès de Pétion, elle reprit en 1821, par Mr. DupetitThouars, l'idée d'imposer son protectorat. Comme son prédécesseur, le Président Boyer repoussa une telle prétention. Malgré ce nouvel insuccès la France ne

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